visés n'étaient que de la poésie chantante ou récitative, sur les beautés de la nature, sur les exploits de leurs ancêtres, sur les événemens mémorables arrivés dans leur pays, et sur d'autres sujets propres à exalter l'imagination. Les prêtres ou les vieillards, en grec #pescutepol, πρεςβύτεροι, furent ceux qui, après les poètes, contribuèrent le plus à polir le langage; ils étaient seuls en possession de transmettre ou de raconter en prose les faits les plus remarquables de leur temps, de dicter à la jeunesse des règles de morale et de vertu, de prononcer comme juges sur les peines à infliger aux crimes, sur les récompenses à donner aux belles actions; et comme pour se faire écouter, ils durent s'appliquer à parler correctement, à n'employer que des termes choisis, leur éloquence en acquit plus de poids; les charmes de l'élocution adoucirent ce qu'il y eut de rude, de sévère dans leurs discours qu'on retint plus facilement. On ne se borna pas à les apprendre, à les réciter par cœur; on voulut encore les imiter, les surpasser même, et ces efforts continuels tournèrent au profit de l'art de parler. Dans ces temps reculés, le pouvoir suprême résidait entre les mains des généraux d'armée et des chefs de tribus. Les harangues de ces chefs, destinées a frapper les esprits, à remuer les cœurs, à produire de grands effets, ont dû être composées avec soin dans un style plus orné, plus pur que celui des simples conversations. On les étudia; elles servirent de modèles à tous ceux qui curent besoin de se faire entendre, ou qui visèrent au talent de bien parler. Les premiers législateurs furent, pour la plupart, orateurs ou poètes. A l'autorité qu'ils avaient acquise pour gouverner les peuples, ils joignirent un autre pouvoir encore plus sûr, celui de les conduire, de les subjuguer par la parole; ils composaient en vers toutes leurs lois; ils les mettaient en musique; et, afin d'en propager la connaissance, ils les faisaient chanter dans les places publiques et dans tous les endroits où l'on se réunissait pour célébrer les jeux; les chanteurs ambu→ lants achevaient la promulgation. La profession de ces hommes consistait à courir le pays pour en amuser les habitans; comme ils avaient appris plusieurs idiomes, ils allaient de contrée en contrée, de village en village, gagnant leur vie à débiter des contes, des historiettes, à chanter, à déclamer des pièces de poésie, et même des discours en prose. Tout en les divertissant, ils corrigeaient le jargon de leurs grossiers auditeurs; ils en adoucissaient la rudesse; ils le ramenaient insensiblement à des formes meilleures ou plus euphoniques. On doit à ces comédiens-voyageurs d'avoir répandu les fables de Locman et d'Ésope, qui sont encore aujourd'hui transmises par tradition dans presque tous les pays et dans toutes les langues de l'Orient. Les mêmes comédiens ambulants, ainsi que les rhapsodes, les poètes, les orateurs, les chefs de tribus, les législateurs, les prêtres ou les vieillards, furent les premiers régulateurs et les seuls maîtres de la langue. De longs siècles s'écoulèrent avant qu'on eût imaginé des signes hiéroglyphiques ou des lettres représentatives des sons. L'art de parler ne s'était jusqu'alors transmis et enseigné que de vive voix; mais enfin l'écriture fut inventée et, peu-à-peu, adoptée partout: c'est de cette époque que date l'existence de la grammaire écrite ou positive, qui, s'étant perfectionnée graduellement, devint, par la suite, une science rationnelle, un art technique et une branche de philologic. Elle eut des commencemens faibles, difficiles et lents. Combien de rapprochemens et d'observations ne fallutil pas, pour bien connaitre les élémens de la parole, diviser les mots en plusieurs parties du discours, indiquer les fonctions particulières de chacune d'elles, inventer des particules de toute espèce, et former enfin cet ensemble de règles et de principes qui constitue une langue perfectionnée. Tout cela n'a pu se faire ni arriver qu'avec