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aboutissant à un temple dorique, ce temple et le retour sud de la colonnade de l'Agora, où furent découvertes plusieurs bases portant des dédicaces de l'époque impériale, des statues, etc. MM. Picard et Avezou utilisèrent ce séjour près de la côte macédonienne pour amorcer des recherches sur le site de Philippes; ils y ont relevé les vestiges d'un théâtre plus vaste que ceux d'Athènes, d'Epidaure et de Délos. Certains sanctuaires taillés dans les escarpements de l'Acropole, furent retrouvés et explorés et cette enquête a déjà beaucoup enrichi le recueil des reliefs votifs rupestres de Philippes. Enfin, les explorateurs ont reconnu l'existence d'un grand édifice, peut-être un temple (1), et ont remis au jour une porte de la ville macédonienne, un autel portant avec dédicace à Isis, une longue inscription chrétienne (2), les fragments d'une grande statue d'empereur, des figurines de terre cuite, etc.

Les travaux en étaient là et l'École se préparait partout, notamment en Asie Mineure (Notion-Claros), à une campagne d'été, quand la déclaration de guerre vint arrêter tous les efforts. Les exigences du nouvel état de choses éloignèrent momentanément les archéologues de leurs champs de fouilles : le personnel de l'École partit tout entier sous les drapeaux et seul, le directeur, M. G. Fougères, demeura à Athènes, ne conservant que deux auxiliaires précieux M. Replat, architecte de l'Ecole, qui acheva en 1918 le plan archéologique général de l'île de Délos au 1/1000e, et M. Graindor, membre belge, qui n'ayant pu regagner sa patrie, assista son directeur dans la publication du Bulletin de Correspondance hellénique. M. G. Fougères lui-même put entreprendre au cours de l'année 1915 une tournée d'inspection dans les chantiers désormais abandonnés. Il la compléta par une enquête personnelle destinée à vérifier l'intérêt de certains sites antiques déjà signalés et par une exploration topographique et archéologique de la Macédoine. depuis Oxilar jusqu'au mont Olympe. Toutefois, en 1916, l'île de Délos restant à l'abri de toute atteinte, M. Plassart fut chargé d'y terminer l'exploration du mont Cynthe commencée en 1914. Complétant les fouilles de Lebègue (1873), qui avaient amené la découverte du sanctuaire de Zeus Kynthios et d'Athéna Kynthia, il a retrouvé les restes d'un temple plus ancien et d'un établissement protohistorique; il a découvert aussi deux nouveaux sanctuaires orientaux avec des inscriptions sabéennes. Survint au 1er décembre 1916, le guet-apens grec, qui aboutit à obliger l'Ecole française à fermer ses portes pour la première fois depuis sa fondation (1846). Mais dès le mois d'août 1917, M. Fougères rejoignait son poste et réussissait à maintenir à ses côtés, comme collaborateurs, MM. Plassart, Lejeune, Roussel, Dugas, devenus officiers interprètes à l'armée d'Orient. Un concours également précieux lui fut assuré par MM. Chamonard, ancien secrétaire de la mission mili

(1) C'est l'Isieion, identifié en 1920 par M. L. Renaudin.

(2) Cette inscription a fait depuis l'objet d'une étude de M. Ch. Picard, qui y a reconnu une copie nouvelle de la correspondance entre Abgar V Ónkhâmâ, dynaste d'Edessa en Osroène, et Jésus-Christ. Cfr. Bull. Corr. Hell., 44e année, 1920, janvier-juin, pp. 41-69.

