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Roygem en 1556, après une existence plus mouvementée que ne l'est d'habitude celle de ses frères en religion. La faute en revient à la part active qu'il prit au mouvement littéraire de son temps et aux suspicions que firent naître plus d'une fois ses accointances avec des philologues peu respectueux des traditions. II s'appliqua en particulier à l'étude du grec et publia quelques travaux latins qui furent avantageusement appréciés par ses contemporains (').

C'est précisément sur les études grecques de ce religieux que le petit livre en question projette quelque lumière.

Dans des lettres que M. Alphonse Roersch a heureusement utilisées, Ammonius nous apprend qu'en l'année 1521 il se mit résolument à apprendre la langue grecque et lut avidement les principaux écrivains hellenes, en particulier les orateurs (2). Parmi ceux-ci, grâce à la générosité du chanoine tournaisien, Libanios obtint une place, fort modeste, il est vrai, si notre fervent littérateur dut se contenter des trois pièces dont nous avons à nous occuper.

Les notes marginales, qui sont de la main de van der Maude, montrent au moins avec quelle application il se mit à la tâche. On en trouve au long des trois déclamations que contient le volume le plaidoyer de Ménélas réclamant Hélène (3), seul morceau authentique ; le discours de Médée au moment où elle va tuer ses enfants; les plaintes d'Andromaque après la mort d'Hector. Ce sont tantôt des remarques littéraires, d'ailleurs très concises: « Nota loquendi modum »; tantôt des traductions en latin d'un court passage qui avait probablement offert quelque difficulté à la première lecture; tantôt un détail d'antiquités, nécessaire ou utile à la pleine intelligence du texte, sur l'organisation de l'Héliée, par exemple; enfin, et ceci mérite plus d'attention, quelques suggestions pour l'amélioration du texte.

Ces notes critiques sont plus intéressantes que les autres. Elles

(1) Voir la notice de BERGMANS, dans la Biographie nationale, Tome XIV, col. 84-86, un chapitre de A. ROERSCH, L'humanisme belge à l'époque de la Renaissance (Bruxelles, 1910), pp. 57-68, particulièrement, p. 57, sur son étude du grec. Le P. L. REYPENS, S. J. a publié de lui, avec traduction flamande, une description latine. d'une fête populaire dans Volkskunde,

1914.

(2) Op. cit., p. 61.

(3) Cette même déclamation fournit le sujet des premiers cours de grec d'Adrien Amerot au collège des Trois-langues de Louvain. Cf. J. VAN DEN GHEYN S. J., Le discours d'ouverture des leçons d'Adrien Amerot. Musée Belge, 1909, XIII, pp. 57-64.

témoignent déjà d'une certaine familiarité avec la langue attique et peuvent faire honneur à l'helléniste apprenti qu'était alors notre chartreux. De plus, elles dénotent parfois chez leur auteur une divination qui n'est pas sans mérite. Citons-en quelquesunes empruntées à la « Legatio Menelai ».

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Il y a sans doute peu de gloire à découvrir qu'un μǹ di' doit être corrigé en vǹ di' : « vǹ di' legendum », comme l'a d'ailleurs fait R. FOERSTER, V, p. 219, II. 11-12. Un peu moins obvie était le redressement de ὁμοφόριον en ὁμωρόφιον, lui aussi repris, quatre siècles plus tard, dans la nouvelle édition de Libanios, V, p. 213, 6-7. L'idée est moins heureuse de vouloir substituer, avec hésitation sans doute; τοῦ χείρον ς : « χείρονος forte legendum » à un τοῦ χείρονας (ένα) qui semblait peu comprehensible à notre débutant, mais qui a naturellement trouvé grâce devant la science plus avertie du nouvel éditeur (V, p. 215, 9).

