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d'autres scribes, en Poitou et en Limousin, avaient protesté de la même manière contre les usurpateurs capétiens ("). Nous croyons saisir encore, en l'an 1009, un dernier et faible écho de ces accents légitimistes. À cette date, en effet, si toutefois Blondel et Mabillon ont bien lu et bien compris une charte non retrouvée aujourd'hui, un scribe de tempérament pacifique accolait au bas d'un acte, pour le dater, le nom du roi Robert et ceux de deux princes carolingiens, Louis et Charles (2). Bizarre effort d'un esprit conciliant? Témoignage indirect et isolé de quelque tentative carolingienne restée inconnue? Je ne sais.

Le sentiment du droit des Carolingiens se trahit dans l'en

(1) Baluze, Capit., t. II, 1677, col. 1534. R. de Lasteyrie, Étude sur les comtes et vicomtes de Limoges, p. 113, note 2, p. 115. D. Vaissete, Hist. de Languedoc, nouv. édit., t. V, col. 157, no 55.

(2) Actum anno Incarnat. Domini M VIIII, regnante Roberto et Ludovico et Carloino. (Mabillon, Annales Benedict., t. IV, p. 40, 41, liv. 49, no 94, ad annum 987. D. Bouquet, t. X, 1760, p. 145, note a.) Au tome X, les continuateurs de D. Bouquet substituent l'année MVIII à l'année MVIIII. Je n'ai pu retrouver la charte et je n'ai aucune observation à présenter pour l'une ou l'autre de ces deux dates. C'est grossir singulièrement et dénaturer les faits que de s'appuyer sur ce petit texte pour écrire ce qui suit : « Il est certain qu'en 1009, on reconnaissait encore dans le Limousin les fils de Charles, duc de Basse-Lorraine. (Devic et Vaissete, Hist. de Languedoc, nouv. édit., t. III, 1872, p. 200.) Et, à son tour, M. Varin : Le Midi, laissant pour la seconde fois son sceptre à des mains enchaînées, ne

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cessa jamais de reconnaitre le Karolingien prisonnier, et, après sa mort, recueillant. ses deux enfants au berceau, ainsi qu'il avait recueilli son aïeul cent ans auparavant, il les proclama, comme il avait proclamé Charles le Simple. (Varin, De l'influence des questions de races sous les derniers Karolingiens, p. 30.) Voilà ce que les historiens du Languedoc et M. Varin, dans une étude très remarquable d'ailleurs, ont fait sortir de ces deux lignes dont j'hésite un peu à me servir, tout en les ramenant au minimum de leur valeur. Les chartes d'Uzerche où elles ont été, nous dit-on, recueillies, prouvent que, dans cette région, les Capétiens étaient reconnus, à la fin du x siècle (je me réfère aux textes que publie M. Champeval, Cartulaire d'Uzerche, dans Bulletin de la Société des lettres..... de la Corrèze, 3o livraison, 1888, p. 516; 2 liv., 1890, p. 258, 262). Faudrait-il rapprocher de ce petit texte énigmatique et peut-être mal daté ces faits insuffisamment connus? «En 995, l'évêque de Laon conspira avec

tourage même des princes. Quelques fidèles de Hugues Capet songèrent, en effet, à demander à Charles de Lorraine, vaincu et prisonnier, l'engagement de ne jamais revendiquer pour lui-même le royaume de France : ils voulaient lui faire signer un acte par lequel il eût exhérédé ses propres enfants. Enfin un petit nombre d'annalistes traitent nettement Hugues Capet d'usurpateur (2).

L'usurpateur fonda une dynastie. Après l'échec de Charles de Lorraine, aucun prince carolingien n'osa, semble-t-il (3), disputer le trône à un Capétien. Le nouveau roi fit souche

Eudes I, comte de Chartres, pour livrer la France à Otton III.» Ils avaient probablement des desseins sur le jeune Louis (Lot, Les derniers Carolingiens, p. 281, 282). Les dates ne concordent pas; pas plus qu'avec le siège de Laon de l'an 999. Pourquoi cette expédition contre Laon en 999? (Voir ici Pfister, Étude sur le règne de Robert le Pieux, p. 59.) Dans le silence des textes les conjectures sont permises: quelque intrigue en faveur des Carolingiens pouvait encore, en 999, se jouer à Laon, sous l'inspiration d'Adalbéron, évêque de cette ville.

