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Le verset Jesus autem transiens per medium eorum ibat est de ceux que je vois le plus souvent répétés. Inscrit dans plusieurs textes cabalistiques, il se retrouve sur les nobles d'or frappés en Angleterre au temps d'Édouard III. On s'est étonné de cette légende sans analogue sur les monnaies et des conjectures très diverses ont été proposées au sujet de sa présence. J'y reviendrai dans un autre travail, me bornant à dire moi, les pièces d'or qui la portaient devaient être tenues pour des phylactères.

que, selon

JEANNE PAYNEL

À CHANTILLY,

PAR

M. SIMEON LUCE.

Première lecture:

Deuxième lecture:

22 avril et 6 mai 1892.

Un jour viendra certainement, et puisse ce jour être aussi éloigné que possible, où les historiens qui ont l'honneur de 8 et 13 avril 1892. faire partie de l'Institut de France ne pourront échapper à l'obligation de retracer les annales de Chantilly. Et quand nous disons annales, nous n'entendons parler que de la période du moyen âge, puisque l'illustre historien des Condé s'est chargé lui-même, nous savons tous avec quel succès, d'accomplir la tâche pour les temps modernes. L'occasion s'étant offerte à l'auteur du présent travail d'apporter sa pierre pour l'édifice qui doit s'élever dans un avenir plus ou moins prochain, il l'a saisie avec empressement; et dans le nombre des hôtes plus ou moins considérables de Chantilly vers la fin du règne de Charles VI, il a fait choix d'un personnage qui lui a semblé à sa taille. Ce personnage fut une petite mineure, une damoiselle d'un âge si tendre que c'est à peine si elle sortait de l'enfance à la date du document le plus récent où nous la voyons figurer.

Mais cette damoiselle mineure appartenait à l'une des premières familles du royaume. Elle portait le même nom et le même prénom que sa cousine germaine, mariée dès lors à Louis d'Estouteville, le futur défenseur du Mont-Saint-Michel,

laquelle fut appelée plus tard à recueillir sa succession. Elle s'appelait Jeanne Paynel. Or, après les Harcourt, représentés aujourd'hui encore par plusieurs branches, après les Bertran qui s'éteignirent avant la fin du xiv° siècle, il n'y eut point pendant toute la durée du moyen âge de nom mieux porté que celui de Paynel dans l'aristocratie bas-normande. Aussi puissants depuis l'expédition de Guillaume le Conquérant au delà qu'en deçà du détroit, ils ont laissé ce nom subsistant jusqu'à nos jours à deux localités, Newport-Paganel en Angleterre, la Haye-Pesnel en France. Haut de plus de cent pieds et flanqué de sveltes tourelles, le donjon carré de Hambye, assis au sommet d'un monticule qui domine le cours de la rivière de Sienne, le plus beau peut-être de toute la Normandie, au témoignage de M. de Gerville qui le vit encore debout pendant les premières années de ce siècle lorsqu'il revint de l'émigration, était le digne emblème de la puissance féodale de ses

maîtres.

Les documents où les curieux détails qui vont suivre sur l'enfance de Jeanne Paynel ont été puisés méritent une mention spéciale. Ce sont des actes du Parlement et en particulier des registres de plaidoiries où l'on prenait soin d'analyser séance tenante, soit les plaidoiries prononcées, soit les mémoires écrits présentés par les avocats de chacune des parties. Nous connaissons un érudit très familier avec nos archives judiciaires qui aime à répéter que ces plaidoiries des xive et xve siècles nous offrent l'un des plus parfaits modèles de notre vieille langue, du moins dans le genre familier. Si ce n'est point précisément le plus parfait, c'est à coup sûr l'un des plus dignes de l'attention des philologues. En effet, le lecteur qui ne se laissera point rebuter par le mauvais latin juridique dont sont farcis beaucoup de passages sera bien vite frappé de la

