Les quelques actes passés sous son administration, et qui nous sont parvenus, sont des transactions entre l'abbaye et Roux de La Cengle, seigneur de Thieux, au sujet de la délimitation des terres de Thieux, en 1203, et une confirmation par Philippe de Dreux, évêque de Beauvais, de la donation par Guy, dit Le Cornu d'Airion (de Arione, du droit d'usage et de pâturage dans son bois de Savignies, pour l'abbaye et le prieuré de Saint-Maxien (1207) (1). Ce gentihomme tenait ces terres à fief de l'évêquecomte de Beauvais, et venait de lui en vendre trois cents arpents sis entre Savignies et Beauvais. On ne sait pas au juste à quelle époque finit l'abbatiat de Renaud; on pense qu'il régit son abbaye jusqu'en 1240. Il mourut le 10 juin. XXV. Evrard de Monchy (1210-1237). Evrard, qui succéda à Renaud, était frère de Baudoin de Monchy et issu de la noble famille qui tenait la terre de Mouchy, et dont un des membres, Drogon de Monchy, s'était distingué à la croisade, en 1148. Son élection suivit immédiatement la mort de Renaud, et dès 1210 on le voit apparaître comme abbé dans la donation par Jean de La Cengle, seigneur de Thieux, de deux herbages sis audit village de Thieux, et attenant à la maison et aux terres que les religieux y possédaient déjà. L'année suivante, pour défendre les intérêts de son monastère, il intenta une action contre Catherine de Blois, comtesse de Clermont, qui lui contestait la propriété du bois dit de SaintLucien, sis à Saint-Félix. L'affaire prit des proportions assez considérables et fut portée pardevant le pape, qui délégua le doyen de l'église de Paris et deux chanoines du même lieu pour l'examiner. Leur décision, en adjugeant le bois à l'abbaye, termina le différend (2). Le roi Philipe-Auguste fixa en même temps, par lettres-patentes, la règle à suivre pour l'exploitation de ce bois (3). 1) D. Grenier, 192, p. 119. (2) D. Grenier, 175, p. 64. 3 Ibidem, 175, p. 75. Evrard prenait tous les moyens pour améliorer la situation de son monastère et celle de ses biens. Pour leur donner plus d'importance, il entreprenait même la création de bourgades destinées à les mettre en valeur. C'est ainsi qu'il fonda Grandvilliers. Depuis plus d'un siècle son abbaye possédait cette terre, où jadis avait existé un village assez considérable, comme l'indique son nom. Les invasions barbares l'avaient détruit. Evrard ent la pensée de le rétablir et de lui donner des proportions en rapport avec son appellation. L'œuvre, cependant, lui paraissait assez difficile pour qu'il n'osât l'entreprendre tout seul. Il se concerta, à cet effet, avec l'évêque de Beauvais, quoique la terre ne fût pas dans l'étendue de son diocèse, mais fût dans celui d'Amiens, et lui demanda son concours. La valeur de Philippe de Dreux, qui régissait alors le diocèse de Beauvais, son caractère audacieux et entreprenant, son autorité incontestable dans tout le Beauvaisis, et la force militaire dont il savait disposer pour protéger ses entreprises, avait inspiré ce choix. Les droits de l'évêque d'Amiens devaient être, du reste, en tout sauvegardés dans cet établissement. Philippe de Dreux fut visiter les lieux, en 1212, avec l'abbé Evrard, acquiesca complètement à ses projets, et se mit de commun avec lui dans les efforts et dans la dépense. Des ouvriers furent aussitôt envoyés, des habitations se construisirent, on accorda des franchises à ceux qui vinrent les occuper, on régla leurs droits et leurs devoirs, et le bourg de Grandvilliers fut fondé. Le concordat, rédigé par ordre de l'évêque, au mois de mai de l'an 1212, et signé par Philippe de Dreux et Evrard, stipulait que pour indemniser