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taire française, et Bulard, ancien membre, commissaire-interprète de la marine à Salamine. M. Repalt continuait ses services, tandis que M. Picard, secrétaire général de l'École, était retenu, par son rôle de capitaine, à l'armée d'Orient (1). En dépit des difficultés de toute nature que rencontraient à ce moment les tentatives d'investigation scientifique et faute de pouvoir ou continuer les travaux commencés ou en entreprendre de nouveaux, M. Fougères s'ingénia à mettre au point divers résultats acquis. A Delphes, on récolta des inscriptions nouvelles et l'on fit des relevés complémentaires dans le temple d'Apollon, tandis qu'à Délos s'achevait la préparation topographique du plan général du sanctuaire et de la ville (1918). Cette tentative amena diverses découvertes intéressantes, notamment sur le tracé complet du mur élevé en 69 par le légat romain Triarius; on dégagea les amorces de plusieurs rues nouvelles dans le quartier du théâtre; on localisa l'emplacement des restes de l'hippodrome, situé dans la plaine au nord-est de l'étang ovale, dans le voisinage de la vieille Palestre. Mais une œuvre tout aussi importante fut réalisée par la collaboration étroite de l'École française avec les officiers et soldats spécialistes du corps expéditionnaire d'Orient. Assisté par les services géographique, photographique et aéronautique de l'armée, le service archéologique de l'armée d'Orient fit merveille et les résultats obtenus sont un éloquent témoignage de la ténacité et de la savante direction des efforts. Ce furent : l'étude des habitats et des cimetières historiques et protohistoriques de la vallée du Vardar, qui permit de relier la civilisation primitive de la Macédoine à celle de la Thrace et de la Thessalie (2); l'exploration de la ville de Salonique au double point de vue topographique et archéologique (3); la préparation de tous les éléments d'une monographie définitive du mont Athos (mission S. Millet-J. Replat); une enquête historique et économique sur les monuments et les souvenirs de l'Islam, dans la péninsule balkanique et sur la condition présente de la population musulmane. Mentionnons enfin la création à Salonique d'un musée, qui a groupé les trouvailles de tout genre, faites par le service archéologique de l'armée.

La France a le droit d'être fière de cette belle leçon d'énergie et d'initiative scientifique donnée par ses savants aux heures les plus difficiles de la guerre; mais le spectacle de l'activité déployée par les archéologues-soldats fait peut-être regretter davantage encore la disparition de ceux d'entre eux qui tombèrent sur les champs de bataille et dont une stèle pieuse rappelle l'émouvant souvenir dans le cadre même de l'École Française d'Athènes : A.-J. Reinach, Blum, J. Paris, G. Leroux et Ch. Avezou (4). G. HINNISDAELS.

(1) Le Gouvernement français vient de reconnaître ses brillants états de service en le nommant chevalier de la Légion d'honneur au titre militaire. (2) L. REY, Bull. de Corresp. Hell., XL (1916), pp. 257 et suiv.

(3) E. HÉBRARD, B. C. Hell., XLIV, 1920, pp. V sqq., avec de nombreuses planches.

(4) Ch. PICARD L'École Française d'Athènes de 1914 à 1919. Bull. de Corr. Hell., 1920, janvier-juin, pp. I-XXVI.

Une nouvelle vie de Sénèque.

FRANCIS HOLLAND. Seneca. Londres, Longmans, Green and Co, 1920. vi-205 pp. in-8°. 10 sh.

L'auteur nous dit qu'il comptait publier une traduction des Épîtres à Lucilius et que la présente étude sur Sénèque était destinée à servir de préface à cette traduction. Le travail de M. Holland est donc adressé non pas aux philologues de profession, auxquels il n'apprendrait presque rien de neuf, mais bien au public lettré, infiniment respectable lui aussi, et que la figure si moderne de Sénèque ne peut manquer d'intéresser. Il ne faut pas s'attendre à trouver dans ce livre soit des références nombreuses ou suggestives, soit des discussions de points de détail : c'est un exposé simple, méthodique, de la vie de Sénèque, telle qu'il nous est aujourd'hui permis de la reconstituer.

Le plan adopté est le plan chronologique, à part que l'on trouve groupé dans des chapitres spéciaux ce qui concerne les amis de Sénèque, son train de vie ordinaire, ses relations avec Lucilius, sa philosophie. D'une façon générale M. Holland juge favorablement son héros : il met en doute l'autorité de Dion Cassius et il se défie un peu des insinuations de Tacite.

Si l'on envisage le sujet traité par M. Holland du point de vue spécial de l'utilisation des sources, on constate que la biographie de Sénèque se divise assez nettement en trois parties. La première comprend les cinquante premières années environ de la vie du philosophe, c'est-à-dire une période qui s'étend de sa naissance à son rappel de Corse en 49. On a sur ces cinquante années des indications rares, en somme, et à coup sûr disparates: quelques bribes de renseignements qu'il faut tant bien que mal rattacher les unes aux autres, et un écrit de Sénèque, d'allure très personnelle : la Consolation à sa mère Helvia.

