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PREMIÈRE PARTIE.

MÉMOIRES.

MÉMOIRE

SUR LES

LETTRES DE PIERRE DE LA BAUME.

DERNIER ÉVÊQUE DE GENÈVE.

(Lu à la Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève, dans sa séance de mai 1842.)

L'époque de l'histoire de Genève qui a précédé immédiatement la Réformation, est en général mal connue. Les matériaux ont manqué pour la décrire. De là le peu de développements que l'on trouve dans nos historiens sur les trente-quatre premières années du seizième siècle. Mais, ce n'est pas la seule chose à regretter dans leurs ouvrages, car ils ont un peu trop attribué notre Réformation aux causes générales qui ébranlèrent alors, dans toute l'Europe, l'édifice du catholicisme, et pas assez, aux circonstances particulières et locales qui sont venues s'y joindre.

On ne peut douter en effet que, sous les derniers évêques, presque tous parents ou créatures des ducs de Savoie, des raisons purement politiques n'aient fortement porté la communauté à désirer un autre état de choses. Ce n'était pas l'évêque, mais le prince qui déplaisait, et le papisme était encore dans sa force. Il suffirait, pour s'en convaincre, de voir le grand nombre d'érections TOM. II., PART. I.

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de chapelles et de dotations religieuses que présentent nos archives à la fin du quinzième, et au commencement du seizième siècle. A la mort même de Jean de Savoie, on voyait en présence les Mammelus et les Eidgnos, mais il n'apparaissait encore aucune trace de schisme religieux. Le clergé, que ses mœurs auraient dû déconsidérer, n'en conservait pas moins une immense influence, et, comme les chefs de la nation ne sentaient pas encore le besoin d'une amélioration dans le culte et dans les mœurs, il est permis de croire que, s'il eût été donné à Genève, après Jean de Savoie, un évêque à la fois sage, bienveillant, courageux et dévoué à ses devoirs pastoraux, la Réformation s'y serait encore longtemps fait attendre.

Les fautes et le caractère de Pierre de la Baume étant donc au nombre des causes de cette grande révolution, ou du moins en ayant avancé l'époque, j'ai cru devoir donner une attention particulière aux lettres de ce prélat, lesquelles abondent dans nos archives. Malheureusement la plupart sont sans dates d'années. Néanmoins, en ayant égard aux événements ou aux personnes qu'elles concernent, et en profitant des utiles travaux de M. Galiffe, j'ai analysé et réuni dans un ordre chronologique, avec assez de certitude, la plus grande partie de ces lettres, écrites de l'année 1521 à l'année 1534. Elles sont au nombre de 202, dont 106 adressées aux syndics, aux conseils et à la communauté; 13 au chapitre; 32 à Robert Vandel, secrétaire de la ville; 26 à Besançon Hugues, d'abord capitaine des Enfants de Genève, puis syndic; et 25 à Guillaume de la Mouelle, chambrier de l'évêque. M. Galiffe en a transcrit environ 70, en choisissant surtout celles qui sont relatives à l'affaire de Cartelier et qui sont réellement les plus importantes; mais beaucoup d'autres méritent aussi l'attention de celui qui veut étudier le caractère de l'auteur. J'extrairai de toutes ces lettres, en les rattachant à l'histoire et sans en changer le style, les fragments qui m'ont paru les plus caractéristiques.

Sur la fin de l'an 1520, l'évêque Jean de Savoie, déjà fort malade dans son abbaye de Pignerol, se donna, ou plutôt se

laissa donner pour coadjuteur de l'évêché, Pierre de la Baume, de la maison des comtes de Montrevel et abbé de Saint-Claude. Celui-ci vint se faire reconnaître à Genève le 21 janvier 1521, et retourna immédiatement à Pignerol, pour recueillir plus sûrement, avec le dernier soupir de l'évêque, les bénéfices que celui-ci avait résignés en sa faveur. C'est de ce lieu, et comme coadjuteur que De la Baume écrit ses premières lettres aux syndics et au chapitre, soit au nom de l'évêque, soit au sien propre, et pour différentes affaires, dont la plus importante est l'opposition des chanoines à payer une certaine taxe. On peut déjà voir, dans cette occasion, la faiblesse du coadjuteur, et ce manque de franchise qui le porta constamment, quand ses intérêts particuliers n'étaient pas compromis, à ménager les partis opposés. Tandis qu'il promet aux chanoines son appui, et les exhorte indirectement à faire valoir les immunités du clergé, il parle aux syndics comme s'il reconnaissait qu'ils sont en quelque sorte dans leurs droits, les invitant seulement à chercher quelque expédient pour appointer cette affaire.

Dans toutes ces lettres, qui passaient ou pouvaient passer sous les yeux de Jean de Savoie, il vante sans pudeur ce prélat, et ose dire aux Genevois, que les assassinats de Navis, de Blanchet et surtout de Berthelier émeuvent encore, qu'ils ont bien pu reconnaître le singulier amour et affection que leur porte Monsieur de Genève. Du reste, Pierre de la Baume parle de lui-même avec beaucoup de modestie dans ces premières lettres, et se recommande toujours de bien bon cœur aux syndics. Il affecte un grand zèle pour leurs intérêts, prétend qu'il a parlé de leurs priviléges au duc de Savoie, auprès duquel il a laissé de chauds défenseurs de la ville, et les assure enfin que quand ils le voudront en quelque chose, il ne délaiera pas de le faire.