le temps, et chez des peuples parvenus à un grand degré de civilisation. Tels étaient ceux de l'Orient, qu'on regarde comme les plus vieux et les plus anciennement policés de la terre. Ils se livraient au commerce; ils cultivaient les sciences et les arts avec succès; ils avaient des cultes réguliers, des gouvernemens fixes, des corps de lois, des cours d'études. La preuve s'en tire de ce que l'Inde et l'Égypte ont été, jusqu'au temps d'Alexandre et de ses successeurs, des terres classiques pour les Grecs; ils y allaient perfectionner leur éducation, ils s'y faisaient initier dans ce qu'on appelait alors les mystères des prêtres. Or, ces mystères consistaient dans les connaissances que ceux-ci avaient acquises ou recueillies en mathématiques, en astronomie, en physique, en métaphysique, en médecine, en histoire, en politique, en littérature, en morale civile ou religieuse. Les sciences en général, quelqu'en fût l'objet, passaient pour sacrées dans tout l'Orient; le privilége de les enseigner n'appartenait qu'aux seuls ministres de la religion. Les étrangers qui ne connaissaient pas la langue du pays étaient obligés de l'apprendre; et comme dans toute espèce d'enseignement la tradition orale ne suffit jamais, il dut y avoir, il y eut en effet chez ces peuples anciens, sur tous les arts et par conséquent sur celui d'écrire et de parler, des rudimens, des méthodes, des recueils de préceptes qu'on pouvait consulter et qui rappelaient à la mémoire les leçons que les maîtres avaient données de bouche. Ces recueils auxquels on attachait beaucoup de prix, étaient déposés dans les temples ou dans les palais des rois. Un usage à-peu-près semblable subsista depuis dans l'Occident, surtout chez les anciens Romains. Les annales authentiques de Rome, (Annales maximi) ne pouvaient être écrites et continuées que par le grand pontife; elles étaient aussi confiées à sa garde; et si en Asie ce moyen de conservation n'a pas eu le même succès qu'à Rome, c'est que, dans les grandes révolutions, principalement dans celles qui avaient la religion pour cause, les vainqueurs, par une politique déplorable,. s'appliquaient toujours à changer l'ancien ordre des choses: non contents de renverser le culte établi, ils prenaient à tâche d'anéantir tous les livres sans distinction, afin d'effacer jusqu'à la trace des souvenirs du passé, de sorte qu'à chaque époque d'envahissement, les études, abandonnées ou du moins interrompues pendant de longs intervalles, ne pouvaient se reprendre chez les peuples conquis, qu'après avoir été mises en concordance avec les principes et les opinions religieuses du nouveau gouvernement; loin de tolérer les doctrines enseignées précédemment, on en persécutait les sectateurs, et la proscription s'étendait sur les ouvrages où il en était question.. Les auteurs arméniens nous ont transmis plusieurs témoignages de cette fureur des conquérans de l'Asie, qui nous ont privé de presque toutes les productions de la littérature orientale. Plusieurs langues autrefois parlées en Afrique et en Asie, l'égyptienne, l'hébraïque véritablement littérale, et d'autres encore sont entièrement perdues. La chaldaïque et la syriaque ne sont plus en usage que dans quelques monastères de l'Asie, et particulièrement au mont Liban. On trouverait difficilement aujourd'hui dans ces vastes contrées un livre en idiome du pays, d'une date autérieure aux derniers changemens de religion qu'on y a éprouvés. Les mêmes auteurs attribuent à la sainte religion du Christ, cet amour des sciences, ce desir d'instruction qui, plus tard, se développèrent dans toutes les classes de la société; il est attesté en effet, par tous les écrivains et surtout par les historiens du pays, qu'aussitôt après l'établissement du christianisme dans les deux Arménies et dans toutes les contrées de l'Orient soumises à l'empire Romain, le goût des lettres se répandit, se manifesta partout; on sentit le besoin d'être éclairé, d'acquérir assez de connaissances pour com |