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Guillaume de la Mouelle, serviteur de l'évêque et dévoué à ses intérêts, auxquels il était chargé de veiller dans la ville, lur écrivait en mai 1528, à l'occasion de ses plaintes:

Monseigneur, lui dit-il, j'ai reçu la lettre, laquelle a plu à « Votre Seigneurie m'envoyer, et quant à cela que en écrivez « touchant vos sujets, comme ils m'ont toujours dit, et encore « disent qu'ils n'entendent ni entendront avoir fait ni pensé chose « qui soit contre votre autorité et jurisdiction ecclésiastique, « et que, quand les aurez ouïs parler, Votre Seigneurie n'aura « cause de se mécontenter d'eux. Je suis allé à la maison de la a ville, pour leur dire ce que m'avez mandé et écrit, et, afin « de me mieux croire, leur ai montré ma lettre, sur laquelle « ne m'ont fait autre réponse sinon comme devant ai dit et « écrit; et quant à ce que m'écrivez que vous ne voulez perdre « votre jurisdiction pour leur plaisir, ont répondu que sans eux « elle n'eût point été perdue, mais que Monseigneur de Savoie « l'eût bien trouvée, et que jamais Votre Seigneurie n'en eût « été prince ni seigneur, et que, pour chose que l'on vous in«forme et rapporte, ne laisseront à faire leur devoir comme « bons et léaux sujets, si comme connaîtrez le temps à venir. « Et disent, outre plus, pour tant que m'écrivez qu'ils faudront « à leur entreprise, à cela m'ont répondu que jamais n'ont pensé << faire entreprise contre Votre Seigneurie, et qu'ils aimeraient « mieux jamais n'avoir été au monde que d'être tels, et que « ceux-là qui vous mettent telles fantaisies en la tête, qu'ils sont « méchants, et ne désirent sinon la division de vous et de vos « sujets. Monseigneur, quant à cela que m'écrivez qu'ai été bien <«<lent à vous en avertir, Votre Seigneurie peut bien savoir et « entendre que l'on ne peut écrire avant savoir de quoi; de vous « écrire mensonges, je ne le ferai, ni fis jamais. Je sais bien, Monseigneur, qu'il y a des gens qui ne cherchent si non de « me mettre en votre indignation. Je remets le tout à Dieu, etc. » Cette lettre, d'autant plus remarquable qu'elle paraît être celle d'un homme de bien, peut faire apprécier, à leur juste valeur, les griefs du prélat. Mais, il suffirait, pour en reconnaître

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l'injustice, de considérer que les syndics, dès l'avènement de l'évêque jusqu'à l'an 1533, ne cessèrent de l'engager à séjourner dans la ville. On dépouille un maître en son absence, mais on ne l'appelle pas pour être témoin du tort qu'on lui fait. Il y a donc tout lieu de croire que Pierre de la Baume n'aurait pu justifier le ton de reproche qu'il prenait contre la ville. Au reste, c'était un homme d'un caractère très-faible, et la faiblesse engendre le soupçon. Je le vois, dans ses lettres à Vandel, soupçonner Besançon Hugues, qu'il appelle ailleurs son fidèle ami. Il se défie de Vandel lui-même, qui me paraît, un moment au moins, n'avoir été que trop dévoué à ses intérêts. Enfin, son confident, Guillaume de la Mouelle, ne fut point à l'abri de ses soupçons, dont il se justifie dans des lettres que nous possédons. Je suis d'ailleurs porté à croire que, comme tous les gens faibles, l'évêque se vengeait sur les innocents, et déchargeait sur Genève l'aigreur que lui donnaient les mortifications du duc.

