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de lui, ni avec les renseignements qu'Érasme nous donne concer nant son origine : « honesto loco natus, sed in re tenui ob matris foecunditatem ». Disons plutôt donc qu'il appartenait à une honorable famille bourgeoise et que ses parents avaient beaucoup d'enfants et peu de bien.

Or, voici précisément que les Archives communales de Gand nous révèlent l'existence en cette ville, au XVe et au XVIe siècles, d'une famille Halsberghe, dont plusieurs membres furent revêtus des fonctions scabinales (1). Cette famille, qui, d'abord, n'appartenait pas à la Poorterij (patriciat), se divisait en deux branches: Halsberghe, dit Haesbijt et Halsberghe, dit Algoet. Pierre Alsberghe, dit Algoet, qui portait d'argent à trois aiglons (alcyons ?) de sinople, fut échevin de la Keure en 1493. Il mourut le 5 juillet 1501 et fut enterré en l'église Saint-Nicolas, ainsi que son épouse Lysbette Vetters, filia Heindricx, décédée le 1er octobre 1525 (2). C'était certainement un proche parent de notre personnage.

Le père et la mère de Liévin Algoet s'imposèrent de lourds sacrifices pour l'éducation de leur fils. Après les premières études, ils l'envoyèrent à l'Université de Louvain. En même temps, ils le placèrent sous le patronage de Marc Laurin, doyen de Saint-Donat à Bruges, lequel, ainsi que chacun sait, était d'une maison où le culte des lettres fut toujours en honneur.

Le savant prélat, voyant que le jeune homme témoignait des plus heureuses dispositions, le recommanda à son tour à Érasme, son ami intime, qui résidait alors en Belgique. Celui-ci prit notre compatriote à son service et, sans le mettre dans l'obligation d'interrompre ses études, il en fit son secrétaire et son homme de confiance. Il aimait la jeunesse studieuse et prodiguait ses encouragements aux travailleurs de bonne volonté. Avec Algoet, il fit plus encore il veilla sur lui avec une sollicitude toute paternelle. La lettre suivante, datée d'Anvers, le 13 avril 1520, en fait foi. Je la traduis littéralement du latin.

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(1) GUST. VAN HOORE BEKE, Étude sur l'origine des noms patronymiques flamands, Bruxelles, 1876, pages 178-179, note 1. Memorieboek der stad Gent van't jaar 1301 tot 1737, Gand, 1852, tome I, p. 364 et tome II, pp. 31, 37, 38, 122, 136, 142, 145. — GACHARD, Relation des troubles de Gand, p. xlvij et xlviij.

(2) Inscriptions funéraires de la Flandre orientale, Églises paroissiales de Gand, Gand, 1866, t. II, p. 217.

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Érasme à Liévin Algoet Salut (1)

Quelques affaires inattendues retardent assez bien mon retour. Aussi, je vais de nouveau t'indiquer par lettre la route que je t'ai déjà conseillé de suivre. Ne t'expose pas à ce que mon absence te rende plus mou à l'étude, alors qu'elle doit plutôt t'y stimuler.

<«< Oui, plus tu gagneras de temps à être momentanément débarrassé des services que tu dois habituellement me rendre, plus tu devras t'appliquer aux belles-lettres. C'est bien dans cet espoir que je t'ai laissé à Louvain, respectant en cela bien plus tes convenances que les miennes. Fais en sorte que cette décision ne trompe point mon attente.

<< Évite de toute manière qu'à mon retour je ne sois mécontent, ce qui rendrait celui-ci moins joyeux. Tu connais le mot de Térence (2) : « Ita ut fit, domini ubi absunt. » Et celui-ci : (3) « malo coactus, qui suum officium facit, tantisper cavet dum id rescitum iri credit: si sperat fore clam, rursus ad ingenium redit. » Ceci est plus digne de toi (4): « Is, quem beneficio adjungas, ex animo suum officium facit, præsens absensque idem erit.» Cette opinion de Mition m'a toujours plu; ton rôle sera de tendre à ce que je ne me repente point de ce sentiment.

>> Fuis comme la peste l'amitié de certains hommes, auxquels se rapporte vraiment cette parole de Ménandre:

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φθείρουσιν ἤθη χρήσθ ̓ ὁμιλίαι κακαί.

