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trouvé de l'écho jusqu'à Berlin"); il est donc temps, avant qu'elle ne soit passée à l'état de chose jugée, de l'examiner de près. C'est ce que je me propose de faire dans le présent travail.

Je commencerai par exposer sommairement le résultat des fouilles entreprises de 1860 à 1887 par l'OEuvre de SaintMartin (2), j'examinerai les conclusions qu'on a voulu en tirer, et comme ces conclusions ont été en grande partie inspirées par le travail précité de Quicherat, je discuterai ce travail, je montrerai sur quels points il me paraît contestable, et j'entreprendrai de dire, à mon tour, quelle idée l'on doit se faire de cette fameuse basilique de saint Perpet.

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tin de Tours, recherches sur les six basiliques successives élevées autour du tombeau de saint Martin (Tours, Péricat, 1888, in-8°, 134 pages et 7 planches). Voir aussi Mr Chevalier, Le tombeau de saint Martin, dans le Bulletin de la Soc. archéol. de Touraine, t. V (1883), p. 11 à 64; Ratel, Du lieu de sépulture de saint Martin, à Tours (Tours, Péricat, 1889, in-8°, 48 pages et 1 planche; extrait du Bulletin de la Soc. archéol. de Touraine, t. VIII, 1" semestre de 1889); Ratel, Les basiliques de SaintMartin, à Tours, Supplément (Paris, Picard, 1890, in-8°, 60-c pages et 6 planches); Ms Chevalier, Les fouilles de Saint-Martin de Tours, note complémentaire (Tours, Péricat, 1891, in-8°, 16 pages); Ratel, Les basiliques de Saint-Martin, à Tours; Note supplémentaire en réponse à une note complémentaire de Mr Chevalier (Tours, Péricat, 1891, in-8°, 49 pages).

(1) Dehio, Die Basilika des heil. Martin in Tours, und ihr Einfluss auf die Ent

wickelung der kirchlichen Bauformen des Mittelalters, dans le Jahrbuch der königl. Preussischen Kunstsammlungen, t. X (Berlin, 1889), p. 13 et suiv. M. Lecoy de la Marche dans la seconde édition de son Saint-Martin (Tours, Mame, 1890, in-8°) accepte les théories de M. Ratel, mais non sans quelques réticences (p. 470).

(2) L'emplacement où les fouilles ont eu lieu étant couvert de maisons, on ne put d'abord y faire que des fouilles partielles. Mais, en 1887, les maisons ayant été démolies, on put mettre à nu toutes les fondations de l'ancien sanctuaire. Le résultat des premières recherches faites en 1860 avait été consigné dans un opuscule publié par la Commission de l'OEuvre de Saint-Martin, sous le titre de Notice sur le tombeau de saint Martin et sur la décou verte qui en a été faite le 14 décembre 1860 (Tours, imp. Mame, 1861, in-8°,95 pages et 4 planches).

:

I

Je viens de dire qu'à en croire MM. Ratel et Chevalier, les fouilles de Saint-Martin de Tours auraient fait retrouver les restes de toutes les églises qui se sont succédé depuis le ve siècle sur l'emplacement de cette fameuse basilique.

M. Ratel est même venu récemment renchérir sur cette hypothèse, et prétendre qu'on avait retrouvé jusqu'aux restes de la petite église bâtie en 412 par saint Brice à l'endroit où le saint patron de la Touraine avait été enterré.

Je ne m'arrêterai pas à discuter longuement cette thèse. Elle offre un intérêt archéologique secondaire, car l'église de saint Brice n'était qu'une simple chapelle (2). Elle me paraît en outre difficile à concilier avec les divers passages où Grégoire de Tours nous apprend que saint Perpet remplaça la petite église bâtie par saint Brice, par une autre beaucoup plus (3) grande (4), et transporta dans l'abside de cette dernière le corps vénéré de saint Martin (5).