(Richer, IV, 49, édit. Guadet, t. II, p. 212. Bien plus tard, un sentiment analogue inspira au chroniqueur Odoran la fiction d'une cession du royaume par Louis V mourant à Hugues Capet; à l'auteur de la Chronique de Saint-Aubin d'Anla fiction d'une cession du royaume gers par Lothaire à Robert le Pieux : Lothaire aurait, en même temps, donné en mariage au prince capétien sa fille Constance (Lot, Les derniers Carol., p. 380.)

(2) Hist. Francorum Senonensis, dans Pertz, Script., t. IX, p. 367, 368. La ville

de Sens, où cette chronique fut composée, avait eu pour archevêque Séguin, ennemi de Hugues Capet. L'Historia Francorum Senonensis a été utilisée par plusieurs chroniqueurs postérieurs. Voir aussi Sigebert de Gembloux, Chronica, dans Pertz, Script., t. VI, p. 353. Le chroniqueur limousin, Adhemar de Chabannes, parle tout d'abord en termes fort respectueux de l'avènement de Hugues Capet, mais il ajoute : « Sane dux Aquitanorum, Willelmus, reprobans nequitiam Francorum, Hugoni subditus esse noluit, etc.» (Pertz, Script., t. IV, p. 128). L'auteur, remarque M. Lot, a évidemment utilisé deux sources différentes sans se préoccuper de faire disparaître les contradictions. Cf. Lot, Les derniers Carol., p. 210, note 2.

(3) J'introduis cette formule de doute parce que je songe à des événements mal connus de 995 et de 999. Lot, Les derniers Carolingiens, p. 281, 282. Enfin une expédition énigmatique contre Laon, en 999, donne bien à penser. (Voir Pfister, Études sur le règne de Robert le Pieux, p. 59 et ci-dessus, p. 270, note 2.)

et sa famille s'établit solidement. Les premiers Capétiens n'eurent pas beaucoup de peine à faire triompher à leur profit le principe de l'hérédité, car, si quelques docteurs et quelques évêques étaient hostiles à ce système politique, les transformations sociales et économiques lui étaient, au contraire, singulièrement favorables. En ce temps, les tenures terriennes se faisaient héréditaires, les charges publiques se faisaient héréditaires. L'hérédité répondait à un besoin, à un effort universel. Ébranlée au sommet, l'hérédité pouvait donc facilement se refaire au sommet. Loin de contrarier les instincts du siècle, elle était l'expression de ces besoins et de

ces instincts eux-mêmes.

II

Ces grandes lignes de l'histoire ne suffisent pas à notre curiosité. Nous voudrions pousser plus avant, interroger encore les consciences, y chercher le sentiment du droit. La vanité s'en fit, comme on le verra, la gardienne la plus fidèle.

Le courant d'opinion légitimiste, favorable à la dynastie déchue, courant d'opinion dont il ne faut pas, à coup sûr, s'exagérer l'importance, a laissé, longtemps après Hugues Capet, des traces curieuses. Peut-être même, à la fin du XIIe siècle et au XIII, lorsque le caractère purement héréditaire de la dynastie capétienne se fut dégagé avec une parfaite netteté, les Français de ces temps-là qui, bien entendu, concevaient le régime antérieur, celui du xe siècle, comme identique au régime sous lequel ils vivaient eux-mêmes, en vinrent-ils à considérer l'exclusion du descendant de Charlemagne comme plus clairement illégale et inconstitutionnelle qu'il n'était apparu à la majeure partie des contemporains de Charles de

Lorraine et de Hugues Capet. On éprouva, près de deux siècles après l'avènement du fondateur de la dynastie, le besoin de légitimer entièrement la race nouvelle, de légitimer cette race qui devait plus tard symboliser elle-même et incarner l'idée de la légitimité. Ce résultat serait obtenu, si on rattachait par un mariage la famille capétienne à quelque rameau carolingien. Un jour alors, un petit-fils de Hugues Capet se pourrait dire aussi petit-fils de Charlemagne. Ce mariage politique, unissant les deux familles de Charlemagne et de Hugues Capet, eut lieu, en effet, et même il fut renouvelé deux fois. Louis VII épousa " une descendante de Charlemagne, et Philippe-Auguste, son fils, fut salué du nom de carolide (2). Philippe-Auguste épousa lui-même une descendante de Charlemagne, issue d'Ermengarde, fille de Charles de Lorraine. Cette dernière union fut très remarquée. Plusieurs chroniqueurs la relatèrent avec

(") En troisièmes noces. D. Bouquet, t. XIII, p. 709, note a. Cf. H. d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne, t. I, p. 75, 131, 427.

