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DE

LA LÉGITIMITÉ

À L'AVÈNEMENT DE HUGUES CAPET",

PAR

PAUL VIOLLET.

I

Les hommes ne se défont que péniblement et avec une lenteur extrême des conceptions politiques auxquelles les siècles les ont habitués. Cette observation, l'histoire de l'Europe chrétienne ne la confirme-t-elle pas d'une manière frappante? Soumise jusqu'à l'invasion des Barbares à l'autorité de Rome, l'Europe ne perdit pas perdit pas le souvenir de cette forte unité romaine. Après trois siècles, le très puissant Charlemagne eut l'étonnante fortune de la restaurer. Son empire, il est vrai, fut promptement démembré; mais son œuvre ne périt pas tout entière. Sa

(1) Le sujet que je traite dans ce mé moire a déjà été abordé dans divers travaux fort remarquables que je dois mentionner avant tout Gerbert et le changement de dynastie, par Marius Sepet, dans Revue des questions hist., t. VIII, 1870; Histoire des institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens (987-1180), par Achille Luchaire, 2o édition revue et augmentée, Paris, 1891, 2 vol.; Mélanges carolingiens, par MM. Bardot, Pouzet et

TOME XXXIV, 1o partie.

Breyton (Bibliothèque de la Faculté des
lettres de Lyon, t. VII), 1890; Les
derniers Carolingiens, Lothaire, Louis V,
Charles de Lorraine, par F. Lot, Paris,
1891 (Bibliothèque de l'École des hautes
études, fasc. 87; je citerai bien souvent cet
excellent travail); Lettres de Gerbert (983-
997), publiées avec une introduction (de
la plus haute valeur) et des notes par Ju-
lien Havet, Paris, 1889.

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IMPRIMERIE NATIONALE,

Première lecture :

2 octobre 1891.

Deuxième lecture:

9 et 16 octobre 1891.

pensée surtout vécut. On s'était accoutumé à concevoir le gouvernement du monde à la façon romaine : par suite, toute vaste théorie politique supposait toujours un maître unique, un empereur. La renaissance des études de droit romain vint raviver ces souvenirs, si bien que les théoriciens des puissances indépendantes de l'empire éprouvèrent quelque embarras pour justifier l'autonomie absolue des rois, leurs maîtres. Ils s'arrêtèrent à cette combinaison de mots : « Le roi est empereur en son royaume. » C'est par ce détour, qui était lui-même un hommage rendu à l'idée de l'empire, qu'on parvenait à se débarrasser de l'empire, à établir sans conteste le principe de l'indépendance royale, à justifier enfin l'axiome célèbre : « Le roi ne tient son royaume que de Dieu et de luimême (2).

À l'aurore des temps modernes quelques réminiscences de cette conception de l'empire, si longtemps classique, étaient toujours flottantes dans les esprits.

Mais cette persistance de l'idée intéresse, après tout, le psycho

(1) Somme rural, liv. II, tit. 1, édit. de Lyon, 1621, p. 1107. Cf. Fr. de Launay dans Dupin et Laboulaye, Inst. cout. de Loysel, tit. 1, p. 30. Idée et formule analogues en Castille : « Vicarios de Dios son los reyes cada uno en su regno puestos sobre las gentes para mantenerlas en justicia et en verdad quanto en lo temporal bien asi como el emperador en su imperio. » (Alfonse le Sage, Siete partidas, part. II, tit. 1, loi 5, édit. de Madrid, 1807, t. II, p. 7.) Cf. Ed. de Hinojosa, Influencia que tuvieron en el derecho público de su patria..... los filósofos y teólogos Españoles, p. 46, note 1. Le rédacteur de Remontrances de la Chambre des monnaies, conservées manuscrites à

la Bibliothèque de l'Institut, n'en cherche pas si long et qualifie directement le roi de majesté impériale: Dient lesdits generaulx maistres des monnaies que au roy, à cause de sa couronne, auctorité et magesté royal et imperial, etc.» (Document de l'an 1458, à la Bibl. de l'Institut, collection Godefroy, t. CXLV, fol. 39 verso.)

(2) Cette formule n'avait rien de banal, comme on pourrait le croire. Il s'agissait de marquer l'indépendance du roi vis-à-vis du pape et de l'empereur. Voir les notes de Laboulaye et Dupin sur Loysel, Instit. cout., liv. I, tit. 1, règle 2 (20), t. I, P. 29, 30.

logue plus encore que l'historien. Celui-ci est amené à constater que toute chance d'une restauration, même temporaire, de la domination impériale sur l'Europe chrétienne s'évanouit, pour des siècles, à l'avènement de Hugues Capet. Le changement de dynastie, réalisé chez nous à la mort de Louis V, consomma la ruine irrémédiable du plan conçu par Charlemagne. Cet événement, qui soulevait, comme on le verra, une question de droit public très délicate, n'exerça d'influence facilement appréciable ni sur l'état social, ni sur le régime politique de notre pays. 987 marque donc une date moins importante peut-être dans l'histoire intérieure de la France que dans l'histoire générale de l'Europe.

J'explique ma pensée. Au xe siècle, les rois francs de race carolingienne n'avaient pas cessé d'aspirer cessé d'aspirer à l'empire. Ils étaient restés les dépositaires fidèles de la pensée de Charlemagne et de Léon III. Sans doute, la France et l'empire avaient été disjoints; mais, en revanche, depuis la mort de Louis l'Enfant (911), il n'y avait plus de Carolingiens allemands; le nom de Charlemagne, chaque jour grandi par la légende et par l'épopée, planait désormais sur une seule famille de rois en Europe, sur la famille des Carolingiens de France. Que la fortune daigne sourire un jour à quelque roi franc, entreprenant et ambitieux, ces qualités ne sont pas rares chez les princes du sang de Charlemagne, et l'on verra peut

être, aux acclamations des peuples, se rapprocher les tronçons désunis de l'empire et revivre un moment l'unité romaine, rêve obsédant pour des esprits qui ne pouvaient, à l'avance, deviner la fécondité et l'harmonie mystérieuse des forces et des activités nouvelles en formation dans les premiers siècles du moyen âge.

Cette restauration d'un puissant empire d'occident, toujours

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