>> Ne t'éloigne pas de Carinus (5) d'un doigt . Par les années, il ne te dépasse pas de beaucoup; mais, il l'emporte par une telle pureté de mœurs, par une telle soif d'apprendre qu'aucune fréquentation ne pourrait te rendre meilleur ni plus érudit.

>> La nature t'a donné un heureux naturel : nous pouvons t'en féliciter, mais nous ne devons t'en louer que pour autant que tu

(1) D. ERASMI opera omnia, éd. de Leiden, 1703, t. III, c. 546. - P.-S. ALLEN et H.-M. ALLEN, Opus epistolarum Des. Erasmi, t. IV, p. 235.

(2) Eun., 600.

(3) Ad., 69-71.

(1) Ad.. 72.

(5) Sur Louis CARINUS (Kiel) de Lucerne, voir FOERSTEMANN-GUENTHER, Briefe an Des. Erasmus, Leipzig, 1904, p. 320. Ce personnage se brouilla, par la suite, avec Érasme.

cultives par ton zèle l'excellence de ta nature comme un sol fertile. Tu emporteras grande honte si toi-même tu parais avoir fait défaut à toi-même.

>> Tu sais ce que tes excellents parents attendent de toi, tu n'ignores pas ce que tu dois à Marc Laurin qui t'a recommandé à moi si paternellement. Je ne te rappellerai pas ce que tu me dois. à moi qui t'ai toujours traité non comme un serviteur, mais comme un fils. Le fait d'avoir vécu familièrement avec Érasme augmente ce que beaucoup attendent de toi. A tout cela, tu ne peux répondre que par le plus grand zèle.

« Tu es à l'âge où l'on apprend le mieux et où l'on supporte le mieux le travail. Le manque d'argent, de livres, ou de maîtres, éloigne les autres des études; toi qui as tout cela en abondance, grâce à la bienveillance de tes amis, tu ne pourras rien alléguer si tu ne te rends pas tel qu'il faut : toute la faute en retombera sur toi seul.

>> Je crois que ces motifs, si nombreux, t'enflammeront à la poursuite de la haute probité et de l'érudition. Voici cependant un stimulant de plus pour ton noble esprit c'est qu'à Louvain tu vois tant d'enfants, tant d'adolescents briguer avec autant de succès que d'ardeur l'honneur de connaître les deux langues.

» Enfin, il faut que tu répondes au nom de famille de ton père de telle façon que plus tard ce que je repousse de tous mes vœux il n'y ait personne qui, par plaisanterie, tourne náуxados en пáуnaxos, en faisant, par l'altération d'une partie de ton nom « omnimalus » d' « omnibonus » (ce qui est ton nom). Au contraire, tu dois faire des pieds et des mains pour que ce nom ne paraisse pas t'être échu par hasard, mais bien plutôt par le dessein de quelque divinité.

» Je te prêche ainsi avec tant de zèle, non pas que je me défie de ton caractère, mais parce que, même quand nous sommes rassurés, nous avons l'habitude de craindre pour ceux auxquels de tout cœur nous voulons du bien.

>> Si là-bas sont arrivées quelques lettres que tu juges sans grande importance, garde-les jusqu'à mon retour. S'il y a, au contraire, quelque chose qui ne peut être différé et si tu n'as sous la main. personne de sûr à m'envoyer, arrive toi-même ici au plus vite. Porte-toi bien. Anvers, le 13 avril 1520. ».

A cette époque, Algoet étudiait à Louvain la médecine et la philologie ancienne; il suivait, au Collège des Trois-Langues, les cours de grec de Rutger Rescius. Cette alliance de branches disparates nous étonne aujourd'hui. Mais, on sait que de ce temps-là les études médicales, infiniment moins spécialisées que de nos jours, relevaient beaucoup moins des recherches expérimentales que de la connaissance des traités de médecine de l'antiquité. Hippocrate, Galien, Celse étaient étudiés dans l'original et, pour les bien comprendre, la connaissance approfondie des langues classiques s'imposait. Aussi, nombreux furent, au XVIe et au XVIIe siècles, les érudits qui se firent un nom à la fois dans l'art de guérir et dans celui d'interpréter les textes.

