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L'éminent moraliste observe encore que dans une nation l'injustice et la tyrannie des chefs sont un juste châtiment des fautes des sujets (1). Il ajoute que Dieu permet les guerres, qui proviennent de la faute des hommes (2), comme il permet d'autres maux déchaînés sur le monde par la méchanceté humaine : permission nécessaire, dit-il, pour mettre fin au péché tout en le châtiant (3). Que le juste tombe à la guerre, continue-t-il, c'est un bienfait pour lui, car il reçoit le fruit de ses travaux, la mort le met en possession du bonheur du ciel.

Voilà, Messieurs, le résumé des considérations que l'évêque de Bostra développe en réponse aux objections du manichéisme contre la sagesse du gouvernement de la Providence. La liberté humaine et le caractère de la vie présente, vie d'épreuve et de préparation, suffisent à expliquer les désordres où les disciples de Manès s'imaginaient follement découvrir l'action d'un principe mauvais par essence.

Après avoir discuté les doctrines manichéennes sur le terrain de la philosophie, Tite les combat dans leur application à nos saintes Écritures. C'est l'objet des deux derniers livres de son ouvrage. Je ne le suivrai point sur ce domaine purement théologique; qu'il me suffise d'indiquer le point de vue général de cette nouvelle polémique. Manès rejetait l'Ancien Testament comme l'œuvre du mauvais principe; il n'acceptait que le Nouveau Testament,

(1) Lib. II, c. 10.

(2) ... ὅπερ ἀνθρώπων, ἀλλ ̓ οὐχὶ θεοῦ πλημμέλημα. Ibid., c. 11. (5) ... ὥστε πόλεμος οὐκ ἔργον θεοῦ, ἀλλὰ συγχώρησις ἀναγκαία εἰς μὲν ὑποψίαν τιμωρίας κατὰ τῆς ἁμαρτίας, κατὰ δὲ τὸ ἀληθὲς, εἰς τέλος air. Ibid., c. 12.

qu'il regardait, dans la plupart de ses parties du moins, comme l'œuvre du bon principe, en opposition avec les enseignements donnés au peuple juif; quelques parties du Nouveau Testament lui paraissaient aussi marquées du cachet du mal, et il les condamnait hautement ce sectaire, plus païen que chrétien, ne recevait des livres sacrés du christianisme que ce qu'il croyait pouvoir interpréter, sans tenir d'ailleurs grand compte des lois de l'exégèse, conformément à son absurde théorie. L'évêque de Bostra n'a pas de peine à montrer la sainteté des Écritures que l'ancien peuple de Dieu a léguées aux chrétiens et à faire ressortir l'éclatante harmonie des deux Testaments.

L'étude de ce remarquable traité contre les manichéens m'a plus d'une fois remis en mémoire les Essais de théodicée de Leibniz. Ces deux écrits ont le même objet général, la justification de la Providence, et présentent assez souvent des considérations semblables. L'œuvre de Leibniz est assurément très-supérieure à celle de l'apologiste du IVme siècle; il est pourtant regrettable que l'immortel auteur de la Théodicée n'ait pas insisté davantage, dans la question du mal moral et de ses suites, sur le rôle nécessaire de la liberté humaine dans les conditions où elle doit s'exercer en cette vie. L'évêque de Bostra a mieux compris que le philosophe allemand ce rôle capital de la liberté. Il ne sera pas hors de propos de consigner ici, en terminant, deux observations d'un caractère général où le grand philosophe du XVIIe siècle ne fait que reproduire en d'autres termes les principes si bien exposés par l'écrivain dont nous venons d'analyser le travail. Je veux parler de la possibilité du mal moral et des prétendus défauts que des esprits à vue naturellement trèscourte s'imaginent découvrir dans l'œuvre de Dieu. « On

peut, dit Leibniz, prendre le mal métaphysiquement, physiquement et moralement. Le mal métaphysique consiste dans la simple imperfection, le mal physique dans la souffrance, et le mal moral dans le péché (1). » Le mal métaphysique ne peut pas ne pas exister dans le monde, puisque toute créature est de soi imparfaite et limitée. Le mal physique et le mal moral ne sont pas nécessaires, mais leur possibilité résulte du mal métaphysique (2). « Il y a une imperfection originale dans la créature avant le péché, parce que la créature est limitée essentiellement; d'où vient qu'elle ne saurait tout savoir et qu'elle se peut tromper et faire d'autres fautes (3). » L'intelligence et la volonté de la créature, étant imparfaites, peuvent faillir et s'écarter de leur voie; de là l'erreur et le péché.

Quant aux vices qui semblent déparer le monde et que relevaient si fièrement les manichéens, n'y a-t-il pas, remarque Leibniz, une souveraine impertinence à condamner de la sorte une œuvre dont on ne connaît qu'une imperceptible partie? Le peu que nous en connaissons exactement nous révèle un artifice merveilleux; ne serait-il pas rationnel d'en induire que les parties que nous connaissons mal, et où nous croyons apercevoir des imperfections et des défauts, doivent déceler la même sagesse à celui qui les voit nettement telles qu'elles sont? « Si quelques-uns, ajoute ce grand homme, allèguent l'expérience pour prouver que Dieu aurait pu mieux faire, ils s'érigent en censeurs ridicules de ses ouvrages, et on leur dira ce qu'on répond à tous ceux qui critiquent le procédé de

(1) Théodicée, n. 21.

(2) Ibid.

(3) Ibid., n. 20.

Dieu, et qui de cette même supposition, c'est-à-dire des prétendus défauts du monde, en voudraient inférer qu'il y a un mauvais Dieu, ou du moins un Dieu neutre entre le bien et le mal;... on leur répondra: Vous ne connaissez le monde que depuis trois jours, vous n'y voyez guère plus loin que votre nez, et vous y trouvez à redire. Attendez à le connaître davantage, et y considérez surtout les parties qui présentent un tout complet..., et vous y trouverez un artifice et une beauté qui va au delà de l'imagination. Tirons-en des conséquences pour la sagesse et pour la bonté de l'auteur des choses, encore dans les choses que nous ne connaissons pas (1). D

(1) Théodicée, n. 194.

CLASSE DES BEAUX-ARTS.

Séance du 3 novembre 1870.

M. CH.-A. FRAIKIN, directeur.

M. AD. QUETELET, secrétaire perpétuel.

Sont présents: MM. L. Alvin, N. De Keyser, F.-J. Fétis, G. Geefs, Ch.-L. Hanssens, A. Van Hasselt, J. Geefs, Ferd. De Braekeleer, Ed. Fétis, Edm. De Busscher, J. Portaels, Alph. Balat, Aug. Payen, le chevalier Léon de Burbure, J. Franck, G. De Man, Ad. Siret, J. Leclercq, Ern. Slingeneyer, Alexandre Robert, membres; Robert-Fleury, associé.

M. Ed. Mailly, correspondant de la classe des sciences, assiste à la séance.

CORRESPONDANCE.

La classe a perdu, au commencement de cette année, l'un de ses associés de la section de peinture, M. JeanVictor Schnetz, décédé à Paris au mois d'avril 1870.

M. le secrétaire perpétuel annonce qu'il a pris les

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