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était en voyage quand cette guerre éclata et qui rentra dans sa patrie après la fin des hostilités. Cette élection donne à penser que la plupart des Pythagoriciens de marque avaient disparu au cours de la tourmente, comme Timée le rapporte au chapitre précédent.

Nous avons déjà dit que cet événement ne peut être placé avec quelque vraisemblance avant 420. Aristée, le successeur de Pythagore, ne dut lui survivre que peu d'années puisqu'il était déjà très vieux (прeσßυтάτw ŎVTI) quand son maître mourut. Mnésarque était tout jeune encore vers 470; Aristée en effet fut chargé de son éducation (яaidoτрopía). Si on lui prète une existence d'une soixantaine d'années, son scholarchat s'étendra jusque vers 425. Là aussi les calculs se tiennent.

Autre concordance. Il est clair que l'auteur de cette notice sur Mnésarque admettait que Pythagore s'était marié sur le tard. Ceci ressort aussi d'un passage de Jamblique, V. P. 170, où il n'est pas difficile de reconnaître un emprunt fait à Timée (1). Il laisse deviner que Pythagore ne se maria qu'assez longtemps après son établissement à Crotone.

Il reste à confronter une notice sur Diodore d'Aspende qui figure dans cette diadoque avec un fragment de Timée qui concerne ce personnage.

Selon Apollonius, Gortydas ne resta pas longtemps scholarque: il mourut du chagrin que lui causa le deuil de sa patrie (vers 415?). Il y eut, après sa mort, une interruption dans la diadoque. On peut l'expliquer par le désarroi politique et l'éparpillement des adeptes. Quelque temps après (Xpóvμ μévτoι ye vσtepov 410-405?), Arésas, qui s'était sauvé chez les Lucaniens (2), se chargea de la direction de l'Ecole; πρὸς ὅν, continue le texte, ἀφικέσθαι Διόδωρον τὸν Ἀσπένδιον, ὃν παραδεχθῆναι διὰ τὴν σπάνιν τῶν ἐν τῷ συστήματι ávdpŵv. Or, voici en quels termes Timée parle de ce personnage (Athénée, IV, 163 Ε): Διοδώρου τὸ γένος Ἀσπενδίου τὴν ἐξηλλαγμένην

(1) Par comparaison avec PORPHYRE, V. P. 4, et JUSTIN, XX, 4.

(2) C'est ainsi que je comprends les mots 'Apéσav EK TŴV AEUKαvшv σωθέντα διά τινων ξένων ἀφηγήσασθαι τῆς σχολῆς. On peut éclairer le texte par un passage du de genio Socratis de Plutarque, § 13. Fuyant une émeute où périssent les Pythagoriciens de Métaponte, Philolaos se sauve en Lucanie, où il rejoint le groupe de ses amis des autres villes. Son compagnon Lysis s'est réfugié à Thèbes, à l'insu des Pythagoriciens. Gorgias, revenant de Grèce, apporte de ses nouvelles au groupe des Pythagoriciens qui reconnaissent Arcésos comme maitre (Toîç Teρi "Apк€σоv). Le nom d'Arcésos me paraît être une simple variante d'Arésas.

εἰσαγαγόντος κατασκευὴν (') καὶ τοῖς Πυθαγορείοις πεπλησιακέναι προσποιηθέντος, πρὸς ὃν ἐπιστέλλων ὁ Στρατόνικος κτλ.

Dans une étude sur cette figure curieuse (), Tannery, parlant de cette notice d'Athénée, est amené à conclure que ce philosophe appartient à la première moitié du ve siècle. L'accord entre la citation de Timée et le texte d'Apollonius est donc complet en ce qui regarde la question de chronologie. Peut-on en dire autant des traits de caractère ?

Selon Apollonius, Diodore n'est reçu dans la secte pythagoricienne que parce qu'elle manque de partisans. Cette formule injurieuse insinue qu'il ne faut voir en lui qu'un Pythagoricien de fortune, recueilli par raccroc. Je découvre une intention analogue dans les notes conservées par Athénée: Diodore se targue (3) d'avoir fréquenté les Pythagoriciens; il affecte des dehors pythagoriciens, bien qu'il ne représente pas l'orthodoxie de l'Ecole et qu'il n'observe pas un genre de vie purement pythagoricien.

