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L'ABBAYE

DE CLAIRLIEU

ORDRE DE CITEAUX;

PAR M. HENRI LEPAGE.

L'abbaye de Clairlieu mérite d'occuper un des premiers rangs parmi les établissements religieux qui se créèrent en Lorraine dans le courant du XIIe siècle, non-seulement à cause de son origine princière, mais aussi en raison de l'importance dont elle jouit et des particularités qui se rattachent à son histoire.

Ses archives, autrefois considérables, comme l'atteste l'inventaire qui en a été conservé, ne sont pas, malheureusement, parvenues intactes jusqu'à nous : elles ont subi de nombreuses et à jamais regrettables mutilations; beaucoup de pièces en ont été enlevées; celles qu'on a respectées ont été impitoyablement dépouillées des sceaux qui y étaient appendus, et

dont la longue série offrirait aujourd'hui un ample sujet d'études aux amateurs de sigillographie.

Néanmoins, en dépit des spoliations commises sur elles par l'ignorance ou par le vandalisme, les archives de Clairlieu sont loin d'avoir perdu toutes leurs richesses: elles renferment encore bien des documents restés inconnus et à l'aide desquels, même après ce qui a été fait, il est possible de tracer une monographie neuve et intéressante de cette ancienne abbaye. Telle est la tâche que j'ai essayé de remplir.

Mon travail est divisé en deux parties: la première, subdivisée elle-même en deux autres, est consacrée 1o à l'histoire de Clairlieu, 2o à la description de son église. La seconde partie contient l'analyse sommaire d'une portion des titres que nous possédons, et la reproduction textuelle des chartes qui m'ont semblé les plus curieuses.

Cette espèce de cartulaire, en fournissant divers renseignements sur la géographie locale, permettra de relever beaucoup d'erreurs étymologiques que la critique n'a pu complétement détruire, et offrira, en même temps, comme un spécimen de monuments diplomatiques appartenant à différentes époques.

PREMIÈRE PARTIE.

I.

Le duc Mathieu Ier, qui règna de 1159 à 1176, est regardé comme le fondateur de l'abbaye de Clairlieu, et cette opinion, formulée par nos anciens historiens, a été adoptée par tous ceux qui les ont suivis. Elle est fondée, sans doute, mais pas d'une manière absolue, car c'est à un autre prince que Mathieu qu'il faut attribuer l'établissement des religieux de Citeaux près de la capitale de la Lorraine.

Vers l'an 1150, et dom Calmet lui-même nous l'apprend,

Gérard II, comte de Vaudémont, pria Guillaume, abbé de Bithaine, au comté de Bourgogne, de lui envoyer quelquesuns de ses religieux pour fonder une maison de leur ordre dans ses Etats. Cette requête ayant été favorablement accueillie, Gérard abandonna aux disciples de saint Bernard des terres situées dans les environs de Chaligny, au lieu appelé Ferrière, et dépendant, on ignore en vertu de quel titre, du domaine temporel de la cathédrale de Metz. Aussi, Etienne de Bar, évêque de cette ville, fut-il appelé à confirmer la donation du comte de Vaudémont; ce qu'il fit par une charte datée des ides de novembre de l'année 1150'.

Aussitôt entrée en possession des héritages que Gérard lui avait concédés, la colonie de Citeaux se construisit une habitation, puis se mit à défricher le sol ingrat sur lequel elle s'était établie. Elle commençait à retirer les premiers fruits de ses peines quand la méchanceté des habitants vint la troubler dans ses pieuses et utiles occupations.

Les religieux s'adressèrent alors au duc Mathieu et lui demandèrent de leur accorder des terres dans quelque solitude où il leur fût permis de vivre en paix. Ce prince fit droit à leur prière et leur concéda, dans une gorge de l'immense forêt de Heys, un endroit que sa situation avait fait surnommer Ameleu ou Amer-Lieu.

Ces particularités sont rappelées dans une charte2 de Pierre de Brixey, évêque de Toul, de l'an 1176, dont le P. Vignier a donné la traduction d'après un cartulaire du xv siècle, qui existe encore parmi les titres de Clairlieu.

