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Tout ce qui arrive aujourd'hui, nous l'avions prévu et nous l'avions annoncé à la tribune et dans les nombreux meetings où nous avons été appelés, soit à Lille, soit à Toulouse, soit à Bordeaux, soit à Argentan, soit partout ailleurs. Comment peut-on admettre qu'une contrée comme la France, qui, de tous les pays du monde sans exception, acquitté depuis sept ou huit ans les plus lourdes charges, puisse lutter sans compensation aucune, aussi bien au point de vue industriel qu'au point de vue agricole, contre l'Angleterre et l'Amérique qui ne supportent pas la moitié des impôts que nous payons? Comment admettre, quand notre nation supporte un budget de quatre milliards et demi, y compris les octrois, les prestations et toutes les charges incidentes, qu'elle puisse lutter contre les Anglais, qui ont un budget total de deux milliards sept cents millions, y compris les taxes locales, ou 80 francs par tête seulement; ou les Etats-Unis, dont l'habitant ne paye que 20 francs d'impôts par tête, tandis que nous devons compter 120 francs par tête en France ou 500 francs au moins par famille ?

Et bientôt n'aurez-vous pas à concourir pour les céréales avec les Indes, qui, avec leurs bas prix, peuvent, dès à présent, parvenir sur nos marchés? N'ont-elles pas une main d'œuvre avilie? Ne suffit-il pas d'une poignée de riz sans valeur pour nourrir un Indien? Aussi peuvent-elles nous fournir colza, lin, graine de lin, céréales de toutes sortes, etc., etc.

Mais, me dira-t-on, les distances qui nous séparent de ces lointaines contrées doivent s'opposer à ce que leurs produits arrivent sur nos marchés ! Ceux qui tiennent ce langage ignorent la puissance de l'industrie, des transports à la vapeur, et le bas prix auquel peuvent naviguer ces grands steamers, ces énormes et gigantesques colosses qui fréquentent aujourd'hui nos ports. Est-ce que les blés de la Californie n'arrivent pas sur le marché anglais après avoir parcouru trois ou quatre mille lieues tout aussi facilement que ceux de la mer Noire ou de la Hongrie ?

Déjà l'Angleterre, depuis longtemps, pour trouver des débouchés à son industrie, a ruiné, en adoptant le système du libre-échange, la culture du blé chez elle, et les cultivateurs anglais cessent de le produire. Dans les trois dernières années, la Grande-Bretagne a dû demander à l'étranger les deux tiers de son alimentation en blé : elle n'a plus récolté que le tiers de ce qui lui est nécessaire. Les rapports du Board of Trade sont là pour le prouver. Pendant qu'elle a importé d'au delà des mers 72,000,000 de quintaux, elle a produit seulement 39,000,000 de quintaux.

Que l'Angleterre puisse confier à sa redoutable puissance maritime la sécurité de l'alimentation de ses habitants, on le comprend sans peine : elle compte, à elle seule, parmi toutes les nations du monde, plus de navires de guerre et une flotte commerciale plus nombreuse dans son ensemble que toutes les puissances du globe réunies; elle peut donc, sans danger, confier à la mer les moyens d'existence de ses habitants; elle peut donc, sans péril, adopter un régime commercial tout différent de celui des autres peuples.

Mais ne serait-ce pas imprudence et folie pour la France de suivre les mêmes errements? Ne serait-ce pas manquer de sagesse et du plus vrai patriotisme pour la France, à qui Dieu a donné un sol et un climat qui peuvent assurer la vie et l'existence de ses habitants, que de les confier aux hasards de la mer ?

Oh! je ne le sais que trop, les théoriciens de l'école économique ne craignent pas d'affirmer, malgré tous les démentis que leur donnent chaque jour les faits, que les guerres sont devenues impossibles, et que, maintenant, tous les peuples sont frères. Ce sont là des utopies qui forment la fragile base des doctrines des Cobden, des Bastiat et des Michel Chevalier, doctrines que les faits ont constamment démenties depuis quinze années.

Ces conseillers malheureux de la politique économique de 1860 n'ont-ils pas déjà fait payer de plusieurs milliards à nos

populations ouvrières la seule application de leurs théories à la boulangerie? Sait-on ce qu'il nous en coûte aujourd'hui pour avoir livré la taxe du pain aux syndicats des grandes villes? Eh bien! Messieurs, c'est plus de un million de francs par jour que les consommateurs sont tenus de payer à la boulangerie pour prix de cette désastreuse liberté, soit plus de 365,000,000 de francs par an, c'est-à-dire plus que l'impôt foncier tout entier. On avait assuré que cette liberté ferait réduire le prix du pain, mais on avait compté sans les syndicats, qui commencent à défendre leurs intérêts avant de s'occuper de ceux des consommateurs, leurs commettants. Quand donc fera-t-on cesser ce déplorable abus?

Mais, je ne crains pas de le dire, en présence des événements actuels qui engagent notre marine militaire et nos troupes dans l'extrême Orient, dans des contrées situées à des distances immenses de nos côtés, la France doit, plus que jamais, favoriser la production des céréales et du bétail sur son propre territoire, et n'avoir recours aux importations étrangères que dans les années calamiteuses où un ciel inclément ne lui permet pas d'obtenir par les efforts de son agriculture toutes les denrées dont elle peut avoir besoin.