Concluons. Le chapitre de la diadoque s'accommode, eu égard à la chronologie aussi bien qu'à la teneur des renseignements, d'une même origine que le récit des Persécutions. Ainsi Apollonius se révèle tributaire de Timée pour son histoire du Pythagorisme presque tout entière.

A. DELATTE.

(1) Entendez par là que Diodore avait introduit des modifications dans la tenue, l'habillement, la coiffure, etc. des Pythagoriciens antérieurs. Ces changements sont décrits par Sosicrate et par Athénée lui-même dans le même passage.

(2) Archiv für Gesch der Phil., IX (1896), p. 176.

(3) Lе verbе проσñоîσвαι ne signifie pas toujours : simuler, feindre, chercher à faire croire, mais aussi s'arroger, revendiquer, affecter, afficher (LIDDELL et Scott).

Le nom de Cronos

Le nom du dieu Cronos ne rappelle d'ordinaire que deux mythes horribles où ce personnage joue un rôle monstrueux.

Il mutile son père Ouranos et il avale ses propres enfants, sauf Zeus que Rheia sauve en lui substituant une pierre. Plus tard, Zeus fait rendre gorge à son père qui lâche la pierre et les dieux. Le règne de Zeus succède à celui de Cronos.

On a vu dans ces atroces histoires' soit l'interprétation d'un rit féroce qui consistait à immoler des enfants ('), soit un emprunt à la mythologie de populations barbares. Il n'a pas été difficile de trouver chez les sauvages des cinq parties du monde des légendes analogues. En fait, point n'était besoin d'aller si loin. Les Scandinaves parlent d'un grand chien infernal qui avala Wodan, lequel fut sauvé par son fils Widar qui tua le monstre.

Les Persans racontent qu'Ahriman, l'esprit du mal, sous la forme d'un cheval avala le héros des premiers âges, Tahmurath, mais Yima, son fils, roi de l'âge d'or, réussit à extraire le corps de son père et à sauver la civilisation qui avait disparu avec le roi, son père (2). L'anthropomorphisation des phénomènes naturels doit évidemment amener à créer des mythes aussi bizarres. Il est à remarquer, toutefois, que le rôle joué par les dieux dans de pareils récits ne représente qu'un côté bien secondaire de leur activité et ne nous apprend pas grand' chose sur leur véritable physionomie. On ne trouve rien de la grandeur formidable de Wodan dans l'histoire du loup ni du noble caractère de Yima dans l'étrange conte de la délivrance de Tahmûrath. Il est plus que probable qu'il en était de même pour Cronos. Malheureusement, l'aspect principal de l'activité de ce dernier n'a laissé que peu de traces dans la religion grecque.

Homère nous montre Cronos entouré d'un groupe de puissants dieux — les Titans (3) — vivant dans un endroit secret près du Tartare (1).

(1) GRUPPE, Griech. Mythol. u. Relig., p. 1100.

(2) CARNOY, Iranian Mythology, p. 302. Boston, 1917.

(3) Problablement « les fils du soleil ». Cf. gr. TITú « aurore, soleil ». (BOISACQ, Dict. étym., s. v.).

(4) ILIADE, XIV, 203, 271; XV, 224.

Hésiode, également, se représente Cronos comme présidant une réunion solennelle. Il est le roi des ancêtres de l'âge d'or :

« Tout d'abord, les dieux immortels de l'Olympe firent une race d'hommes en or. Ils obéissaient à Cronos qui alors régnait dans le ciel. Ils vivaient comme des dieux, le cœur exempt de soucis, à l'abri des peines et des souffrances. Ils ne connaissaient pas la vieillesse, toujours leurs membres conservaient la vigueur du jeune àge, sans aucune infirmité. Ils mouraient comme l'on s'endort. Ils étaient comblés de tous les biens. La terre féconde produisait d'elle-même pour eux ses fruits en abondance. Ils vivaient sur leurs terres, librement et paisiblement en pleine opulence, riches en troupeaux et bénis des dieux ('). »

La divinité qui préside à une telle existence est naturellement un dieu de la fertilité. Platon (2) nous apprend que l'on invoquait Cronos comme dispensateur de la pluie, ce qui était l'attribut principal de son épouse Rheia à une époque ancienne (3). Il y a mille traces d'un rôle important joué par Cronos dans les charmes d'amour (). On le représentait parfois sous la forme d'un taureau (3). Il était père des Centaures et spécialement du Centaure Chiron qu'il eut de la nymphe Philyra « tilleul ».