La seconde partie comprend les années (50 à 62), durant lesquelles Sénèque fut le précepteur, puis le conseiller intime de Néron, Ici Tacite et Dion Cassius constituent les deux sources principales. Il semblerait • qu'il n'y eût qu'à les combiner, si une double difficulté ne surgissait. D'une part, Tacite et Dion n'ayant pas (ceci est évident) tout dit du rôle joué par Sénèque, n'y a-t-il pas lieu de supposer que ce rôle a été beaucoup plus important, surtout du point de vue politique, qu'il ne paraît à première vue? D'autre part, ni le portrait que les historiens ont laissé de Sénèque, ni ce qu'ils racontent de certains de ses actes, ne répondent à l'impression globale produite par la lecture de ses écrits. Il s'agit ou d'atténuer la contradiction, ou de l'expliquer par des causes naturelles.

La troisième partie comprend seulement les trois dernières années (62 à 65) de la vie de Sénèque. Mais cette fois les sources sont particulièrement importantes, puisque nous possédons et l'éloquent récit de Tacite, et les Lettres à Lucilius, et les préfaces des Questions naturelles.

Tous ces textes s'accordent à laisser le souvenir d'un Sénèque épuré par l'étude de la philosophie, grandi par une sorte de martyre. La difficulté est maintenant pour le biographe de faire la synthèse des idées et de trouver les termes qui soient dignes de son sujet.

C'est naturellement la première partie de la vie de Sénèque qui a soulevé le plus grand nombre de ces petits problèmes dont les philologues n'ont jamais désespéré de trouver la solution. Nous avons déjà dit que M. Holland ne se rangeait pas parmi les philologues. Son choix fait, sans rien discuter, il affirme et passe outre. Donnons quelques exemples. Il reproduit en frontispice le portrait de Sénèque d'après le buste de Berlin, sans indiquer d'autres l'ont fait que cette identification n'est à tout prendre que probable. Car si l'on accorde une valeur probante à ce document unique, il reste à étiqueter à nouveau les trente bustes dans lesquels traditionnellement (depuis Fulvio Orsini) on reconnaissait les traits de Sénèque (1). Le père de Sénèque est très heureusement dépouillé par M. Holland de ce ridicule surnom de Rhéteur qui l'a tant de fois fait prendre pour un maître d'école (p. 4), mais il lui conserve son prénom de Marcus, bien que celui de Lucius soit généralement admis aujourd'hui. Comment s'appelait le préfet d'Egypte, époux d'une tante de Sénèque ? (Cons. ad Helv., 19) On ne sait pas au juste, mais en toute occurrence le nom de Vetrasius Pollio, donné par l'auteur (p. 21), sur la foi des anciens commentaires, doit être rejeté. Au demeurant, puisque l'on passait en revue la famille de Sénèque, il eût été intéressant de distinguer ce préfet d'un autre avunculus, mentionné dans la Consolation (c. 2) et qui est l'oncle non de Sénèque, mais de sa mère. Qui est Marcus (Cons. ad Helv., 18) ? Depuis quatre siècles les uns répondent que c'est un fils de Sénèque; les autres soutiennent qu'il s'agit de Lucain. Vraiment, quand on y regarde de près, ce sont ces derniers qui semblent avoir raison. M. Holland est de l'avis des premiers (p. 24). Evidemment, ici, la preuve décisive faisant défaut, le choix reste libre; néanmoins, il eût été utile de signaler — fût-ce par une note qu'il y avait doute (2). En ce qui concerne les premiers écrits de Sénèque, au sujet desquels tant d'obscurité subsiste, M. Holland nous paraît être trop affirmatif quand il dit (p. 25) : « Aucune œuvre de Sénèque publiée avant la mort de Caligula n'est parvenue jusqu'à nous; mais, que ses publications antérieures à cette date aient été nombreuses et goûtées, nous le savons par un passage de Suétone... » (Or, ce passage est le tunc maxime placentem (Cal., 53) qui peut s'appliquer à de simples discours)... « Ses premiers livres doivent avoir contenu l'ensemble des poésies, des dialogues et des discours, dont parle Quin

(1) M. SALOMON REINACH (Un portrait mystérieux. Rev. arch., 1917, pp. 357368) proposait en dernier lieu le nom d'Epicharme ; mais son argumentation nous paraît bien fragile.