Au contraire, quelques lignes plus loin, Ammonius se rapproche sensiblement de la vérité. I lisait : τὸ δὲ τοὺς μηδ' ὁμολογῆσαι τὴν ἔχθραν ὑπομείνα τας τὰ τῶν βελτιόνων λαμβάνειν εἰς ἀδικήματα τελοῖς καὶ δέοιτ' ἂν ζημίας. En marge il inserit:«τέλοῖς. Αlias τελεῖς». Il a donc collationné avec une autre édition. Laquelle ? Il nous est impossible de le dire; elle doit avoir échappé, semble-t-il, à M. R. Foerster lui-même, qui ne cite pas cette variante. Quoi qu'il en soit, ce souci de recherche objective du véritable texte fait honneur à notre humaniste. « Sed neutrum placet » ajoute-t-il ; a forte Teλoi». C'est aussi à une forme de la troisième personne, Teλeî, que s'est arrêté M. R. Foerster (V, p. 215, 15), et avec raison. Ces quelques exemples suffisent à donner une idée favorable du sérieux avec lequel le chartreux homme de lettres entreprenait l'étude de ses auteurs classiques. Ces cas de labeur consciencieux sont fréquents à son époque. Il n'est pas moins utile d'attirer l'attention sur ces faits. Trop souvent ces travailleurs enthousiastes n'ont pas reçu des philologues, qui leur doivent tant, le tribut d'hominages qui leur revient.

J. MISSON, S. J.

Sur une application de la morale stoïcienne au ius belli

Cette application est dans le De officiis de Cicéron 1, 34 à 39; 79 à 84 ; II, 23; III, 45 ; 103 à 10). Nous l'utiliserons done avant tout. Nous recourrons aussi, comme sources secondaires, aux textes suivants : De rep., II, 31; III, 23 ; 34; 35; 36. De leg., II, 21; 34 ; III, 9; 18. De imp. Cn. Pomp. 6 s. ; 12 s. ; 3) à 41 ; 69; 65. Pro Mur., 22 à 24; 30. In Verr. IV; 120 et 121 ; V, 49. — De har, resp., 31. Quelques lettres, notamment Ad Att., IV, 17, 6; V, 20; Ad fam., 11, 4; 15, 1 et 4.

De tous les ouvrages de Cicéron, le De officiis est le seul où il ait traité ex professo de la guerre, du moins parmi ceux qui nous sont conservés. Il est probable que le traité De republica contenait aussi une théorie du ius belli; mais nous ne possédons plus de cette partie que quelques fragments conservés par S. Isidore.

Il est utile ici, croyons-nous, de rappeler les règles critiques à suivre, quand on veut, au moyen de ses œuvres, déterminer la pensée de Cicéron. On sait que ses discours et ses lettres ne présentent pas sa pensée avec la même autorité que ses traités didactiques, où il ne subissait pas la contrainte d'un auditoire à gagner ou d'un correspondant à ménager.

Le De officiis, comme beaucoup de traités de Cicéron, n'est pas une œuvre originale, au sens moderne du mot. Cicéron s'est inspiré d'un livre du philosophe stoïcien Panaetius sur la morale ('). La théorie stoïcienne ramenant toute la morale à la vertu et à ses quatre types, la prudence, la justice, la force et la tempérance, les devoirs à observer à la guerre sont traités à deux endroits, à propos de la justice (1, 34 à 39) et à propos de la force (1, 79 à 84). La justice a entre autres objets, la réparation des injustices. La guerre est un des moyens utilisables à cet effet. Cicéron expose donc comment elle doit être faite pour atteindre ce but, sans le dépasser. Passant ensuite à la fortitudo, il la définit la volonté d'entreprendre de grandes choses pour le bien commun. Elle a un double écueil : d'abord une estime excessive de la guerre considéré comme le seul champ où puisse

(1) La critique philologique tend à faire la part de Cicéron de plus en plus large dans la composition de son livre. Cf. LÓRCHER, Bericht über die Litteratur zu Cic. philos. Schriften a. d. Jahren 1902-1911, dans Jahresb. de Bursian vol. 162, p. 144 et suiv.

s'exercer cette vertu ; c'est en somme ce que nous appelons l'esprit militariste; - puis, dans la conduite de la guerre, l'esprit d'aventure, la temeritas, qui recherche inconsidérément les périls. A cette double occasion, Cicéron expose encore ses idées sur la guerre. Dans le 3o livre, 106-109, il traite quelques cas de conscience relatifs à la parole donnée.

Cicéron use des expressions ius belli ('), ius bellicum (2) ou encore ius pacis et belli (3), dans le sens de justice naturelle ou de conformité à la loi, indifféremment et sans distinguer ces significations. Les prescriptions particulières s'appellent elles-mêmes iura belli (4).