C'est comme dieu de l'abondance, de la fertilité et de l'âge d'or que Cronos était célébré à Athènes, au jour des Kpóvia. Durant cette fête, on ne tuait aucune créature et l'on ne faisait aucun sacrifice sanglant. Plus tard, ces réjouissances furent assimilées aux Saturnales. Tant à cause d'une confusion entre son nom et le mot xpóvos, qu'à cause de son caractère de dieu des fruits de la terre, Cronos fut, comme on le sait, syncrétisé avec Saturne, le dieu des semailles.

Cronos n'est pas seulement le dieu de la fécondité, il est aussi le dieu fécond. Lui et Rheia ont mis au monde le plus grand nombre des dieux. Il est le « grand ancêtre ». Voilà pourquoi l'épithète Kpovíwv est si fermement attachée au nom du maître des dieux. On célébrait en Zeus le plus brillant fils du dieu-père, par excellence,

Le type du roi de l'âge d'or et du grand ancêtre est commun à tous les peuples de l'Europe et de l'Asie antérieure. Tous croyaient à l'existence d'un paradis de héros ou à une « île des bienheureux »,

(1) Hesiode, Op., 109-120.

(2) PLATON, Cratyl., 19, 402, b.

(3) Gruppe, o. c., p. 1524.

(4) IB., p. 1113, n. 1.

(5) IB., p. 1106, n.

Les Germains ont la tradition d'un Valhöl où leurs héros festoyent près d'un immense frêne dont les branches répandent la fécondité. Un grand vent secoue sans cesse l'arbre dans lequel chantent les fées présidant au sort des hommes ('). Un aigle est perché sur les rameaux de cet arbre qui porte des fruits merveilleux. Les racines plongent dans la source des eaux. Un serpent ronge le pied du colosse. Parfois l'arbre est remplacé par un grand cerf (eikthyrni) (†), des cornes duquel les eaux s'épandent.

Les Iraniens disent que dans la mer Vourukasha, source de toutes les rivières, croît l'arbre Gaokerena (3) qui renferme toutes les semences. Le grand oiseau Simurgh secoue les branches tandis qu'un lézard ronge les racines. En outre, les Iraniens connaissaient le vara « enclos », où Yima a rassemblé les ancêtres pour les protéger des rigueurs d'un hiver destructeur. Ces bienheureux n'ont là aucune souffrance. Ils récoltent dans des prés fleuris « la nourriture d'or qui rend invincible » (†).

Les anciens Hindous nous présentent dans le Rig-Veda les pitaras « ancêtres » suivant le soleil couchant à l'Ouest vers un coin retiré du ciel où ils festoyent dans un grand arbre avec Yama, le chef des générations (vicpati) qui, comme Yima, a ouvert la terre aux hommes et leur a montré la voie que tous devront suivre. Les Grecs, comme l'on sait, croyaient aussi à l'existence d'une ile merveilleuse, à l'Ouest, au delà de l'Océan. De là venaient les pluies et les orages. Là, dans une prairie émaillée de fleurs, poussent des arbres aux fruits d'or que gardent les nymphes hespérides (« celles de l'Ouest »). Là aussi se trouvent les nymphes méliennes dont le nom parait rappeler le grand frène primitif des Germains. Hésiode fait, du reste, sortir les hommes du frêne (ἐκ μελιᾶν. Ορ. 145).

Les Egyptiens et les Babyloniens connaissaient également la fable de l'ile des bienheureux sans qu'on puisse déterminer dans quels rapports ces traditions se trouvent vis-à-vis de celles des Indo-Européens. D'autre part, les Finnois parlent aussi du grand arbre cosmique ().

Nous ne possédons que des données fragmentaires sur les Versions italique et celtique de ces légendes. Peut-être Virgile nous

(1) HERMANN, Nord. Mythol., p. 595.

(†) IB., p. 591.

( ) Ce nom signifie « corne de bœuf ». Cf. l'arbre du Tarwos Trigara

nos chez les Celtes.

(4) D'après le Vendidàd. CARNOY, Iran. Mythol., p. 308.

(5) S. Reinach, Recue Celtique, XVIII, p. 260.

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