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assista, la même année, avec ce célèbre diplomate à la diète d'Augsbourg et rendit compte des travaux de cette assemblée en un petit volume intitulé: Pro religione christiana res gestae in Comitiis Augustæ Vindelicorum habitis anno Domini MDXXX. Simple résumé, en belle prose latine, d'une lecture fort agréable. Cet ouvrage, devenu rarissime, parut à Louvain chez Barthélemy De Grave (1).

Évidemment, tous ces déplacements n'allèrent point sans fatigues ni dangers. Les routes n'étaient pas toujours sûres. En juillet 1525, il advint à notre voyageur de tomber en Allemagne sur des paysans mutinés qui lui enlevèrent une précieuse liasse de lettres écrites à Érasme par des cardinaux, des princes et des rois.

En 1530, Algoet chercha à changer de maître. Des aventures de l'espèce de celle que nous venons de conter le dégoûtèrent-elles du service d'Érasme ou bien eut-il maille à partir avec ce dernier ? Des deux alternatives, la seconde est la plus vraisemblable, car il est certain qu'à cette époque les rapports se refroidirent entre le grand écrivain et son disciple. Une lettre qu'écrivit Érasme en 1533 nous dépeint notre compatriote sous un jour beaucoup moins favorable que celui dans lequel il a été placé jusqu'à présent. Elle nous montre aussi qu'Érasme était un homme impressionnable et versatile. D'une part, les éloges répétés que nous avons rapportés; d'autre part, des paroles acrimonieuses échappées dans un moment d'humeur Liévin a l'esprit mal fait, il est maladroit, paresseux, dépensier, quémandeur. Il a joué à Louvain et à Paris : il a contracté des dettes, il a vendu ses livres et a perdu tout son avoir.

Promoveatur ut amoveatur ! Et le bon Érasme de multiplier les démarches auprès de la reine Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas, auprès de Nicolas Olahus, conseiller aulique, et de Corneille de Schepper, afin que son ancien favori obtienne quelque emploi à la cour. Il y réussit facilement. En 1531, Algoet fut attaché à la maison de la reine et nommé secrétaire d'Olahus.

On sait que la sœur de Charles-Quint vint occuper ses fonctions

(1) In-4o, 12 ff. n. ch. (Bruxelles : b. roy. ; Gand: b. Univers.). Sans nom d'auteur. Le privilège, donné par l'empereur à Augsbourg, le 6 novembre 1530 et signé Valdesius, contient ces lignes : « pro religione christiana res in hac urbe gestas Leuino Panagatho, et praeterea nemini per universum Romanum imperium typis excudere, excusasve alibi, vendere fas esto. » Sur les autres éditions du même ouvrage, voir F. VAN DER HAEGHEN, Bibliotheca Belgica, Gand, 1re série, verbo Goethals, Liévin.

dans nos provinces au printemps de 1531. Liévin l'y accompagna à Gand, à Bruxelles, à Courtrai, à Audenarde, à Bruges.

A Gand, en juillet 1532, le passage des augustes voyageurs fut marqué par un incident qu' Érasme et Olahus considérèrent comme extrêmement fâcheux. Il n'eut cependant, à notre connaissance, pour celui qui y joua le premier rôle, que les conséquences les plus heureuses.

Il s'agit d'un roman d'amour, dont nous pouvons reconstituer tous les détails par la correspondance d'Olahus (1).

Le conseiller de la reine et son secrétaire avaient pris leurs quartiers en la demeure d'Antoine Clava, savant humaniste et magistrat distingué, membre du Conseil de Flandre. Là se trouvait aussi la petite-fille du maître de la maison, jeune fille de dix-huit ans, pour laquelle Algoet s'éprit du sentiment le plus tendre, sentiment qui fut aussitôt partagé. Elle se nommait, nous le savons par ailleurs, Catherine Annoot et était fille de Guillaume Annoot et de Marguerite Colve, alias Clava.

