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de faire le silence sur une affaire qui avait causé une telle émotion dans l'Église et dont on ne pouvait nier l'importance capitale. De plusieurs côtés on avait soutenu avec éclat ces deux propositions; Boniface n'a pas été pape légitime, il a été hérétique. D'illustres et vénérés personnages, des assemblées fameuses avaient partagé cette manière de voir. Pendant des années, des commissions pontificales avaient enquêté, entendu des témoins, et l'univers catholique était en proie à une excitation fébrile. Pareille affaire, qui n'allait à rien moins qu'à maintenir ou à rayer le nom de Boniface VIII sur la liste des papes, ne pouvait évidemment être considérée comme indifférente. Clément V s'était d'ailleurs engagé expressément à terminer l'affaire 1.

S'il n'en a rien dit, ni dans sa bulle d'indiction ni dans son discours d'ouverture, c'est qu'il aura jugé prudent de ne pas jeter dans l'assemblée dès le début une pomme de discorde, qui aurait pu effrayer les évêques timides et les éloigner du concile. Si à cette probabilité interne viennent s'ajouter des témoignages positifs externes établissant que l'affaire du pape Boniface a été terminée dans le concile de Vienne, l'argumentum ex silentio dont il était question plus haut n'est plus recevable. Le plus important de ces témoignages est le rapport de Duèze, évêque d'Avignon, dont nous avons déjà parlé, concernant la condamnation de [531] Boniface. Il en ressort que, dès le début, cette affaire faisait partie des questions soumises au concile. A ce rapport correspond le récit du cérémoniaire du pape sur la fin du concile et in fine fecit legi super domini Bonifatii quoddam edictum citationis, de quo mandavit fieri quoddam publicum instrumentum; in quo edicto fiebat mentio, quomodo alias Avenione hujusmodi edictum fecerat et illud iterato faciebat 2. A ces témoins il faut ajouter Jean Villani, de Florence, François Pipino, de Bologne, et l'auteur inconnu d'un manuscrit du Vatican, tous contemporains, et dont se sont inspirés saint Antonin de Florence, Trithème et d'autres 3. Le manuscrit du Vatican dit sommairement: Actum est (à Vienne) de statu militiæ Templorum, de facto Bonifacii VIII, etc. 4; François

1. Balan, Il processo di Bonifacio VIII. Discorsi due, Roma, 1881. (H. L.) 2. Ehrle, dans Archiv für Literatur- und Kirchengeschichte des Mittelalters, t. IV, p. 443.

3. Mansi, Concil. ampliss. coll., t. xxv, col. 403; Hardouin, Concil. coll., t. vII, col. 1353; Coleti, Concilia, t. xv, p. 36.

4. Baronius-Raynaldi, Annal., ad ann. 1311, n. 54.

Pipino raconte que les ambassadeurs du roi de France avaient demandé au concile l'exhumation et l'incinération du cadavre de Boniface, tenu pour hérétique 1. Enfin, d'après Jean Villani, « le concile déclara Boniface orthodoxe et nullement hérétique, comme le soutenait le roi de France; les trois cardinaux Richard de Sienne, Gentile de Montefiore et Jean de Murro (Namur) défendirent Boniface, en présence du roi et de ses conseillers, par des raisons juridiques et théologiques; deux chevaliers catalans, Caroccio et Guillaume d'Eboli, se déclarèrent prêts à soutenir en combat singulier l'innocence du pape. Le roi de France et ses légistes, voyant leur plan contrecarré, se contentèrent finalement d'un décret du pape relevant le roi de France de toute responsabilité du chef de sa conduite envers Boniface et l'Église 2. » Ce qui s'accorde parfaitement avec le récit du cérémoniaire du pape.

Ce fut peut-être aussi pendant le concile de Vienne que le célèbre jurisconsulte Gui de Baiso, archidiacre de Bologne et plus tard évêque de Rimini, composa sur les Templiers et pour la [532] défense de Boniface VIII un traité que nous possédons encore et dont Mansi a inséré la dernière partie (bien médioere, il est vrai) à la suite des actes du concile de Vienne 3.

701. Décrets et canons du quinzième concile œcuménique tenu à Vienne.

Dans sa bulle d'indiction et dans son discours d'ouverture au concile, le pape avait assigné, au nombre des occupations principales de l'assemblée, les mesures à prendre pour sauvegarder la pureté de la foi, et la publication de décrets pour la réforme et la protection des églises, des ecclésiastiques et de leurs privilèges 1.

