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Combien la nef avait-elle de travées ?

Il n'est pas aisé de le déduire du texte de Grégoire de Tours. Il s'exprime en effet ainsi : Habet fenestras in altario xxxII, in capso xx; columnas XLI; in toto edificio fenestras LII, columnas cxx; ostia VIII, tria in altario, quinque in capso (1).

Or il y a une lacune dans cette énumération, car elle nous fait connaître le nombre total des fenêtres et des portes et le nombre qui en revient aux deux parties principales de l'église,

Fig. 7.

Restitution proposée par Quicherat pour la basilique de saint Perpet.

le sanctuaire et la nef. Mais, en ce qui concerne les colonnes, elle mentionne seulement leur chiffre total cent vingt, et le nombre partiel qui en existait dans l'une des deux parties de l'église; nous ignorons si ce nombre partiel de quarante et une colonnes doit s'appliquer à la nef où au chœur.

(1) Hist. Franc., 1. II, c. i4.

Charles Lenormant a pensé que c'était à la nef, ce qui donnerait soixante-dix-neuf colonnes au chœur.

Quicherat soutient au contraire que c'est la nef qui devait en avoir soixante-dix-neuf et le sanctuaire quarante et une. Mais la raison qu'il en donne est faible. Elle consiste à dire que Grégoire de Tours donnant le pas, dans le reste de sa phrase, au sanctuaire sur la nef, c'est à la nef que doit s'appliquer le sous-entendu, s'il a jugé à propos d'abréger son discours (1),

Pour moi, je raisonnerai tout autrement. Il y a dans cette phrase une lacune trop manifeste pour qu'on puisse la croire intentionnelle. Elle ne peut résulter que d'une inadvertance de l'auteur, ou d'une faute de copiste. Grégoire a certainement voulu indiquer le nombre de colonnes du sanctuaire d'abord, puis de la nef, de la même façon qu'il a indiqué le nombre de fenêtres et de portes d'abord du sanctuaire, puis de la nef. Il a écrit ou voulu écrire ceci : Habet fenestras in altario xxx11, in capso xx; columnas [in altario] XLI, [in capso LXXIX], ou plutôt columnas [in altario LXXIX, in capso] XLI. C'est cette seconde hypothèse qui paraîtra la plus vraisemblable à toute personne habituée à se rendre compte des fautes introduites par. les copistes dans nos vieux textes; car elle suppose une lacune unique qu'on s'explique plus aisément que ces deux omissions consécutives entre lesquelles le copiste n'aurait gardé que le chiffre XLI (2).

Restitution de la basilique de SaintMartin, p. 5; Mélanges, p. 34.

(2) Toutefois cette lacune pourrait n'être pas imputable aux copistes des manuscrits, si l'on admettait avec Quicherat (Restitution, p. 32; Mélanges, p. 61) que Grégoire de Tours n'a fait que reproduire ici une des inscriptions de la basilique; car, dans

le recueil qui nous a conservé ces inscriptions, la même lacune existe, ce qui pourrait donner à penser que l'original était en partie mutilé. Mais les deux meilleurs juges en la matière, M. Le Blant (Inscript. chrét. de la Gaule, t. I, p. 245) et M. de Rossi (Inser. christ. urbis Roma, t. II, p. 187) se refusent, avec raison, je crois,

J'ai d'ailleurs une autre raison pour croire que le chiffre XLI indique le nombre des colonnes de la nef et non du chœur. Elle me paraît si forte que je ne puis comprendre comment elle ne s'est pas imposée du premier coup à l'esprit de Quicherat. Grégoire nous apprend que la nef était éclairée par vingt

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Restitution proposée par Quicherat pour la basilique de saint Perpet.
Élévation de la nef.

fenêtres. Si l'on en suppose deux percées dans le mur de la façade au-dessus du narthex, il en reste dix-huit à partager entre les deux côtés de la nef, c'est-à-dire qu'il y en avait neuf de chaque côté, et comme dans nos églises d'Occident il y a toujours une fenêtre par travée, la nef de Saint-Martin avait neuf travées. Or, pour porter neuf travées, il faut dix colonnes.

à voir un texte épigraphique dans la notice qui clôt le recueil des inscriptions, et qui,

d'après M. Le Blant, serait évidemment empruntée à l'historien ».

Il y en avait donc vingt le long de la nef, ce qui, avec les vingt des tribunes que Quicherat suppose avec assez de probabilité au-dessus des bas côtés, nous donne le chiffre de quarante.