Pour ne parler que des Belges, je citerai Guillaume Pantin, de Thielt, médecin-pensionnaire de Bruges, qui publia à Bâle en 1552, en un bel in-folio de 600 pages, les huit livres de l'Ars medica, de Celse; Jérémie de Dryvere, de Brakel, auteur de commentaires fort estimés sur Hippocrate et Galien et professeur de médecine à Louvain; le docteur André Gennep, de Baelen, qui enseigna l'hébreu au Collège des Trois-Langues; Victor Giselin, de Zantvoorde, célèbre philologue qui, tout en soignant ses malades à Oudenbourg et à Bergues Saint-Winoc, étudia de façon approfondie Prudence et Sulpice-Sévère; et, enfin, cet étonnant Pierre Castellanus, de Grammont, qui occupa simultanément à Louvain une chaire de médecine et la chaire de philologie grecque et qui, dans les deux domaines, produisit des travaux fort estimables. Et c'est là une liste que je pourrais allonger.

L'épître, dont j'ai donné la traduction, a un accent de sincérité qui n'est point trompeur. Érasme voulait réellement du bien à son jeune secrétaire et toute sa correspondance en témoigne.

En 1524, il recommande Algoet dans les termes les plus flatteurs à Thomas Wolsey, administrateur de l'évêché de Tournai et archevêque d'York: « Je suis heureux, dit-il, que mon Liévin plaise à Votre Éminence. Auprès de moi, il a progressé assez heureusesement dans l'étude des deux langues classiques. Mais, je ne puis lui donner beaucoup d'argent. Il est né pour les arts libéraux, et encore qu'il me fût bien nécessaire, j'ai tenu compte plus de ses intérêts que des miens. Il peut aider dans ses études le parent de

Votre Éminence à l'Université de Louvain. A Elle, il sera facile de l'enrichir. Moi, je ne demande qu'une chose, c'est que Votre Éminence lui laisse assez de loisir pour les lettres; plus il sera instruit, plus il lui rendra service à Elle et aux siens. »

En 1525, le grand humaniste écrit de Bâle à Pierre Barbier d'Arras, qui fut chapelain d'Adrien VI et du Grand Conseil : « Les progrès d'Algoet - id est omni bonus dans les deux langues, — dans les lettres et dans les sciences sont tels qu'il me dépasse. » « Sic profecit... ut me praecurrat. » Et ce témoignage, on en conviendra, honore autant le professeur que le disciple.

En 1526, enfin, nouvel éloge de celui que le maître considère comme son fils adoptif «quem mihi jam olim in filii vicem adoptavi », adressé cette fois à Matth. Giberti, évêque de Vérone, dataire du pape Clément VII.

Ce n'étaient point là des paroles en l'air!

Érasme touchait, depuis 1516, un canonicat de 130 florins à Courtrai il demanda en 1525 que la dite prébende fût reportée sur la tête d'Algoet, au cas où il viendrait à mourir. En 1527, il songe à prendre en faveur de son protégé d'autres dispositions testamentaires.

Quelle était donc la nature des services rendus par notre jeune compatriote au plus grand de nos érudits?

Il fut, pendant plusieurs années, je l'ai dit, son secrétaire et son homme de confiance. Il fut son émissaire dans le pays et à l'étranger. Le voici à Londres, en 1522, où il a une entrevue avec Jean Crucius, qui devint plus tard professeur de grec au Collège du Lys à Louvain. A son retour, en 1523, il passe par Gand et s'arrête chez Antoine Clava, dont nous parlerons tout à l'heure. En 1524, il rend visite à Marc Laurin à Malines. En 1527, il est à Paris; puis, s'en va rejoindre Érasme à Bâle. En 1529, il arrive à Bruges et dîne chez Marc Laurin en compagnie du chanoine Jean Fevynus, écolâtre de Saint-Donat, d'Adrien Chylius de Maldeghem, qui traduisit le premier en vers latins le Plutus d'Aristophane, de l'imprimeur Bebel et d'un certain Simon (?), professor litterarum graecarum admiranda eruditione ac eloquentia ornatus. En avril 1530, il se trouve à Trente aux côtés de Corneille de Schepper, de Nieuport, que l'empereur avait chargé d'importantes missions. Il

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