1. Fr. Pipini chron., lib. IV, c. XLI, XLIX, dans Muratori, Rer. Ital. script., t. ix, p. 740, 748; également dans Mansi, Concil. ampliss. coll., t. xxv, col. 416, et dans ses notes sur Baronius-Raynaldi, Annal., ad ann. 1312, n. 13.

2. Dans Muratori, Rer. Ital. script., t. xIII, p. 454; Baronius-Raynaldi, Annal., ad ann. 1312, n. 15, 16; cf. Drumann, Geschichte Bonifaz' VIII, IIe part., p. 209 sq. 3. Mansi, Concil. ampliss. coll., t. xxv, col. 415-426.

4... et alia, quæ statum tangunt fidei catholicæ, ac reparationem, ordinationem et slabilitatem ecclesiarum et ecclesiasticarum personarum et libertatum eorum. Mansi, Concil. ampliss. coll., t. xxv, col. 373.

L'activité du concile, sur ce dernier point, est attestée par Ptolémée de Lucques qui mentionne comme troisième objet des délibérations: de reformatione Ecclesiæ1, tandis que le continuateur de la Chronique de Guillaume de Nangis parle d'une reformatio status universalis Ecclesiæ 2. Le témoignage de Bernard Gui est plus explicite encore : ac generaliter de reformatione totius status Ecclesiæ et conservatione ecclesiasticæ libertatis3, ainsi que celui du cérémoniaire du pape : reformatio morum et libertatis Ecclesiæ 4. Ces derniers témoignages et les paroles du pape nous font voir que les délibérations sur le troisième objet proposé au concile se divisent en deux parties : la réforme des mœurs et la protection des libertés ecclésiastiques. Cette supposition est confirmée par le fragment des actes dont nous avons parlé à plusieurs reprises. La composition de ce document nous montre que toutes les plaintes, réclamations, rapports et propositions présentés au concile par écrit ou de vive voix furent répartis suivant les pays et les provinces ecclésiastiques, puis classés sous des rubriques précises, sous des chefs déterminés, quia distincta potius possunt percipi et intelligi quam permixta. Toutes les propositions furent ensuite disposées en deux grandes catégories: quæ pertinent ad GRAVAMINA et quæ ad мORES. La première caté- [533] gorie est à son tour subdivisée en quatre points : 1o gravamina imposés indebite par les seigneurs temporels aux églises, aux gens d'Église, à leurs serviteurs et officiers; 2° gravamina provoqués par les exempts et retombant sur les prélats et leurs églises; 3o gravamina provoqués par des personnes privées; 4° gravamina provoqués par des prélats ou autres personnes et retombant sur les exempts. Ces quatre points se subdivisent à leur tour. Par exemple, le premier comporte six nouvelles subdivisions. Les gravamina provoqués par les seigneurs temporels consistent en ceci, que lesdits seigneurs : 1o réclament le droit souverain sur des terres ecclésiastiques; 2o usurpent souvent la juridiction ecclésiastique; 30 s'opposent à cette juridiction par des moyens illégaux; 4o laissent impunis les crimes commis par leurs sujets contre l'Église et les ecclésiastiques, et refusent d'entendre les plaintes des ecclésiastiques contre les laïques; 5o portent atteinte en personne ou par leurs officiers au