hardiesse, de la rapidité et de la concision des tours, de l'originalité des images, du nerf, de la saveur, parfois même de la nouveauté de l'expression. Malheureusement, il faut être non seulement un homme du métier, mais même un paléographe très exercé pour parvenir à déchiffrer l'écriture extrêmement cursive et chargée d'abréviations, on serait presque tenté de dire le grimoire des greffiers du Parlement qui ont ainsi résumé à la hâte et comme en courant les raisons présentées de part et d'autre par les plaideurs; et l'un de nos savants confrères, M. Auguste Longnon, qui s'est servi naguère de ces résumés pour restituer certains épisodes de l'existence aventureuse de François Villon, sait, comme l'éditeur de Nicolas de Baye, M. Alexandre Tuetey, et comme nous-même, combien il y a d'efforts à faire si l'on veut arriver pour chaque mot à une transcription absolument sûre et exacte.

Transportons-nous par la pensée, après lecture attentive des plaidoiries dont nous venons de parler, aux environs de Noël 1413. Foulque IV, chef de la branche aînée des Paynel, vient de mourir. Il a été en son vivant un fort grand seigneur, et pour nous servir des expressions mêmes du greffier du Parlement, « moult noble et puissant ». Marié à une Bretonne, Marguerite de Dinan, il laisse en héritage à Jeanne sa fille unique, non seulement Hambye, mais encore le domaine de Bricquebec apporté aux Paynel par Jeanne Bertran l'aînée, son aïeule, et situé plus au nord de la presqu'île cotentinaise, entre Coutances et Cherbourg. Ce magnifique héritage rapporte, selon les uns, six mille, selon les autres, quatre mille livres, et, d'après le calcul de la chancellerie anglaise en 1418, trois mille cinq cents écus de revenu annuel.

Quoique Jeanne ne soit âgée que de quelques semaines seulement, la garde de cette riche héritière appartient, d'après la

coutume de Normandie, non à la mère, mais au roi de France. Les parents et amis de la veuve de Foulque IV voudraient faire donner cette garde au vieux Jean Paynel, seigneur de Bricqueville-sur-Mer, près Coutances, grand-oncle de la mineure. Ils échouent dans leur projet par suite de l'opposition des deux frères survivants du défunt, Nicolas Paynel, seigneur de Moyon et de Chanteloup, ce dernier fief situé à peu près à mi-chemin de Coutances et de Granville, et Bertrand Paynel, seigneur d'Olonde, gentilhommière depuis longtemps transformée en ferme qui a donné son nom à une branche cadette des Harcourt et que l'on aperçoit de nos jours encore sur la route de SaintSauveur-le-Vicomte à Portbail. Très influent à la cour, grâce au mariage de sa fille unique appelée aussi Jeanne, qui vient d'épouser Louis d'Estouteville, fils aîné de Jean, seigneur d'Estouteville, grand bouteiller de France, et de Marguerite d'Harcourt, et se trouve être à ce titre la propre cousine du roi Charles VI, Nicolas Paynel réussit à se faire attribuer la meilleure part de la garde, c'est-à-dire la gestion des seigneuries et l'administration des biens. Il obtient cette part à la seule condition de verser annuellement au Trésor une somme de trois cents francs. C'est, comme on le voit, une opération conclue tout à l'avantage de l'oncle, moins préoccupé de sauvegarder les intérêts de sa nièce que d'accroître sa fortune personnelle aux dépens d'une mineure sans défense. Bertrand Paynel, moins riche et moins influent, doit se contenter d'une part plus modeste consistant dans la garde de la personne de Jeanne avec le titre et les émoluments de capitaine de Bricquebec. Mais ce n'est pas pour rien que ce cadet de Normandie est doué d'un esprit subtil et libre de scrupules : il entreprend aussitôt d'améliorer la situation qui lui a été faite, de telle sorte que le procureur du roi pourra dire des parents au cours du procès,

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