l'évêque de ses dépenses et de sa protection, l'abbaye lui accordait, pendant toute sa vie, la jouissance de la moitié de la seigneurie du lieu et de tous les revenus qui pourraient en venir. Quant à la population du nouveau village, il fut statué (1) que quiconque vien (1) Unusquisque hospes, qui venerit ad manendum, reddet annuatim de redditu sex minas avena, et sex denarios, ad festum S. Remigii: et ad Natale Domini duos capones et duos panes. Hospites omnes ejusdem villæ erunt quitti et immunes à tailliâ, ab exercitu, equitatione et omnimodâ exactione. De emendis et forefactis erunt ad consuetudinem de Angi Sciendum autem quod in prædictâ villâ non poterit recipi ad manendum drait s'y établir serait exempt, à toujours, de la taille, du service militaire et de toute exaction féodale, et ne serait tenu de payer, tous les ans, que six mines d'avoine et six deniers d'argent, à la Saint-Remy, et deux chapons et deux pains à Noël. Défense, cependant, fut faite d'y admettre des vassaux du seigneur évêquecomte, des hommes lui devant le service militaire et de ses communiers; défense pareillement fut faite d'y recevoir des vassaux ou des serviteurs de l'abbaye de Saint-Lucien et des vassaux du chapitre de Saint Pierre de Beauvais. Les règles de la commune d'Angy devaient y être suivies pour les amendes et les forfaitures. Les religieux y conservèrent la jouissance exclusive de leur métairie appelée Le Ply, ainsi que celle des grosses et menues dîmes du lieu et les oblations des églises qui pourraient y être fondées. On stipula, en outre, que pour la mouture des grains, les habitants du village iraient au moulin de Boissy, appartenant à Saint-Lucien, et que le tonlieu du marché, qu'on établissait dans la localité, serait à l'évêque sa vie durante. Au cas où l'entreprise échouerait, la terre redevenait propriété exclu sive du monastère. Elle ne devait pas échouer. La bourgade prit même une telle importance, aussitôt après sa fondation, qu'on en fit le siége d'une juridiction royale considérable, connue sous le nom de prévôté royale du Beauvaisis. On lui subordonna la principauté de Poix, le vidamé de Gerberoy, les justices des abbayes de Saint Lucien, Saint-Germer, Saint-Paul, Saint ibi aliquis hospitùm nostrorum, et hominum qui nobis debent exercitum, nec aliquis de communiis nostris, nec aliquis de hospitibus S. Luciani aut servis, nec aliquis de hospitibus S. Petri. Præterea Abbas et monachi S. Luciani mansionem suam cum totâ clausurâ et nemore parvo, quod Ploeis antiquitus appellatum est, cum altaribus el decimis magnis et minulis tam præsentibus quàm futuris, si terra ibi de novo excoli contigerit, de consensu nostro sibi integrè retinuerunt: hospites etiam et homines ejusdem villæ per bannum venient ad molendina monachorum de Buxiaco. Verum sæpenominati abbas et monachi totum redditum thelonei dicti mercati apud Grandvillare colligendum nobis ad vitam nostram, absque ullâ participatione ipsorum monachorum concesserunt; ita quod ipsum theloneum cum omni jure suo et villa cum appenditiis suis, post decessum nostrum, ad sæpedictam ecclesiam quietè et liberè revertatur...... (Louvet, t. II. p. 109.) Quentin, Lannoy, Beaupré, et celles de cent trente-neuf villages (1). Tout en s'occupant de l'amélioration des propriétés de son monastère, Evrard ne négligeait rien de ce qui pouvait contribuer au bien spirituel des religieux dont il avait la charge. Il entrait en association de prières et de bonnes œuvres avec toutes les communautés qui voulaient bien accepter cette union réciproque de bons procédés. Ainsi fit-il, en 1205, avec l'abbaye de Fécamp. Le texte de cette