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Les jeunes gens ainsi va le monde n'écoutant que leur cœur, voudraient être fiancés du jour au lendemain. La petite Flamande est jolie, vertueuse, charmante; malheureusement, elle n'aura que dix-huit ducats de pension et... pour plus tard, d'assez vagues espérances. Quant à l'insouciant Algoet, il ne reçoit au service de la reine que huit gros par jour et n'a pas un sou vaillant. Olahus voudrait gagner du temps, prendre l'avis d'Érasme à qui il écrit longuement à ce propos, le 26 juillet. Mais le jeune homme ne veut en faire qu'à sa tête. Que lui importent les partis plus avantageux qui se présenteront peut-être un jour il ne connaît point «< la peur de vivre ». Il échange avec toute la légèreté de son âge des serments solennels et, avant que son maître ait eu le temps de se retourner et son Mentor celui de répondre, le mariage est fixé au 6 août et les invitations sont lancées.

Est-ce donc une loi sur notre pauvre terre que les conseils de la sagesse et de l'expérience seront si rarement écoutés par la jeunesse et par l'amour ?

(1) Publiée en 1875 par Mgr A. Apolyi. Voir ci-après dans nos références bibliographiques. Nous avons étudié la correspondance d'Olahus dans le Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie de Gand, 1903, no 7.

Olahus n'assista point à la noce, prétextant les multiples occupations qui le retenaient à Bruxelles ; mais il ne garda pas rancune à son collaborateur.

Celui-ci lui écrivit cinq jours après la cérémonie : « Je sais, illustre maître et excellent patron, que tu as déjà eu besoin de mes services et que maintenant encore ils ne te sont pas moins nécessaires... Et je ne saurais assez t'exprimer combien j'en suis désolé ; car, pour te dire la vérité et toute ma pensée, les embrassements très doux de ma très chère épouse me sont ici à peine aussi doux que le plaisir de te servir et de te voir. >>

Cependant, que faire ? On raconte, à Gand, qu'une émeute vient d'éclater à Bruxelles, on dit des choses épouvantables, on prétend que personne ne peut entrer dans la ville ni en sortir. Algoet n'ose se mettre en route et force fut au jeune couple de rester en Flandre et de prolonger de quelques jours la lune de miel. Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ? Que ce soit aux rives prochaines !

Encore une fois, le conseiller de Marie de Hongrie ne tint pas rigueur au jeune ménage. Bien plus, il fit tout son possible pour améliorer sa situation. En 1534, il fit nommer son secrétaire maître des pages de la reine, ce qui porta son traitement à seize gros par jour. D'autres gratifications suivirent et nous savons qu'en décembre 1538 Liévin Algoet reçut une somme de cent livres << tant pour ses paynes qu'il avoit fait en la description de la généalogie de l'empereur et de la dite royne (Marie), comme pour l'avoir fait éluminer pour envoïer à l'empereur. » Plus tard, il reçut vingtquatre livres de Flandre pour avoir écrit sur parchemin l'original du traité de Venlo conclu en 1543 entre Charles-Quint et le duc de Clèves.

Les deux reçus délivrés par Algoet, à cette occasion, existent dans l'original, dans la collection des acquits des comptes de la Recette générale des finances, aux Archives générales du Royaume, à Bruxelles.

En voici la teneur :

« Je Liévin Panagathus, maistre d'escole des paiges d'honneur de la royne régente, etc., confesse avoir receu la somme de C livres de Flandres, que, par le commandement de la royne et de messei

gneurs des finances, il m'a esté baillée pour samblable somme qu'ils m'ont tauxé et ordonné tant pour les paines que j'ay fait en la description de la généalogie de l'empereur et de la dicte royne, comme pour l'avoir fait éluminer pour envoyer audict seigneur empereur. Tesmoing mon seing manuel cy mis le XXe jour de décembre XV© trente-huyt. L. PANAGATHUS. »

«Je Liévin Panagathus confesse avoir receu la somme de xxiiij livres de Flandres que messeigneurs des finances m'ont tauxé et ordonné prendre et avoir pour mes paines et sallaire d'avoir escript et grossé en parchemin le traictié naguerres fait entre l'empereur et le duc de Clèves. Le iiije jour de janvier XV quarante-trois ».