Il y eut cependant des époques où Pierre de la Baume, quittant son ton d'humeur, s'étudia à parler affectueusement à la ville. On l'en louerait, si les faits n'étaient pas là pour montrer que ce ton bienveillant était dicté par un vil intérêt, ou par désir d'endormir des soupçons mérités.

le

Au moment où le duc venait de mettre à mort Aimé Levrier, qu'il avait fait saisir dans la ville, Pierre de la Baume écrivait au Conseil « Ce n'est pas dès maintenant que nous nous sommes << aperçus de votre bon vouloir, et espérons que par ci-après

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vous continuerez de plus en plus. Et, de notre côté, vous con<naîtrez toujours par effet le bon vouloir que avons à vous et à « notre cité, sans y rien épargner, comme en brief entendrez par « mon official. » Et, dans la lettre suivante: « Ne nous est pos«<sible nous rendre à Genève, dont bien nous déplaît, mais ce << sera au plus tôt à nous possible. Entre deux, vous prions vous <«< conduire ainsi que savez bien faire, et que en avons en vous «fiance, et vous nous ferez singulier plaisir, lequel reconnaî« trons envers vous, assurés que sommes ne nous faudrez au < besoin. >

Comment ne pas signaler, en passant, l'inconcevable bassesse de cet évêque si susceptible, si impérieux avec ceux qu'il ne craignait pas d'humilier. Il supporte, sans mot dire, la plus cruelle injure du duc, la plus grave atteinte à ses droits. On assassine son sujet, parce qu'il n'a pas voulu reconnaître un autre prince que lui, et au moment même le prélat outragé s'en va faire sa cour à l'assassin. Il passa en effet une bonne partie du mois de juin 1524, à Chambéry, comme on le voit pas ses lettres, et ce fut sans doute sa conscience et la crainte d'un juste ressentiment plus que toute autre chose, qui, dès ce moment, le tinrent presque toujours éloigné de Genève.

Cependant, l'évêque va voir qu'il a besoin de ses sujets, pour empêcher le duc de le dépouiller complétement. Le trésorier Boulet, coupable tout au moins de malversations, s'est réfugié à la cour du duc. II réclame sa protection, et le duc saisit cette occasion de citer à sa barre les syndics de Genève. On les condamne par contumace, et l'on confisque leurs biens en Savoie, au moins ceux des syndics non ducaux; et tout cela se fait sans s'embarrasser de l'évêque. Quelque faible que soit celui-ci, il ne peut supporter qu'on ne lui laisse plus aucune autorité dans son diocèse, et pour regagner la popularité qu'il comprend avoir trop négligée, il consent qu'on fasse, en son nom, un appel à la cour de Rome. A cette époque le ton de l'évêque est singuliè rement affectueux, car il a besoin de ses sujets:

« Très-chers, bien aimés et féaux, leur dit-il en mars 1525, « nous avons reçu vos lettres et, vu le contenu d'icelles, sommes « été bien joyeux entendre le bon vouloir qu'avez à persévérer « le bien et utilité de notre cité; et vous mandons les lettres « que nous demandez pour cela faire, vous avertissant que, de << notre côté, nous y voulons aider de notre pouvoir. Et nous « ferez gros plaisir de souvent de fois nous avertir de tous oc« currents de par delà, ensemble de ce qu'il sera nécessaire « pour le bien et honneur de notre dite cité; et cela faisant, << nous trouverez tel que doit être un bon seigneur et prince, etc. >> Et ailleurs: «Très-chers et féaux, nous sommes avertis du bon

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« portement que faites journellement en la manutention de notre jurisdiction et franchise et liberté de la cité, dont vous savons « bon gré. » C'est absolument le contraire de ce qu'il disait dans quelques-unes de ses lettres précédentes. Cependant la marche des affaires n'avait point changé. Il faut même remarquer que l'époque était devenue plus critique pour l'autorité de l'évêque, vu les progrès de la réforme chez les Suisses, et les relations qui s'établissaient de plus en plus entre eux et Genève, choses dont Pierre de la Baume était d'ailleurs informé, puisqu'il répète plusieurs fois, dans ses lettres de 1525, qu'il est averti d'aucunes pratiques qui se mènent en Allemagne.