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(2) Guillaume le Breton, Philippide, Dédicace, vers 28, édit. Delaborde, p. 3. «Et bien sachent tuit que cestui Philippes fu du lignage le grant roi Kallemaine. (Grandes chroniques de France, dans certains manuscrits, à la fin de la vie de Louis VII. -Note communiquée par M. Fr. Delaborde.) « Carolus... de cujus genere rex ipse noscitur descendisse» (Décrétales de Grégoire IX, II, 1, De judiciis, 13, Décrétale Novit, Innocent III). Pour ceux d'entre les modernes qui ont étudié de près l'histoire de ces grandes familles, cette préoccupation a de quoi faire sourire, car Hugues Capet lui-mème eût pu, paraît-il, prendre la qualification de carolide : son TOME XXXIV, 1" partie.

aïeul, le roi Robert I, aurait, en effet, épousé une certaine Béatrix de Vermandois, descendante de Charlemagne (voir A. de Barthélemy, dans Revue des quest. hist., t. XIII, p. 123). Mais cette parenté n'a pas occupé les esprits de très bonne heure. La préoccupation de l'origine carolingienne de Hugues Capet (origine autrement comprise qu'elle ne l'est par les modernes et tout à fait arbitraire) vint plus tard. Voir ici, notamment, Nicolle Gilles, Les annalles et cronicques de France, 1538, t. I, fol. 178 recto; Dominicy, Assertor Gallicus contra vindicias Hispanicas Chiffleti, Paris, 1646, p. 92-94; Guenebault fils (Ange des Ursins), Légitimité d'Hugues Capet prouvée par l'histoire, 3 article, dans La France historique, 1er avril 1853, p. 8-15, etc. Cette dernière élucubration sans valeur historique n'a qu'un intérêt de curiosité.

35

IMPRIMERIE NATIONALE.

joie Regnum in ipso redactum ad progeniem Caroli magni; De reditu regni Francorum ad stirpem Caroli).

C'était un événement très important, car la dynastie capétienne se trouvait par là non seulement légitimée, mais aussi consolidée dans l'opinion. Il existait, en effet, une ancienne et célèbre prophétie qui, sans doute, avait annoncé (après coup) la chute des Carolingiens, mais qui permettait d'entrevoir leur restauration et devait, par conséquent, jeter dans les esprits quelque inquiétude sur l'avenir de la dynastie capétienne. Les princes de la lignée de Charlemagne, disaient les historiens moralistes, ont grevé et molesté les églises. Or le Seigneur détruit les sièges des princes orgueilleux et fait seoir les humbles en leur lieu. Il transporte les royaumes de famille en famille, de gent en gent, pour les tors, pour les injures et pour les mauvaistiés (2). C'est ainsi qu'il a précipité du trône le descendant de Charlemagne et investi Hugues Capet de la couronne de France. Mais la lignée de Charlemagne est-elle donc exclue à jamais, est-elle exclue sans retour? La prophétie pouvait assez facilement être interprétée dans un sens favorable à une restauration carolingienne; car, si saint Valeri avait promis couronne à Hugues Capet, il avait ajouté que ses descendants seraient rois jusqu'à la septième génération (3) : ce qui pouvait être

(1) Gesta Ludovici VIII, dans D. Bouquet, t. XVII, p. 302, 303. Cf. t. XIII, p. 585. Vincent de Beauvais, Speculum hist., liv. XXX, chap. 126, édit. de Douai, 1624, t. IV, p. 1275, 1276. Paulin Paris, Les grandes chroniques de France, t. IV, p. 212-216. Cf. Notices et extraits, t. II, p. 301; Histoire littéraire de la France, t. XXI, p. 739.

(2) Paulin Paris, Les grandes chroniques, t IV, p. 216.

(3) Ex Historia relationis corporis s. Walarici, dans D. Bouquet, t. IX, p. 147; dans Pertz, Script., t. XV, pars 11, p. 693 695. On remarquera que ces préoccupations sur l'avenir de la dynastie ont laissé une empreinte ineffaçable jusque dans les registres du Trésor des chartes. Voir aux Archives nationales registre JJ 26, fol. 111° 1x vo. Joindre Gesta Ludovici VIII, dans D. Bouquet, t. XVII, p. 302, 303; Jacques de Guyse, Hist. du Hainaut,

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