(2) M. J.-D. DUFF (L. Annaei Senecae Dialogorum libri X, XI, XII. Cambridge, 1915. Introd., pp. L-LIII) donne un excellent résumé de la question. Il est regrettable que l'étude de M. Holland ait été rédigée — du moins le supposons-nous - avant que le petit livre de M. Duff ait été répandu.

tillien.» Voilà des précisions bien audacieuses! Que Sénèque ait écrit, nous n'en pouvons pas douter. Qu'a-t-il écrit ? et surtout qu'a-t-il publié ? Nous ne le savons pas et cela est très regrettable. Au demeurant, M. Holland ne s'est pas attardé à discuter la date, presque toujours incertaine, de la plupart des écrits connus de Sénèque. Il assigne le De ira à l'année 41, les Questions et le dernier livre du De beneficiis aux dernières années... Cela est raisonnable. Quant au De constantia et au De tranquillitate, tous deux adressés à Sérénus, on discute encore très âprement la date de leur composition (1) et peut-être est-il téméraire de choisir, comme l'a fait M. Holland, l'époque du Quinquennium Neronis pour y situer le De tranquillitate, et cela sans fournir aucune explication.

Ne prolongeons pas sans utilité cette critique de détail. Elle n'a d'autre objectif que d'indiquer la limite en deçà de laquelle l'auteur a volontairement arrêté l'examen des problèmes de pure science. Il est temps de dire que, dès qu'il s'agit d'apprécier le rôle politique de Sénèque et d'expliquer sa conduite, M. Holland fait preuve de clairvoyance et de modération. Or, c'est le point essentiel : donner de son personnage, à des lecteurs peu avertis, une idée exacte. La vie de Sénèque aux côtés de Néron est racontée avec simplicité et vérité. L'auteur insiste sur l'autorité que le philosophe-ministre avait réellement acquise, et des titres de chapitres comme « Seneca in power » (VII) ou «< Decline of Seneca's influence» (IX) sont à cet égard significatifs. Toutefois il a su raisonnablement se garder d'attribuer à l'intervention personnelle de Sénèque toutes ou presque toutes les mesures administratives qui ont été prises à l'époque où sa voix était écoutée. Dion dit bien que Sénèque et Burrhus avaient à eux deux assumé toute la tâche de gouverner et même de réorganiser l'empire, mais il ne fallait pas prendre trop à la lettre une affirmation aussi générale et en faire l'application aux moindres cas particuliers. Cela, M. Holland l'a compris, et il faut l'en féliciter. Il a compris aussi que l'attitude de Sénèque n'avait été, en maintes circonstances trop connues, ni celles d'un héros, ni celle d'un hypocrite. A propos de l'affligeante Consolation à Polybe, dont il n'est plus possible de contester l'authenticité, M. Holland a un joli mot « Bien que son regard allât aux étoiles, ses pieds furent souvent dans la boue. » (p. 44: « Though his gaze was on the stars, his feet were often in the mud »). Plus loin on trouve relevées et commentées avec soin les explications que Sénèque lui-même, dans ses écrits, paraît avoir voulu donner au public: notamment des extraits du De vita beata relatifs aux richesses. M. Holland accepte ces explications. Il ne croit pas d'ailleurs que l'idéal de Sénèque ait été l'ascétisme. Sa morale.

(1) M. R. WALTZ, en 1909, croyait avoir prouvé que le De constantia datait de l'exil. La même année, M. FRIEDRICH proposait l'année 58.... En 1916-17 la question a été reprise, avec des arguments nouveaux, par M. H. DE LA VILLE DE MIRMONT (Annéus Sérénus et Sénèque, dans la Revue des Etudes anciennes, 1916 et 1917). L'auteur défend la date de 55-56.

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