(M. Ratel (Du lieu de sépulture de saint Martin, p. 20-28) a réuni tous les textes de Grégoire de Tours relatifs à l'église bâtie par saint Brice. Cf. Les basiliques de Saint-Martin, Supplément, ch. III, p. 15 et

suiv.

(2) « Hic [Briccius] aedificavit basilicam parvulam super corpus beati Martini, in qua et ipse sepultus est. » (Grég. de Tours, Hist. Franc., 1. X, c. 31.) Ailleurs, Grégoire de Tours appelle cette chapelle une cellala (Hist. Franc., 1. II, c. 14).

(3) M. Ratel propose une distinction subtile entre la cellula élevée sur le corps de saint Martin et la basilique élevée par saint Brice. La première aurait été détruite, la seconde seulement agrandie par

saint Perpet (Du lieu de sépulture de saint Martin, p. 31 et 32, ou Les basiliques de Saint-Martin, Supplément, p. xxxi et xxx11). Mais il suffit de rapprocher les deux passages de l'Historia Francorum (II, 14, et X, 31) où Grégoire mentionne la destruction de cette première église, pour voir que la cellula et la parvula basilica bâties par saint Brice étaient la même chose.

(4) «[Perpetuus] cellulam quae super eum [S. Martinum] fabricata fuerat videns parvulam, indignam talibus miraculis judicavit. Qua submota, magnam ibi basilicam quae usque hodie permanet fabricavit.» (Hist. Franc., 1. II, c. 14.)

(5) Ibid., 1. X, c. 31, et surtout Mirac. S. Mart., 1. 1, c. 6.

On a prétendu, il est vrai, contester la valeur de ces textes en s'appuyant sur une phrase de Grégoire de Tours, où il est dit que le corps de saint Martin avait été enseveli dans le lieu (in loco) où on le voyait encore au vr siècle). Mais le récit de la translation de son corps que je viens de rappeler nous montre clairement que l'expression in loco ne doit pas être prise dans un sens rigoureux et mathématique. Elle signifie seulement que saint Martin, qui était mort à Candes, et dont le corps avait été ramené à Tours, fut d'abord enterré dans le cimetière même où s'éleva plus tard la basilique de saint Perpet. On en peut conclure que les deux églises de saint Brice et de saint Perpet s'élevaient dans le même lieu, c'est-à-dire dans le même enclos, mais non sur un emplacement identique.

Dès lors il n'est plus possible de retrouver les fondations de l'une sous celles de l'autre.

Mais accepterait-on la théorie de M. Ratel sur l'emplacement de l'église bâtie par saint Brice, qu'il resterait une autre raison pour qu'on ne pût en retrouver aujourd'hui aucune trace. Cette église était probablement en bois. Personne jusqu'ici n'y a fait attention, que je sache, et pourtant cela paraît ressortir de la façon dont Sidoine Apollinaire en parle dans les vers qu'il écrivit à la requête de son ami Perpet pour orner la nouvelle basilique :

Martini corpus totis venerabile terris,

In quo post vitae tempora vivit honor,
Texerat hic primum plebeio machina cultu,
Quae confessori non erat aequa suo (2).

Le mot machina dont Sidoine se sert désignait ordinairement dans le latin de cette époque un travail de charpente, une con

(1)

Turonis est sepultus in loco quo nunc adoratur sepulcrum ejus» (Hist. Franc., 1. X, c. 31). ("Sidoine Apoll., Epist., I. IV, n° 18.

struction en bois ("). L'église de saint Brice ne devait donc pas être en pierre.