1. Muratori, Rer. Ital. script., t. x1, p. 1236; Baluze, Vitæ pap. Avenion., t. 1, col. 43.

2. Bouquet, Recueil des hist. de la France, t. xx, p. 604.

3. Bouquet, op. cit., t. xx1, p. 721; Baluze, Vitæ pap. Avenion., t. 1, col. 75.

4. Archiv für Literatur- und Kirchengeschichte, t. IV, p. 420.

droit d'immunité ou à la liberté de l'Église; 6o enfin molestent les églises et gens d'Église. De ces six subdivisions des gravamina, notre fragment n'aborde, dans sa première partie, que les trois premières, tandis que, dans la seconde partie, il expose les remedia à appliquer à chacune des six subdivisions. Il va sans dire que les trois autres divisions des gravamina furent discutées comme la première. Les rapports sur le vaste chapitre de la reformatio morum furent disposés également sous des rubriques précises. D'après ce fragment, nous pouvons conclure que discussions et délibérations touchant la réforme des mœurs et la liberté de l'Église se passèrent au sein de la grande commission choisie parmi les membres du concile. Sur elle donc retomba le travail le plus lourd et le plus grave en conséquences. Le résultat des délibérations fut alors transmis aux cardinaux. Quant aux délibérations et propositions provoquées par les remedia, elles eurent lieu, à mon sens, dans le comité restreint composé d'évêques et d'archevêques sous la présidence du patriarche d'Aquilée. Cette conclusion semble résulter de diverses remarques faites aux propositions, remarques qui supposent une discussion plus détaillée devant la grande commission, par exemple : loquendum est prælatis illius provinciæ et procuratori capitulorum1; — et loquendum est cum prælatis provinciæ Rothomagensis 2; deliberetur plenius 3; deliberetur 4. La remarque suivante est surtout favorable à cette thèse : Si tamen [534] mandet VESTRA SANCTITAS poni de verbo ad verbum in hoc quaterno, ponentur 5. Ceci ne peut s'appliquer au pape, mais assurément au président de la deuxième commission, le patriarche d'Aquilée. De même la remarque: mandat DOMINUS NOSTER dari et inveniri aliquam bonam formam per cancellariam 6. Enfin, relativement à la date de ces discussions sur ce troisième objet principal soumis au concile, on peut affirmer qu'elles s'ouvrirent au mois de décembre 1311, après le vote définitif sur l'affaire des Templiers. Le fragment déjà si souvent cité nous livre un aperçu tout nouveau sur l'activité du concile; néanmoins, après comme avant, il reste difficile de déterminer quels et combien de décrets

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1. Archiv für Literatur- und Kirchengeschichte des Mittelalters, t. iv, p. 404. 2. Ibid., p. 414.

3. Ibid., p. 410.
4. Ibid., p. 407.
5. Ibid., p. 415.
6. Ibid., p. 407.

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furent le résultat de ces minutieuses consultations et délibérations.

Le continuateur de la Chronique de Guillaume de Nangis soutient que de pareils décrets, quoique rédigés déjà par le pape, ne furent pas promulgués publiquement au concile, malgré les réclamations pressantes et réitérées des prélats, le Siège apostolique se réservant de statuer sur tous ces points 1.

La fausseté de cette opinion est évidente en regard de faits incontestables et de plusieurs témoignages contemporains dignes de foi. Raynaldi est dans le vrai lorsqu'il dit qu'une partie au moins des décrets sur la réforme et la foi furent promulgués sacro approbante concilio 2. Bernard Gui parle d'une manière générale de nombreuses constitutions publiées au concile 3. Le cérémoniaire du pape est plus clair et précis 4. Non seulement il énumère une série de décrets comme promulgués au concile, mais il ajoute que, vers la fin de la troisième session, le pape déclara vouloir qu'on tînt pour promulgués en concile les décrets non encore lus (ce qui [535] veut dire les décrets dont le contenu était arrêté, mais dont la rédaction définitive n'était pas encore fixée). Le concile désignerait une commission d'évêques chargés d'examiner ces décrets en détail et de les rédiger. Cependant ils n'auraient force de loi qu'après leur notification aux universités. Bernard Gui, dans un autre ouvrage 5,

1. D'Achéry, Spicileg., t. 1, p. 65 sq.; Bouquet, Recueil des hist. de la France, t. xx, p. 606. Porro etsi de reliquis statum vel reformationem Ecclesiæ universalis tangentibus, quod tertium principale intentum, aliqua prolocuta fuerint, et eorum ordinatio, seu, provisio, seu decisio a prælatis et aliis quorum intererat, priusquam concilium solveretur, et instanter et pluries a papa peteretur, de quibus etiam ipse papa, ut dixerunt aliqui, Decretales quasdam, præterea constitutiones edidit et statuta, numquam tamen in dicto concilio fuerunt publice promulgata, sed penitus judicio apostolico libere fuerunt reservata et ad plenum demissa.

2. Baronius-Raynaldi, Annales, ad ann. 1312, n. 23.

3. In quo (concilio) fuerunt multæ constitutiones editæ. Baluze, Vitæ pap. Avenion., t. 1, col. 59, 77.

4. Archiv für Literatur- und Kirchengeschichte des Mittelalters, t. iv, p. 441 sq. 'On trouve également mention des canons ou statuts publiés par le concile de Vienne dans le cinquième concile du Latran et dans Ptolémée de Lucques (Baluze, Vit. pap. Aven., t. 1, col. 54). Voici ce que dit le concile du Latran : In canone felicis recordationis Clementis papæ V, prædecessoris nostri, in generali concilio edito. Hardouin, Concil. coll., t. vii, col. 1719. Allusion faite à la première ordonnance des Clémentines dont nous parlerons bientôt.

5. Tractatus de tempore celebrationis conciliorum, dans Archiv für Literaturund Kirchengeschichte des Mittelalters, t. 1v, p. 456.

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