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un droit héréditaire. Toutefois le royaume de France gardait une telle importance politique en Europe qu'on vit, dès l'an 1024, à la mort de l'empereur Henri le Saint, des princes lombards traverser les monts et venir offrir la couronne impériale d'Italie au fils aîné de Robert le Pieux"). Robert et son fils eurent la sagesse de décliner cette offre périlleuse, qui tenta un moment leur vassal Guillaume le Grand, duc d'Aquitaine (2). Le premier roi capétien qui ait jeté un regard de convoitise sur la couronne impériale, régnait deux siècles après Hugues Capet; c'est Philippe-Auguste (3). Quatre-vingts ans plus tard, Philippe III fut candidat à l'empire". Depuis Philippe III, cette ambition de l'empire n'a guère cessé de hanter l'esprit de nos rois. S'ils rêvèrent de l'empire, de bonne

saxonne jusqu'au roi Eudes: le point de départ exact de cet arrangement inexact pourrait bien être le mariage du père de Hugues Capet avec une princesse de Saxe dont la mère était de la famille de Witikind (cf. Widukind, Res gestæ Saxonicæ, I, 31, apud Pertz, Script., t. III, p. 430, 431). Cf., entre autres travaux, René Merlet, Essai sur les comtes de Chartres, de Châteaudun, de Blois et de Troyes au IX' siècle, appendice II, Origine de Robert le Fort, dans École des chartes, Positions des thèses, Prom. de 1891, p. 31-35. Raoul Glaber attache évidemment une importance politique à la parenté qui unit les deux nouvelles maisons de France et d'Allemagne : « ... protinus in unius consanguinitatis viros utriusque regni contigit devenire monarchiam. Erant ergo, ut jam commemoravimus, affinitate consanguinitatis regibus Saxonum uniti.. (Raoul Glaber, II, 1, édit. Prou, p. 26.) L'avènement de Hugues Capet marque

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(2) Cf. Pabst, Frankreich und Konrad der Zweite in den Jahren 1024 und 1025, dans Forschungen zur deutschen Geschichte, t. V, 1865, p. 350-361; Pfister, Études sur le règne de Robert le Pieux, p. 372, 373.

(3) Gervas. Derobern., dans D. Bouquet, t. XVII, p. 678. Raduf. Coggeshal, dans D. Bouquet, t. XVIII, p. 82. Joindre Forschungen zur deutschen Geschichte, t. VIII, p. 501, 502, 523, 649.

() Voir ici Langlois, Le règne de Phi· lippe III le Hardi, p. 64-70. Je remarque que l'épée de Charlemagne, Joyeuse, est mentionnée pour la première fois dans la description du couronnement de Philippe le Hardi. Si Joyeuse ne se montre qu'à cette date, il faudrait peut-être rattacher son apparition aux préoccupations impériales de Philippe le Hardi. L'épée dite

heure aussi on en rêva autour d'eux. Ils vivaient près du roi, peut-être près du roi Philippe-Auguste, ces hommes curieux et avides d'inconnu, qui, au XIII° siècle, s'essayèrent à déchiffrer l'avenir mystérieux de l'empire et du royaume de France. L'empire durera jusqu'à la fin du monde. C'est le roi des Romains qui terrassera les hordes formidables levées par Gog et Magog. Lorsqu'il les aura abattues et détruites, usque ad internecionem, les temps seront proches. L'empereur alors viendra à Jérusalem. Déposant sur la tombe du Christ sa couronne et ses ornements impériaux, il délaissera l'empire à Dieu relinquet Deo regnum. Dieu régnant, eo regnante, Élie et Énoch apparaîtront. Ils annonceront l'arrivée du Christ; ils seront ensuite mis à mort par l'Antéchrist et ressusciteront en trois jours. Des maux effroyables s'abattront sur la terre. Et le Roi éternel viendra juger les vivants et les morts. Ainsi très régulièrement finira, avec l'histoire du monde, l'histoire de l'empire.

:

Cependant un roi de France aura-t-il eu, avant la fin du monde, le bonheur de ceindre la couronne impériale? Notre texte, comme il convient, est obscur. La puissance d'un des trois grands rois de France, qualifiés par le prophète de rex salicus), ressemblera à celle de l'empereur romain. Devant ce rex salicus, juste, miséricordieux et fort, les arbres inclineront leurs cimes; vers lui les eaux courront d'elles-mêmes. Similis autem imperio romano ante eum rex non fuit, nec post eum

de Charlemagne conservée aujourd'hui au Louvre remonte, suivant M. Courajod, au XI ou au XII° siècle, M. Robert de Lasteyrie pense que le pommeau de l'épée est d'art français et peut être d'origine karolingienne (Bulletin des antiquaires, 1891, p. 164, 165, 173, 190.) Dessin de cette épée dans

D. Félibien, Histoire... de saint Denys, pl. IV, p. 542, épée cotée R; dans Barbet de Jouy, Gemmes et joyaux, pl. 3.

(1) Les mots rex salicus désignent un salien, comme le prouve ce passage: « ex una parte Salicus, ex altera Longobardus ».

similis erit. Ce potentat salien sera-t-il empereur ou seulement ressemblera-t-il à l'empereur, similis imperio? Qu'il me soit permis d'hésiter.