association, cité par D. Porcheron (2), nous apprend que chacune des deux abbayes s'engageait à faire célébrer une messe conventuelle pour les religieux défunts de son associée, aussitôt qu'elle avait reçu notification de leur mort. Pour l'abbé, on devait un tricenaire. Les religieux vivants étaient reçus comme frères de même communauté. En cas de difficultés dans son monastère, tout religieux pouvait se retirer dans l'autre abbaye, et y rester jusqu'à ce que les circonstances, étant changées, lui permissent de rentrer. Ainsi pouvait-il faire, s'il arrivait qu'il fût en mésintelligence avec son abbé. Les abbés agissaient l'un chez l'autre comme dans leur propre communauté, et pouvaient assister et présider aux chapitres conventuels. Enfin, tous les rapports devaient être empreints de la plus cordiale confraternité. En 1215, Pierre de Cempuis, chevalier, seigneur dudit lieu, donnait à Saint-Lucien une maison à Cempuis et la terre de Fayaux. En 1217, l'abbé Evrard transigeait avec le chevalier Thibault de Cressonsacq, au sujet de certains droits que celui-ci prétendait avoir sur les habitants d'Hondainville, où il avait un fief. L'accord régla qu'à l'avenir les vassaux du chevalier, habitant Hondainville, paieraient 6 sols, pour tout droit de mutation, lorsqu'ils se marieraient (3). La même année, Evrard recevait un magnifique évangéliaire doré et l'un des plus beaux tapis du palais épiscopal, que Philippe de Dreux lui laissait par testament. (1) Graves: Statistique du canton de Grandvilliers, p. 45. (2) D. Porcheron, chap. 32. 3) Arch. de l'Oise. Invent. de 1669. Il assistait, peu après, à l'entrée solennelle dans sa bonne ville de Beauvais, de Milon de Nanteuil, évêque nouvellement élu, et signait, avec les évêques de Laon et de Senlis, les abbés de SaintSymphorien et de Saint-Quentin, et les dignitaires de l'église de Beauvais, au procès verbal de sa prestation de serment (1). En 1248, il s'affranchissait des droits que Guérin de Luchy prétendait avoir dans ses bois de Luchy, en lui payant une somme de 60 livres. Une lettre de confirmation du roi Philippe-Auguste nous le montre transigeant, en 1220, avec Hugues et Renaud, seigneurs de Juvignies. Ces chevaliers, parait-il, avaient causé de graves dommages à l'abbaye, en s'emparant d'une partie de ses biens. et en les ravageant, et l'abbé les avait poursuivis en réparation, pardevant les officiers de la justice du comté et pardevant le roi. Les sires de Juvignies, malgré leur audace, demandèrent à transiger aussitôt qu'ils se virent sous la menace d'une sentence royale. Pour indemniser l'abbaye, ils lui abandonnèrent tout ce qu'ils possédaient à Juvignies, à Luchy et aux environs, et s'engagèrent, sous peine de confiscation, à n'acquérir aucune terre dans le voisinage de celles de l'abbaye, à moins d'une lieue de distance. L'abbé, en revanche, leur donna à fief tenu de son monastère, 20 muids de terre sis au territoire de Fouquerolles, et la paix fut rétablie (2). L'année 1224 fut marquée par diverses donations. Beaudoin Maire, donnait à l'abbaye tout ce qu'il possédait à FontaineSaint-Lucien; - Jean de Mouy et Agnès, sa femme, donnaient un hôte (3), nommé Robert Malépée, avec son hostise, ses dépendances et tout ce qu'il tenait d'eux, ainsi que tout ce qu'ils possédaient eux-mêmes, à Abbecourt (4). L'abbé acquérait en (3) L'hôte (hospes) était un colon ou métayer, entièrement libre de tout service arbitraire, qui cultivait les terres des chevaliers ou autres, à la charge d'un cens annuel, d'où le nom de cense donné quelquefois à leur ferme, manage ou hostise. (4) Arch. de l'Oise Fonds de l'abbaye de Saint-Lucien. |