C'est, on le voit, à une unité près, le chiffre des colonnes appartenant à la nef. Or l'unité manquante importe peu, car Quicherat a fort bien montré que cela doit être une faute de copiste et qu'il faut sans doute donner quarante colonnes d'une part et quatre-vingts de l'autre aux deux parties du monument(). Que si l'on repousse cette correction, il suffit d'admettre une autre hypothèse de Quicherat, également plausible, c'est qu'une colonne isolée a pu exister comme pièce d'ameublement dans chacune des parties de la basilique. On voit en effet une colonne dressée près de l'un des ambons dans plusieurs des anciennes églises de Rome (2).

Si donc les chiffres donnés par Grégoire de Tours sont exacts (3), on est forcé d'admettre que la nef de Saint-Martin de Tours avait quarante colonnes réparties en neuf travées; et, pour le prouver mieux encore, je vais montrer à quelles conséquences inadmissibles Quicherat s'est vu entraîné en voulant loger soixante-dix-huit ou quatre-vingts colonnes dans une nef longue de cent pieds.

() Quicherat, Restitution, p. 5 et 6; Mélanges, p. 34 et 35.

(2) Restitution, p. 6; Mélanges, p. 35. (3) Je suis obligé de faire cette restriction car un document important que j'ai déjà mentionné plus haut nous donne pour ces chiffres plusieurs variantes. Je veux parler de cette espèce de notice qui est jointe au recueil des inscriptions de la basilique et que Quicherat, d'accord avec le P. da Prato (Sulpicii Severi opera, t. I, p. 394) et M. de Rossi (Inscript. christ. urbis Romæ, t. II,

p. 188), mais contre l'opinion de M. Le Blant (Inser. chrét., t. I, p. 245), croit antérieure à la rédaction de l'Histoire des Francs. Quicherat a fait bon marché de ces variantes (Restitution, p. 82; Mélanges, p. 61). Si je prétendais faire à mon tour une restitution de la basilique de SaintMartin, je me croirais obligé de les discuter. Mais ici je ne fais qu'examiner la thèse de Quicherat, je suis donc obligé de m'en tenir exclusivement au texte de Grégoire sur lequel repose toute son argumentation.

Quoiqu'il ait réduit la dimension des entre-colonnements à quatre pieds et demi, il n'a trouvé place au rez-de-chaussée que pour vingt-quatre colonnes. Il a été amené ainsi à supposer des tribunes s'ouvrant sur la nef par des arcades portées sur des colonnes accouplées, ce qui lui a donné quarante-huit colonnes, et il a employé arbitrairement les six qui lui restaient à garnir deux à deux la porte principale et deux portes pratiquées au milieu de la nef au bout de deux galeries qui auraient complètement intercepté les bas côtés().

Or aucune de ces dispositions ne peut se justifier.

La largeur de quatre pieds et demi que Quicherat donne à ses entre-colonnements est tout à fait insolite. Si l'on considère en effet les anciennes basiliques d'Italie, on voit que les entrecolonnements ont habituellement de huit à neuf pieds de large et qu'ils ne descendent pas au-dessous de six pieds dans les plus petites basiliques (2).

En supposant douze travées, il n'a pu observer la règle, constamment suivie, qui veut qu'une fenêtre s'ouvre dans l'axe de chaque travée. Il a supposé sept fenêtres de chaque côté de la nef, ct six sur le mur de façade. Or cette répartition des jours ne me paraît pas acceptable, car dans toutes les anciennes basiliques de Rome, il y a une fenêtre par travée (3). Il en est de même à Ravenne, à Saint-Apollinaire in Classe et à Saint-Apollinaire-le-Neuf. Il faut aller jusqu'en Orient pour

(1) Voir les planches de son mémoire que reproduisent mes figures 7 et 8.

(2) Cette dernière dimension est à peu de chose près celle des entre-colonnements de Sainte-Agnès-hors-les-Murs à Rome. Mais c'est une église qui ne mesure pas même soixante-cinq pieds de long tandis que Saint-Martin de Tours en avait

cent vingt. (Pour avoir les dimensions. exactes des basiliques de Rome, on peut se reporter aux planches de Bunsen, Les busiliques de Rome, trad. franç. de Daniel Ramé.) (3) Sainte-Marie-Majeure fait exception aujourd'hui. On en a bouché une moitié des fenêtres, de deux en deux, par des peintures.

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