Mais, ses intérêts, vivement attaqués par le duc, ne lui ont pas seulement donné de la douceur; il va jusqu'à la déférence. Sur la proposition qui lui est faite par le président de Chambéry d'avoir recours à un arbitrage, il écrit aux Genevois : « Je n'ai voulu rien faire ni ferai sans votre avis, et ce qui vous

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<< semblera pour le mieux, pour la conservation de l'autorité « jurisdiction et franchise de l'Eglise, afin que, selon votre avis, « j'aie à prendre quelque bonne résolution, etc. »

La faiblesse du prélat, l'incertitude de son caractère, ne pouvait lui permettre de défendre longtemps, d'une manière digne, les droits de son siége. Il le quitte en novembre 1525, et se tient éloigné du centre des événements, comme s'il craignait d'être appelé à montrer quelque énergie; laissant ainsi le duc Charles III venir à Genève, pour y exercer d'abord des actes d'autorité, puis des actes de violence. L'intimidation causée par le Conseil des Hallebardes, le 10 décembre 1525, en fut un des résultats. Le duc, entouré d'un appareil imposant, n'eut pas de peine à se faire reconnaître seigneur et protecteur par ceux qu'il avait gagnés, dans un moment où le vrai protecteur de la ville se tenait caché, et n'osait pas même élever la voix contre un acte subversif de ses droits. C'en eût été fait de l'indépendance de Genève, si le duc fût resté dans la ville, ou plutôt si celle-ci n'eût compté parmi ses enfants des hommes d'une énergie remarquable. Les plus notables citoyens, Jean Bandières à leur tête, protestèrent

le 22 décembre, en présence des ambassadeurs de Fribourg contre ce qui s'était fait dans le Conseil des Hallebardes, déclarant qu'ils reconnaissaient comme gens de bien ceux qui se trouvaient alors au pays des Ligues, et qu'ils approuveraient tout ce qui serait conclu par eux pour le bien de la cité. L'évêque absent ne prit aucune part à ces faits, et même aucune lettre de lui ne parut dans ces circonstances. Mais le duc, alarmé de la démarche hardie de ceux qu'il croyait terrassés, ordonna à Pierre de la Baume de venir sur-le-champ occuper son siége, où il lui donna pour surveillants les seigneurs de Baleyson et de Saleneuve.Poussé par de tels conseillers, qui ne le laissaient pas même parler aux citoyens, Pierre de la Baume fut forcé de tenir le parti des ducaux, et déclara qu'il ne consentirait jamais à ce qu'on s'alliât avec Messieurs des Ligues. Mais, les patriotes ayant trompé la vigilance de ses gardiens, lui firent peu à peu comprendre l'avantage qu'il trouverait à s'unir aux citoyens, pour le rétablissement de son autorité, en sorte que, malgré la leçon qu'on lui avait faite, il se détacha du duc. L'arrivée de Besançon Hugues avec le traité, en février 1526, donna un nouvel élan à l'ardeur patriotique, et Pierre de la Baume ne pouvant plus résister, déclara qu'il ne s'opposerait point à l'alliance, si la communauté avait le droit de la contracter. Craignant après cela l'animosité du duc, il se retira à Saint-Claude, d'où il écrivit plusieurs lettres au Conseil, mais sans mot dire de la combourgeoisie avec les Suisses, qui était dans toutes les bouches. Il voulait sans doute éviter de se compromettre davantage auprès du prince. Mais, celui-ci connaissant son caractère ne désespéra pas de le soumettre de nouveau à son influence, et il y réussit par des menaces, dont parle l'évêque lui-même dans une lettre à Vandel du 17 décembre 1526: « Touchant la prise de Cartelier, je vous << envoie la lettre de mon procureur, lequel menace toujours de « Monseigneur le Duc, et que l'on doit laisser aller la jurisdiction « par crainte de lui. »

Comment s'expliquer sans cela la conduite extraordinaire de l'évêque dans le procès du traître dont on vient de parler, con

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