Mais, comme règle générale, le devoir de ceux qui nous gouvernent est de placer nos populations agricoles dans des conditions où elles puissent affronter la concurrence de l'étranger sans être condamnées d'avance à la ruine.

Eh bien! Messieurs, quelles sont ces conditions? Depuis vingt ans, je consacre toute ma force, tout mon dévouement à mon pays, tout mon patriotisme à les indiquer et à les défendre sur tous les points de la France: à Lille, à Toulouse, à Bordeaux, au Corps législatif, à l'Assemblée nationale, au Sénat, je n'ai cessé de faire toucher du doigt les dangers de la voie dans laquelle nous sommes entrés.

Mais c'est surtout depuis 1875 que le mal prévu est devenu plus profond; c'est depuis cette époque, où le budget se trouvait encore en équilibre, qu'ont été créées ces dépenses exor

bitantes, auxquelles les ressources ordinaires de nos finances ne peuvent plus suffire. C'est surtout la mise à exécution d'un plan de travaux publics insuffisamment étudié, qui a absorbé en dépenses en quelque sorte improductives le plus clair des ressources de la France.

Les conventions faites dans ces derniers temps avec les grandes compagnies de chemins de fer auront-elles pour résultat de rétablir l'équilibre du budget et de faire renaître le crédit public? La conversion de la rente, faite au milieu du désarroi des affaires financières, relèvera-t-elle les cours de la Bourse, affaissés depuis deux ans par l'exagération des dépenses d'Etat et les folies de la spéculation? Les emprunts d'Etat faits par l'intermédaire des grandes compagnies, pour le compte du Trésor, au moment où l'Etat empruntera pour son propre compte, rendront-ils au marché des fonds publics l'élasticité qu'il a complètement perdue depuis le commencement de 1882 ? Nous ne le pensons pas; nous sommes convaincus du contraire.

Que reste-t-il donc à faire? Eh bien! Messieurs, il faut courageusement mettre le doigt sur la plaie; il faut réviser ce plan fantastique des travaux publics, en retrancher tout ce qui n'est pas absolument indispensable, n'exécuter que les travaux productifs, comme votre chemin de fer, par exemple, et renvoyer à des temps plus prospères le complément de ces dépenses, qui ne peuvent s'élever dans leur ensemble à moins de 10 milliards, quoiqu'elles n'aient été dans le progamme estimées qu'à la moitié de ce chiffre colossal. En présence de la révélation de cette monstrueuse erreur de 5 milliards, il faut alléger le budget, il faut supprimer les dépenses qui ne sont pas urgentes et productives, et, avec ces économies, dégrever largement la propriété foncière, l'agriculture et l'industrie françaises des charges immenses qui pèsent sur elles, charges qui ne peuvent être comparées à aucunes de celles qui existent dans les autres pays, soit d'Europe, soit du NouveauMonde.

Depuis 1875, on nous avait annoncé des dégrèvements, mais tout cela est resté à l'état de promesse. Lisez le discours d'Eprunas de M. Léon Say, dans le département de Seine-etMarne il ne voit de salut pour l'agriculture que dans l'atténuation des charges directes ou indirectes qui pèsent sur elle; mais il se garde bien d'indiquer les moyens qu'il compte employer pour atteindre le but qu'il se propose. Il prône les dégrèvements, et, le même jour, il prête la main à ce plan fantastique qui doit entraîner la France dans une dépense de plus de 10 milliards. Et alors, de toutes parts, nous voyons les impôts s'accroître, car il n'est pas une de nos communes qui ne se trouve dans la nécessité d'augmenter le nombre de ses centimes pour faire face à toutes les obligations que les réformes ou entreprises nouvelles font peser sur elles.

De deux choses l'une ou des dégrèvements considérables doivent avoir lieu en supprimant une large part des travaux publics intempestifs qui sont entrepris sur toute la surface du pays pour y créer des lignes dont le produit ne payera pas la houille qui servira à conduire les trains, ou encore à ouvrir des ports inutiles dans toutes les anses et toutes les criques de nos côtes: ou bien l'étranger sera tenu d'acquitter sur ses importations des droits équivalents à ceux payés par nos agriculteurs sur tous les produits de nos fermes, céréales et bétail. Là seulement est le salut. Autrement, vous verrez la richesse publique diminuer chaque jour, le revenu du sol décroître, puis la gène et la détresse atteindre les ouvriers des champs. les fermiers, les cultivateurs et, finalement, les propriétaires de nos campagnes.

Est-ce qu'avant de porter ses produits ou de conduire ses bestiaux au marché, chacun de vous ne doit pas se rendre chez le percepteur pour acquitter l'impôt qui frappe sa ferme et qui surélève le prix qui revient de ses produits?

Est-ce que chaque sac de blé, chaque sac d'avoine, chaque animal, bœuf ou mouton, qui sort de la ferme, n'a pas à payer une partie des impôts qui frappent le sol ?

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