L'expression droit de la guerre implique aujourd'hui l'idée de devoirs et de droits corrélatifs, communs à des belligérants, les devoirs de l'un constituant un droit pour les autres. Le contenu du De officiis et son but donnent à l'exposé des iura belli qu'il contient, un tout autre caractère. En effet, les prescriptions relatives à la guerre comprises dans I, 34 à 39 c'est la principale partie se ramènent à trois : la guerre doit être juste dans son origine, dans son cours et dans sa conclusion; puis, elle doit être faite avec douceur; enfin, il faut observer la parole donnée. On voit que les iura belli sont, du moins en partie, de purs préceptes de morale naturelle, et qu'ils reviennent à la pratique des vertus. C'est donc plutôt un essai de morale appliquée à la guerre, qu'un traité embryonnaire de droit, qu'à cet endroit du De officiis Cicéron a voulu composer.

Le but qu'il a en vue en composant ce traité en fait même plutôt un traité de morale nationale à l'usage des Romains ("). Il a dédié ce livre à son fils, à ce moment étudiant à Athènes; mais, en fait, ceux qu'il a en vue, ce sont les membres de l'aristocratie romaine (6). Sans doute, il n'exclut pas les autres peuples, mais il n'y pense pas; au lieu que le peuple romain, avec son passé et

(1) De leg., II, 34.

(2) De off., III, 107. Pro Balbo, 45.

(3) Pro Balbo, 15 et 45.

(4) De off., I, 34. De rep., V, 53. Phil., V, 25.

(~) En cela il a changé la couleur de l'original grec. C'était, dans le premier livre, un traité de morale stoïcienne de Panaețius. Celui-ci, reflétant l'humanitarisme stoïcien, s'adressait à l'humanité sans distinction de pays. La morale qu'il présentait avait donc bien un caractère universel, Cf. ZELLER, Die Philosophie der Griechen, 5, 1, p. 629. BARTH, Die Stoa, p. 152. LAURENT, Hist. du droit des gens, 3e vol. L. 16, c. 2.

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(*) FERRERO en a marqué l'importance dans Grandeur et décadence de Rome, 3 vol., p. 134 et suiv.

son présent, remplit tout le livre. Il s'en suit que les obligations formant les iura belli, telles qu'elles apparaissent dans le cadre dn livre, concernent les seuls Romains. Cette partie du De officiis ne constitue donc pas un réglement international de la guerre, mais une morale romaine de la guerre. Il n'y faut donc pas non plus chercher une sanction extérieure. Le Romain, dans la pensee. de Cicéron, ne doit compte qu'à lui-même de l'observation des règles à tenir à la guerre; dans ce domaine, comme dans celui de la morale strictement individuelle, il ne relève que de son sens de l'honestum, du tò kaλóv. Cicéron d'ailleurs, conformément à l'idée générale du De officiis, est très peu soucieux de fixer les droits des Romains, mais bien leurs devoirs. Une pensée l'occupe surtout, sinon exclusivement, c'est de tracer les bornes qu'ils ne peuvent franchir. On sent que Cicéron viseu ne situation dans laquelle les Romains s'attribuaient tous les droits à la guerre et se croyaient tout permis. Son but est de les amener à un usage plus modéré et plus humain de leur puissance militaire.

A part cette adaptation au milieu romain, la conception du ius belli qui se lit dans le De officiis a une couleur bien stoïcienne. Cicéron, en effet, y détermine le ius belli par l'application à la guerre du principe fondamental de la morale stoïcienne. Le stoïcisme faisait consister toute la morale dans la conformité de la conduite avec la nature ('). L'homme n'est pas comme l'animal, qui ne connaît que le recours à la violence; il a une âme (†), et de plus les belligérants ont entre eux des liens intimes, créés par l'unité de nature (3). Toute la morale de la guerre découle done de l'instinct social de l'homme (†).

Les prescriptions relatives à la justice de la guerre ont particulièrement ce caractère stoïcien bien marqué. Les conseils demodération et d'humanité donnés au § 35, tout au moins dans les philosophies non kantiennes, on les rattacherait à l'exercice de la bonté. Le De officiis les rattache à la iustitia, parce que le concept stoïcien de cette vertu comprend, outre la justice, la benevolentia (†).

Nous avons indiqué jusqu'ici le caractère général du ius belli dans le De officiis. Nous allons en exposer les prescriptions

(1) De off., I, 11-14.

() De off., I, 34.

(3) De off., I, 53.

(*) De nat. deor., III, 38. De off., 1, 20 et passim. Cf. GROTIUS, De iure belli et pacis. Proleg. 8 et I, 1 ; III, 1.

(*) De offi., 1, 20.

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