A. Pinchart, qui a publié ces documents (1), a donné également le fac-similé de la signature de L.Panagathus: elle est d'une écriture claire et bien ordonnée, avec paraphe compliqué et grandes majuscules. Ceci serait, dit-on, un signe d'orgueil. Mais, ne nous aventurons pas dans le domaine de la graphologie.

D'Érasme qu'Algoet était allé revoir à Bâle en 1533 et à qui il avait rendu de menus services, arrivèrent aussi des témoignages tangibles de bienveillance. En la même année, le grand homme abandonna en faveur de son ancien secrétaire une partie des revenus de la prébende qu'il touchait à Courtrai; en 1535, le 17 août, il lui fit payer par Érasme Schetz la somme de cent carolins.

A vrai dire, Érasme exhale encore parfois sa mauvaise humeur contre son protégé. Et voici un plaisant spécimen de ses récriminations. En août 1533, Christophe de Stadion, évêque d'Augsbourg, avait chargé Algoet de conduire deux chevaux au célèbre écrivain. Celui-ci écrivit, le 31 août, à Boniface Amerbach : «< Mon Liévin qui n'a jamais rien fait d'après mon sentiment m'a amené deux chevaux au choix, de la part de l'évêque. Le matin, alors qu'il était déjà prêt pour le retour, il me dit que l'un d'eux, déjà avancé en âge, boîtait. Après son départ, l'autre se mit à boîter aussi et maintenant il m'est à charge. Que Dieu me débarrasse de ce drôle. »>

Mais il ne faudrait point prendre cette boutade au tragique. Les mauvais jours étaient passés. Aussi, quand le maître mourut à

(1) Voir PINCHART, Messager des Sciences historiques, 1854, p. 250; 1860, p. 139; 1861, p. 331, no 38.

Bâle en 1536, Liévin célébra-t-il ce triste événement par un chronogramme (1):

ORBIS GLORIA TOTIUS DECUSQUE

HOC QUIESCIT ERASMUS IN TUMULO.

En 1538, Nicolas Olahus quitta définitivement notre pays. Il rentra en Hongrie et fut sacré archevêque de Gran.

Algoet fut investi des fonctions de greffier de la chancellerie impériale et de héraut d'armes de l'empereur pour le comté de Flandre. Il assista, en cette qualité, en 1543, au siège de Duren. Un curieux document de sa main, publié par Gachard, montre la part qu'il prit à cet événement. Ceux qui ont assisté à l'entrée des Allemands dans nos villes, au cours de ces dernières années, liront avec intérêt cette page qui évoque, de façon saisissante, un épisode des guerres d'autrefois.

Relation de ce que Lévin Algoet, hérault d'armes de l'Impérialle Majesté, a besoigné vers ceulx de la ville de Duren, y estant envoyé par Sadicte Majesté avec ung trompette, le XXIIIme jour du mois d'aoust, l'an 1543 (2).

>> Comme ledict Flandres s'est allé devant les portes de ladicte ville environ les dix heures devant midy dudict jour, trouvant illec un capitaine, comme lui sembloit, entre autre soldars et paysans, a demandé après leur coronel; et icelluy capitaine luy demandant qu'il luy voulait, respondit que la Majesté Impériale, son et leur seigneur, luy avoit enchargé de luy et aux aultres de la ville signifier et déclairer aulcune chose de par S. M. illecq présente.

>> Sur quoy fust dict qu'il estoit dedans la ville, et icelluy capitaine, commandant à aulcuns harquebutiers et femmes estans hors la ville, du costel des rempars et schantskorben faites devant la porte, qu'ils se retirassent dedans, et aulcuns d'iceulx harque

(1) Chronogramme par à peu près le D n'étant point pris comme lettre numérale. Parut, dès 1537, dans Catalogus... operum D. Erasmi, Antverp., apud viduam Martini Caesaris, 1537, au verso du titre.

(2) GACHARD, Analectes historiques, 5e série, Compte-rendu des séances de la Commission royale d'histoire, 2o série, tome IX, Bruxelles,1857, p. 133-135. Copie du XVIIIe siècle, faite sur les originaux, aux Archives générales du Royaume.

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