Cette hésitation, elle était dans les esprits au XIIIe siècle. Notre prophétie en est la preuve. Elle dérive, en effet, d'un texte du xe siècle où éclate, au contraire, la foi en l'empire franc. Dans cette prophétie du xe siècle, te dernier empereur, celui qui, sur la montagne des Oliviers, déposera, à la fin du monde, son sceptre avec sa couronne, celui-là est un Carolingien, roi des Français (2). Rien de semblable dans la version du xiir siècle. Avec les Carolingiens s'est évanouie cette ferme confiance en l'avenir. Elle a fait place à un vague espoir que traduisent des phrases volontairement obscures.

Prophétisée au XIIIe siècle, l'histoire de la royauté française est écrite aujourd'hui. Le passé est plus aisé à lire que l'avenir. La fortune des Capétiens n'a plus pour nous rien de mystérieux. Il était, nous le savons, dans leur destinée de réussir à poser sur leurs fronts toutes les couronnes, excepté précisément

(") Voir le texte complet de cette prophétie dans JJ 26, fol. 'Ix r° et vo (Archives nationales). De ce rex salicus de notre prophétie rapprocher peut-être le grand monarque de stirpe regis Karoli et de domo regum Francie dont parle une légende bavaroise citée par M. Lot (Revue hist., t. XLVI, p. 69.) Je me suis demandé aussi si le rédacteur n'avait pas songé à Philippe-Auguste dans le tableau pompeux du rex salicus que je résume dans le texte. Cette version de la prophétie eût été, dans cette hypothèse, composée au temps de Philippe-Auguste. « Unus ex regibus Francorum » (Migne, Patrol. latine, t. CI, col. 1295).

(2)

Comparer un texte qui doit peut-être être considéré comme intermédiaire entre celui d'Adson et le nôtre, dans Hauréau, Notices et extraits de quelques manuscrits latins de la Bibl. nat., t. I, p. 371. En Bavière, au XIIIe siècle ou au commencement du XIV, une prophétie annonçant un grand empereur réformateur, de stirpe Karoli et de domo regum Francie, appelé lui-même Charles, circulait encore, comme je l'ai dit plus haut en note (Pertz, Script., t. XXIV, p. 285, note 2). Cela aurait-il été arrangé au moment où Charles de Valois, reconnu par le pape empereur d'Orient (pur titre), était candidat à l'empire d'Occident (1308)?

celle de l'empire d'Occident. Il était dans leur destinée, non pas d'apporter à l'idée de domination universelle, c'est-à-dire à l'empire, l'appoint redoutable des forces de la France, mais, tout au contraire, d'opposer à l'unification de l'Europe occidentale par l'empire par l'empire un obstacle insurmontable, la France; à l'empereur, « roi des rois et élu de Dieu pour réunir tous les empires séparés ()», un adversaire toujours en éveil, le roi de France.

("Balzac, Le Prince, chap. xx, édit. L. Moreau, t. I, p. 111. Balzac prétend que cette inscription figurait, de son temps, sur le frontispice d'un palais en Lombardie A Philippe II, roy des roys, Espagnol, Afriquain, etc., esleu de Dieu pour réunir tous les empires séparez. » L'authenticité de

cette inscription n'a aucune importance pour moi. Ces expressions caractérisent fort bien non le roi d'Espagne, mais l'empereur, et je m'en sers tout simplement comme d'expressions de Balzac, expressions que cet auteur applique, lui aussi, à l'empereur.

DE

L'ANCIENNE CROYANCE

À DES MOYENS SECRETS

DE DÉFIER LA TORTURE,

PAR

EDMOND LE BLANT.

Depuis les temps antiques jusqu'aux siècles derniers, un grand nombre de textes relatifs à la suite des affaires criminelles parlent d'accusés supportant sans faiblir, et même sans douleur apparente, les angoisses de la torture. Parfois, comme le fait Ulpien et, avec lui, un jurisconsulte du xvio siècle, Paul Grillandus, on attribue au courage, à la vigueur des patients leur invincible résistance"); mais, le plus souvent, on y voit le signe d'un secours surnaturel et, suivant la pente des esprits, l'aide de Dieu ou celle du démon. C'était ainsi que les païens soupçonnaient quelque œuvre magique devant cette constance des martyrs où les chrétiens reconnaissaient une marque de l'assistance divine; c'est ainsi que, moins loin de nous, et en racontant le supplice de Baltazar Gérard, l'assassin de Guillaume de Nassau, Louis Aubery écrit les lignes suivantes :

« Et lorsqu'on lui arrachoit la chair de dessus les membres avec des tenailles ardentes, il ne fit jamais aucun cry et. ne poussa pas même le moindre soupir; ce qui fit croire aux Hollandois qu'il étoit possédé du diable et aux Espagnols qu'il

(1) Ulpien, 1. I, De quæstionibus, § 23 (Digest., lib. XLVIII, tit. xv); Grillandus, Tractatus de judiciis criminalibus, 1536, in-8°, f° xcvIII.

re

TOME XXXIV, 1 partie.

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IMPRIMERIE NATIONALE,

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