Dans sa septième lettre au Conseil, Pierre de la Baume feint une profonde douleur, pour lui annoncer la mort de son protecteur: « Il me déplaît le plus fort du monde vous signifier le • malheur survenu à moi et à vous du trépas de Monseigneur a de Genève, que Dieu absolve, dont je suis autant regretteux

« que de chose qui me saurait advenir, considérant la grosse perte que j'y ai faite, et qui n'est pas moindre à vous et uni« versellement à toute la cité de Genève, dont je suis sûr que « n'en serez moins déplaisans, vu la grosse amour et affection qu'il a eue, en son vivant, à vous et à tous ses bons sujets, etc. » Il se croit ensuite obligé de faire l'éloge de la piété du défunt, piété bien tardive, si l'histoire est fidèle: « Soyez certains, dit-il,

qu'il a fait aussi belle fin que fit oncques prélat, car il a reconnu « et réclamé son Créateur et la glorieuse Vierge Marie, jusqu'au « dernier soupir qu'il a plu à Dieu le recueillir. » Enfin, il témoigne l'espoir que la cité de Genève n'aura pas pour lui-même moins d'affection que pour son prédécesseur.

Cependant, l'orgueil que lui inspire déjà sa crosse d'évêque, se décèle dans les lettres qu'il écrit en cette qualité. Il ne se recommande pas aux syndics, car il n'en a plus besoin, mais il leur donne le titre de féaux, qui rappelle la vassalité. Il ne les prie plus, mais il leur commande : « Nous vous ordonnons nous « envoyer toutes informations et procédures (au sujet de l'ou<< trage du Vidomne Conseil), pour icelles par nous vues, don« ner ordre par justice, ainsi que trouverons être à faire, et,

cependant, n'entendons que y procédiez plus avant, etc. — « Nous sommes fort ébahis, que ayez différé d'exécuter nos << ordres, etc. Nous vous interdisons et défendons, sous peine « de notre perpétuelle indignation, que vous n'ayez à injurier « nos sujets. » Or, remarquons qu'il s'agissait, dans ce cas, des Mammelus ou partisans du duc, qui n'étaient rien moins que les amis de l'évêque.

Tout en protestant de l'intérêt qu'il porte à son diocèse, Pierre de la Baume renvoie les affaires jusqu'à son arrivée dans la ville, où il ne parut qu'en avril 1523, quoique les syndics réclamassent sa présence. Il leur écrit le 15 mars: « Vous cer« tifions que le jeudi après Pâques ferons notre entrée à Genève << sans faute nulle, et la dimanche après dirons notre messe, « dont cependant, si d'autre chose nous voulez avertir, vous entendrons volontiers. » Il parut en effet en avril et quitta Ge

nève peu de temps après, quelque besoin que la ville dût avoir des soins pastoraux de son évêque, dont elle était depuis si longtemps privée. Au reste, quoique Genève ne fût pas sans agrément, puisque les princes de la maison de Savoie en recherchaient le séjour, Pierre de la Baume s'y trouva toujours mal à l'aise. Se sentant indigne de la place qu'il occupait dans l'Eglise, ou peutêtre honteux du rôle qu'on lui faisait jouer, il ne voyait pas les Genevois avec plaisir; aussi la plupart de ses lettres sont-elles empreintes d'une aigreur mal dissimulée.

Regardez au demeurant vous conduire en vos affaires si « bien que Dieu et le monde aient cause se contenter, sans « dorénavant mettre en peine ceux qui désirent votre bien et « l'entretien de la cité. Vous travaillez à l'énervation de notre autorité et n'entendons l'endurer en quelque sorte que ce « soit, etc. Tant par ce que autres façons de faire dont vous « usez envers nous et nos officiers, nous donnez assez à connaître a que voulez que vos volontés soient tenues pour lois en notre « cité, ce que à jamais ne permettrons pour chose qu'il nous en « doive advenir. Mais, à l'aide de Dieu et de nos bons Seigneurs

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et amis, y résisterons, et, en maintenant notre bon droit, « vous ferons entendre que sommes votre prince et seigneur, « ayant la justice et jurisdiction sur vous, pour punir ceux qui, « par rébellion ou autrement, l'auront mérité. »

Mais, il est bon de savoir en quoi consistaient tous ces outrages, dont se plaignait sans cesse le prélat. Quoique la communauté fit déjà, depuis quelque temps, des efforts, pour sortir de la tutelle où voulait la tenir le duc de Savoie, par l'entremise de l'évêque, il est certain cependant que, jusqu'à l'année 1533, elle respecta presque comme aux premiers temps l'autorité de celui-ci, et que Pierre de la Baume s'exagérait tout au moins les atteintes faites à ses droits. J'en pourrais trouver la preuve, soit dans quelques lettres du Conseil, soit dans les registres du temps, où l'on voit que rien d'important ne se faisait sans qu'on eût préalablement pris avis de l'évêque. Mais, pour avoir une preuve non contestable, je la tire de la lettre confidentielle que

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