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I. But du mémoire. Quand on recherche quels étaient, avant la réformation, les traits principaux de la constitution politique de Genève, le pouvoir qui se présente en première ligne est sans contredit celui de l'évêque, puisqu'il réunissait, à ses fonctions pastorales, les droits de prince séculier, sous la seule suzeraineté de l'empire.

Quel était le mode de nomination de ce seigneur à la fois temporel et spirituel : comment s'est établie, dans la suite des temps, la succession de ces évêques-princes, dont la domination viagère régissait à la fois l'Etat et l'Eglise, le for extérieur et le for intérieur? C'est là une question dont la solution importe à la connaissance de notre histoire, et qui m'a paru ne pas avoir été jusqu'ici suffisamment éclaircie.

II. Opinions des auteurs qui ont écrit sur l'histoire de Genève. 1. Bonivard dit, dans ses Chroniques de Genève, que « les Eves«<ques, qui estoient princes spirituelz et temporelz de la ville, « estoient (comme tous autres Evesques du temps passé), postulez << par le peuple, et esleuz par le chapitre et le clergé de la ville. » Plus tard, ajoute-t-il, « ils ne «< ils ne parvindrent plus par élection, ains par la volonté du pape; » mais il ne dit point à quelle époque on doit rapporter ce changement. Enfin, en parlant de Pierre de la Baume, dernier évêque de Genève, il dit que « luy, ny les

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<< autres Evesques qui n'avaient esté esleus par le clergé à la postulation du peuple, ains seulement fourrés au siége par le << pape, n'estoient légitimes pasteurs ny princes.» (Chroniq., éd. de Dunant. Genève, 1831, I, 17, 128, 136; II, 472.) — Quoique ces assertions tranchantes ne soient pas précisément en accord avec le droit canonique, cependant elles sont moins éloignées de la vérité que celles des auteurs du siècle suivant que nous allons mentionner.

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2. L'auteur du Citadin de Genève, voulant établir que la puissance et juridiction temporelle des évêques « était néan« moins limitée et restreinte, en telle sorte que plusieurs belles « marques de souveraineté, plusieurs bonnes reliques de l'an« cienne liberté, demeuraient devers le magistrat séculier, Syndiques et Conseil de la ville, affirme que l'élection et l'é<< tablissement des évêques se faisait par le peuple en conseil gé« néral, chacun y donnant sa voix d'approbation ou réjection. » (p. 52). Étrange système, qui méconnaît le caractère essentiel de l'évêque, celui de pasteur spirituel, de chef du clergé du diocèse, dans le choix duquel l'élément ecclésiastique doit par conséquent avoir sa légitime part; pour n'en faire qu'une sorte de magistrat, issu d'une élection politique pure et simple, à la manière de celles des républiques de l'antiquité! Quelle autorité le Citadin apporte-t-il à l'appui de son assertion? Uniquement la lettre par laquelle saint Bernard, félicitant Ardutius de sa promotion au siége de Genève, lui dit qu'il pense que son élection émane de Dieu, puisqu'elle a été faite avec un si grand consentement du Clergé et du peuple, tanto cleri populique consensu. Il fallait donc alors pour élire un évêque, le concours du clergé et du peuple, et le clergé était mis en première ligne.

3. Si le Citadin s'était trompé en attribuant au peuple un rôle trop exclusif dans l'élection de l'évêque, du moins avait-il, en rapportant lui-même le texte de saint Bernard sur lequel il se fondait, mis la réfutation à côté de l'erreur. Il n'en fut pas même de Leti, qui, dans son Historia Genevrina, a suppléé au silence de notre histoire dans les temps anciens, par un roman

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complet, dans lequel il a fait rentrer les faits connus par des documents authentiques, mais le plus souvent en les altérant; tissu d'inventions mensongères, où il semble que le faussaire ait voulu faire illusion, soit en multipliant comme à l'infini les détails imaginaires, soit en invoquant l'autorité de chroniques et relations manuscrites, dont l'existence n'est nullement démontrée, puisqu'elles sont demeurées inconnues à ses successeurs comme elles l'étaient à ses devanciers, et dont le plus léger examen aurait suffi d'ailleurs pour démontrer l'évidente et coupable supposition.

Leti est un auteur dont le livre est trop complétement décrié pour qu'il y eut lieu de s'y arrêter dans ce mémoire, s'il n'avait pas exercé de l'influence sur l'opinion généralement admise par nos historiens, au sujet de l'élection des évêques de Genève. Après avoir longuement raconté le mode d'élection de nombreux évêques, dont plusieurs n'ont jamais existé que dans les pages de sa prétendue histoire; après avoir rapporté le texte imaginaire du privilége que Charlemagne aurait accordé au peuple de Genève, et dont l'article 13 aurait confié l'élection épiscopale aux membres du clergé, assistés d'un nombre égal de chefs de famille pris dans le peuple (1); enfin après avoir