1. Voir à la seconde partie, pièce I.

2. Pièce VIII.

3. La véritable origine des tres-illustres maisons d'Alsace, de Lorraine, d' Austriche....

4. Ce cartulaire, composé de 18 feuillets en papier, a été écrit à la

Voici à peu près' en quels termes s'exprime le prélat, après avoir énuméré, en commençant, les services rendus par l'ordre de Citeaux Les religieux frères de ce saint ordre, envoyés par l'autorité de leurs saints pères comme jettons de saintes mouchettes pour mellifier, enquerrant très-ardemment en nos marches et contrées mansion congrue à leur conversation; lesquels, à cette fin peut-être que la constance de leur foi fût éprouvée, ayant choisi et obtenu une terre maigre et sèche au val qui est sous Chaligny, commencèrent à y édifier une maisonnette qu'ils appelèrent Ferrière, trop dure et infructueuse pour cause des cœurs de fer de ceux qui demeuraient autour d'eux. Pour quoi, à cause de la sécheresse et stérilité de ce lieu, et surtout pour fuir le hutin du peuple d'alentour, ils résolurent de s'en départir, soupirant de parvenir en un lieu désert plus désolé et en une plus vaste solitude. Sur lesquels frères le noble prince Mathieu, duc et marchis de Lorraine, mû de grande compassion parce qu'ils étaient pauvres d'esprit et qu'ils avaient résolu d'être en exil en lieu sauvage afin de devenir éternellement compagnons des saints de Dieu, les prit et reçut en très-grande dévotion et les mit très-bénignement en son alleu, c'est assavoir en un val fort horrible et épineux de la forêt de Heys. Alors, ces servi

fin du xve siècle, par Dominique de Martigny, prieur de Clairlieu; il contient, outre la traduction de la charte de Pierre de Brixey et la copie de différentes autres chartes et bulles, plusieurs chapitres qu'il est assez étrange d'y rencontrer, et dont voici l'indication: Cy commence une dévote oraison aux playes de Nostre Seigneur. « De statura et habitudine corporis domini nostri Jesus Christi. » "Ceulx qui ont le mal Monsieur sainct Cugnyn doivent faire les abstinences qui sensuyvent tant qu'ilz sont garys, et disent les aultres qu'on lez doit faire sept ans." - Exemple du tonnoire, comment le diable y met painne de tout gaister et foudriier quant y fait auraige. » 1. Je ne donne pas cette traduction tout-à-fait textuellement, mais je lui conserve autant que possible son cachet de naïve simplicité.

teurs de Dieu, prenant de la main du noble prince ce lieu si horrible et dévasté, le remercièrent très-humblement, et en peu de temps ils rendirent ce lieu si inhabitable propre et convenable à la demeure des hommes. Car ayant, selon les statuts de leur ordre, extirpé et déraciné les ronces et les épines, ils élevèrent de religieuses habitations, tendant de toutes leurs forces et vertus à parvenir à ce que là où auparavant résonnaient fréquemment aux oreilles des hommes les cris et le hurlement des bêtes sauvages, retentit désormais en psaumes, hymnes et cantiques spirituels, la mélodie céleste aux oreilles des anges. Et ainsi fut édifiée, en l'honneur de la glorieuse vierge Marie, l'abbaye de l'ordre de Citeaux appelée Clairlieu par ledit duc, comme elle l'est encore aujourd'hui. Auquel lieu se fit voir la puissance de la pauvreté volontaire, car quoique le pieux prince eût donné aux pauvres frères des terres pour leur labourage, des paturages pour toutes sortes de bétail et les autres usuaires dont ils pouvaient avoir besoin, néanmoins ils furent durement et longuement tourmentés en labourant, souffrant bien des privations pour leur nourriture et leur habillement. Et le susdit prince, non content d'avoir donné de son vivant beaucoup de biens à ce monastère, se donna encore à lui après sa mort pour y être enseveli. Et petit à petit, ceux qui demeuraient dans le voisinage commencèrent à lui apporter leurs aumônes comme avait fait le duc Mathieu, lequel, après avoir, pendant sa vie, témoigné son affection à son abbaye de Clairlieu, ne l'oublia pas au moment de sa mort; car, par son testament, il donna à cette maison sa vigne de Nancy, non-seulement comme elle était alors, mais encore telle que les religieux voudraient l'agrandir. Il leur donna aussi son breuil sous Chantcheu, son moulin sur le Madon, leur permit de défricher des terres et: d'étendre leur culture dans la forêt de Heys aussi loin qu'ils

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