Je sais bien que le mot machina n'a pas toujours ce sens précis dans les poètes du ve et du vr° siècle (2), mais ici on est autorisé, je crois, à donner à ce terme sa signification technique, car l'usage de construire des églises en bois était fort répandu, et tout spécialement quand on voulait honorer la sépulture d'un saint, en attendant qu'on eût le temps et les ressources nécessaires pour élever un monument plus durable. C'est ainsi qu'à Toulouse saint Hilaire construisit au-dessus du corps de saint Saturnin une petite basilique en bois (3), qui fit place plus tard à une construction en pierre; à Soissons, le corps de saint Médard fut primitivement déposé dans une chapelle en bois ("); à Maestricht le corps de saint Servais fut honoré pendant plus d'un siècle dans un simple oratoire construit en planches, que le vent renversa bien des fois, jusqu'au jour où il fut remplacé par un temple digne du saint évêque (5).

(1) Quicherat a déjà fait remarquer cette acception du mot machina dans sa Restitution de la basilique de Saint-Martin, p. 16 (Mélanges d'archéol., p. 45). D'ailleurs, dans la bonne latinité comme dans la basse, le mot machina désigne habituellement des ouvrages en bois. En dehors du sens de « machine, instrument», qu'il a souvent, les auteurs classiques lui ont donné celui d'« étai»: «Omnes illae columnae, machina apposita, dejectae et repositae sunt (Cic., Verr., II, 1, 55); d'« échafaudage»: « Pingebat semper togatus, quamquam in machinis» (Pline, Hist. nat., XXXV, x, 37); de « charpente » : « Si servum tibi tectorem commodavero, et de machina ceciderit» (Ulp., Dig., XIII, vi, 5).

(2) Fortunat, dans son poème intitulé :

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par

L'église bâtie saint Brice devait donc être en bois. Dès lors il est oiseux de chercher les traces que ses fondations ont pu laisser dans le sol, et les substructions décrites par MM. Ratel et Chevalier n'ont pu appartenir qu'aux églises postérieures à celle de saint Brice.

Quelles sont ces églises? ou, en d'autres termes, combien de fois la basilique de Saint-Martin de Tours a-t-elle été rebâtie?

Quicherat croyait à trois reconstructions qu'il plaçait au vo, au xr et au XIIe siècle). Mais, à l'époque où il écrivait, l'histoire de l'abbaye pendant les Ix et x° siècles était encore mal connue. Un érudit tourangeau, enlevé trop tôt à la science, Émile Mabille, en a fait depuis une étude approfondie(2), et l'on ne peut aujourd'hui douter que, du vo au xIII° siècle, la basilique de Saint-Martin de Tours n'ait dû être rebâtie quatre ou cinq fois au moins (3).

C'est probablement le 4 juillet 470 que fut consacrée l'église bâtie par saint Perpet. Elle n'avait pas encore un siècle d'existence, quand elle fut incendiée, en 558, par Williacarius, beau-père de Chramn, le fils révolté de Clotaire (5). L'évêque

credo idcirco ista fieri, donec veniret qui dignam aedificaret fabricam in honorem antistitis gloriosi.» (Grég. de Tours, De gloria confess., c. 72.)

(1) Restitution de la basilique de SaintMartin, p. 1 et 45; Mélanges, p. 30 et 73.

(2) Les invasions normandes dans la Loire et les pérégrinations du corps de saint Martin (dans la Bibliothèque de l'École des chartes, t. XXX, p. 149 et suiv.). Ce mémoire a paru en 1869; Quicherat n'avait pu en prendre connaissance, car son travail date de la même époque.

(3) Mr Chevalier a exposé en excellents

termes la série des catastrophes qui ont nécessité ces reconstructions; il compte six basiliques successives» y compris celle de saint Brice, car il a donné comme sous-titre à son mémoire: Recherches sur les six basiliques successives élevées autour du tombeau de saint Martin. (Les fouilles de Saint-Martin, p. 100 et suiv.)

(4) Chevalier, Les fouilles de Saint-Martin, p. 24. Quicherat pense que la dédicace eut lieu en 472 (Restitution, p. 1; Mélanges, p. 31).

(5) Grégoire de Tours, Hist. Franc., 1. IV, c. 20, et l. X, c. 31, no 18.

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