(4) XIII. Che all' elettione del Vescovo,che suol farsi dopo la morte del vivente, havrà parte il voto del Popolo insieme con quello del Clero, poiche essendo il Popolo il Gregge, ogni ragione ricerca che habbia parte alla scelta di quel Pastore che deve regerlo, e questo deve farsi con ugual proporzione, cioè dalle parte del Clero saranno esclusi dall' elettione i chierici semplici, nè saranno ammessi à dare il voto che i soli Sacerdoti, Diaconi, Sudiaconi, e altri officiali in dignità constituiti, e contato il numero di tutti questi, si piglieranno altretante persone dal Corpo del Popolo de' più vecchi, e dè più maturi tanto di quei che sono stati, come che sono nelle Magistrature, e cosi uniti insieme passeranno all'elettione del Vescovo successore, esortandoli in tal caso alla carità e alla concordia, e l'elettione essendo seguita, nè domanderanno la confirma dal Romano Pontefice, e daranno parte à noi, o nostri successori del tutto, con persona espressa. (Leti, Hist. Genev. Amsterd., 1686, I, 296.)

fait, aussi à sa manière, le récit des élections qui eurent lieu pendant les six siècles suivants, il arrive au passage du pape Martin Và Genève, en 1418.

Suivant Leti, Martin V aurait été reçu à son arrivée à Genève par l'évêque Jean de Pierrecise; celui-ci n'aurait pas tardé à être saisi d'une fièvre ardente, occasionnée par la fatigue; le pape aurait été voir deux fois l'illustre malade; mais le huitième jour, soit le 10 juillet 1418, l'évêque aurait succombé. Le 12 juillet, quatre des principaux membres du clergé, et quatre personnes du peuple, y compris deux syndics, se seraient présentés auprès du pape, pour s'entendre avec lui sur la réunion qu'ils devaient avoir pour l'élection du nouveau prélat; mais le pape aurait répondu « que le siége apostolique, c'est-à-dire le pontife « et le collége des cardinaux, se trouvant à Genève, il ne pou« vait y avoir d'autre réunion; et que lui et son collége pourvoi<< raient cette Eglise d'un successeur. Il ajouta que l'usage de « faire participer les séculiers à l'élection des évêques avait cessé « partout, et qu'il entendait qu'il en fût de même à Genève à « l'avenir. Le même jour, il publia une bulle dans son consis

toire, qu'il tint à cet effet dans le réfectoire du couvent des « Franciscains, par laquelle il ordonna qu'à l'avenir, à la mort « d'un évêque, son successeur serait élu par le chapitre seul. « L'abbé de Sainte-Agathe, qui a écrit la vie de Martin V, et qui « était avec lui à Genève, mentionne ainsi cette bulle: Datum « Geneva in refectorio S. Francisci ordinis minorum, die 12 a mensis Julii, pontificatus nostri anno primo. Le 17 du même « mois, dans son consistoire réuni au même lieu, il fit la nomi• nation des évêques d'Alexandrie et de Genève, et nomma à « cette dernière Eglise, Jean de Rochetaillée, évêque de S.-Papoul et patriarche d'Aquilée. » (Leti, II, p. 243, 244.)

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Tout est faux dans cet article, sauf la présence matérielle de Martin V dans Genève. L'évêque règnant à l'arrivée du pape, était Jean des Bertrands, qui ne mourut point pendant le séjour du pontife, mais fut par lui promu au siége archiepiscopal de

Tarentaise. Son successeur, Jean de Pierrecise ou de la Roche

taillée (ces deux noms ne sont que deux traductions diverses du latin Petrascissa) ne fut nommé à l'évêché de Genève que par bulle de Martin V, donnée à Turin vingt jours après son départ de Genève, soit le 23 septembre 1418. Il n'existe aucune trace de la prétendue bulle du 12 juillet précédent. Enfin, on ne trouve dans les vies des papes, dans les annales ecclésiastiques de Raynaldus, ni dans les bibliothèques d'auteurs ecclésiastiques, comme celles de Du Pin, de Richard et Giraud, etc., aucune mention du prétendu biographe de Martin V, l'abbé de SainteAgathe.

4. Dans ses Recherches sur les antiquités de Genève (ouvrage demeuré manuscrit), André Arlaud repoussa celles des fables ou des erreurs de Leti dont il trouvait la réfutation dans les autres travaux publiés sur l'histoire du pays; mais pareil à ces géographes qui, plutôt que d'avouer qu'ils ne connaissaient pas l'inté rieur de l'Afrique, remplissaient leurs cartes de cette partie du monde, de détails empruntés aux fictions de leurs prédécesseurs, il adopta, pour combler les lacunes de notre histoire, certaines assertions de Leti qu'il ne trouvait contredites par aucun des auteurs auxquels il pouvait puiser, et qui lui paraissaient appuyées sur des autorités invoquées avec assurance Ainsi, tout en laissant de côté la fable de la mort de Pierrecise remplacé par Rochetaillée, il reproduisit ce que Leti a avancé le premier de la réponse de Martin V aux citoyens, et de la bulle du 12 juillet 1418.

Arlaud fut copié par Bérenger, qui dit que « la forme d'é« lection de l'évêque par le peuple et le clergé, subsista jusqu'à « Martin V, » et qui, après avoir raconté la prétendue démarche des syndics et du chapitre auprès de ce pape, ajoute : Cette déférence, qui n'était pas un devoir, fit perdre au peuple un de ses plus beaux droits. » (Hist. de Genève, 1772, p. 48 et la note.)

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Bérenger fut à son tour suivi par Levrier (Chronol. hist. des Comtes de Genevois, 1787, II, p. 8, 9 et la note).

Sans reproduire l'anecdote relative à Martin V, M. Picot

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