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taires d'Espagne. Il aurait appliqué les biens du Temple à son usage, et l'ordre eût été conservé.

Depuis la perte de la Terre-Sainte, et même antérieurement, on avait fait entendre aux Templiers qu'il serait urgent de les réunir aux Hospitaliers 1. Réuni à un ordre plus docile, le Temple eût présenté peu de résistance aux rois.

Ils ne voulurent point entendre à cela. Le grand maître, Jacques Molay, pauvre chevalier de Bourgogne, mais vieux et brave soldat qui venait de s'honorer en Orient par les derniers combats qu'y rendirent les chrétiens, répondit que saint Louis avait, il est vrai, proposé autrefois la réunion des deux ordres, mais que le roi d'Espagne n'y avait point consenti; que pour que les Hospitaliers fussent réunis aux Templiers, il faudrait qu'ils s'amendassent fort; que les Templiers étaient plus exclusivement fondés pour la guerre 2. Il finissait par ces paroles hautaines : « On trouve beaucoup de gens qui voudraient ôter aux religieux leurs biens, plutôt que de leur en donner... Mais si l'on fait cette union des deux ordres, cette Religion sera si forte et si puissante, qu'elle pourra bien défen

1 Le concile de Saltzbourg, tenu en 1272, et plusieurs autres assemblées ecclésiastiques, avaient proposé cette réunion. Rayn., p. 10.

2 Si unio fieret, multùm oporteret quòd Templarii lararentur, vel Hospitalarii restringerentur in pluribus. Et ex hoc possent animarum pericula provenire..... Religio, hospitalariorum super hospitalitate fundata est. Templarii verò super militiâ propriè sunt fundati. Dupuy, Pr., p. 180.

dre ses droits contre toute personne au monde'. » Pendant que les Templiers résistaient si fièrement à toute concession, les mauvais bruits allaient se fortifiant. Eux-mêmes y contribuaient. Un chevalier disait à Raoul de Presles, l'un des hommes les plus graves du temps : « Que dans le chapitre général de l'ordre, il y avait une chose si secrète, que si pour son malheur quelqu'un la voyait, fût-ce le roi de France, nulle crainte de tourment n'empêcherait ceux du chapitre de le tuer, selon leur pouvoir 2.

Un Templier nouvellement reçu avait protesté contre la forme de réception devant l'official de Paris. Un autre s'en était confessé à un cordelier, qui lui donna pour pénitence de jeûner tous les vendredis un an durant, sans chemise . Un autre enfin, qui était de la maison du pape « lui avait ingénument confessé tout le mal qu'il avait reconnu en son ordre, en présence d'un cardinal son cousin, qui écrivit à l'instant cette déposition 5.

1 Ibidem, p. 181.

Ibidem, p. 139.-Un autre disait: Esto quod esses pater meus et posses fieri summus magister totius ordinis, nollem quod intrares, quia habemus tres articulos inter nos in ordine nostro quos nunquam aliquis sciet nisi Deus et diabolus, et nos, fratres illius ordinis (51 test. p. 361): - V. les histoires qui couraient sur des gens qui auraient été tués pour avoir vu les cérémonies secrètes du Temple. Concil. Brit. II, 364.

3 Dupuy, ibid, p. 207. C'est le premier des 140 déposants. Dupuy a tronqué le passage. V. le ms. aux archives du royaume, K. 413.

Ibid, p. 244.

⚫ Dupuy, p. 13.

On faisait en même temps courir des bruits sinis→ tres sur les prisons terribles où les chefs de l'ordre plongeaient les membres récalcitrants. Un des chevaliers déclara « qu'un de ses oncles était entré dans l'ordre sain et gai, avec chiens et faucons; au bout de trois jours, il était mort 1. >>

Le peuple accueillait avidement ces bruits, il trouvait les Templiers trop riches 2 et peu généreux. Quoique le grand maître dans ses interrogatoires vante la munificence de l'Ordre, un des griefs porté contre cette opulente corporation, c'est « que les aumônes ne s'y faisaient pas comme il convenait3. »

Les choses étaient mûres. Le roi appela à Paris le grand maître et les chefs; il les caressa, les combla, les endormit. Ils vinrent se faire prendre au filet comme les protestants à la Saint-Barthélemi.

Il venait d'augmenter leurs priviléges 4. Il avait

1 Sanus et hilaris cum avibus et canibus, et tertiâ die sequenti mortuus fuit. Conc. Brit., p. 36.

Tosjors achetoient sans vendre...

Tant va pot à eau qu'il brise.

Chron. en vers, citée par Rayn., p. 7.

3 En Écosse, on leur reprochait, outre leur cupidité, de n'être pas hospitaliers << Item dixerunt quod pauperes ad hospitalitatem libenter non recipiebant, sed timoris causâ divites et potentes solos; et quod multùm erant cupidi aliena bona per fas et nefas pro suo ordino adquirere. » Concil. Brit., 40o témoin d'Écosse, p. 382.

Il est curieux de voir par quelle prodigalité d'éloges et de faveurs il les attirait dans son royaume dès 1304: Philippus Dei gratia Francorum Rex, opera misericordiæ, magnifica plenitudo quæ in sancta domo militiæ Tem

prié le grand maître d'être parrain d'un de ses 1307 enfants. Le 12 octobre, Jacques Molay, désigné

par
lui avec d'autres grands personnages, avait
tenu le poêle à l'enterrement de la belle-sœur de
Philippe'. Le 13, il fut arrêté avec les cent quarante
Templiers qui étaient à Paris. Le même jour,
soixante le furent à Beaucaire, puis une foule d'au-
tres par toute la France. On s'assura de l'assenti-
ment du peuple et de l'université 2. Le jour même
de l'arrestation, les bourgeois furent appelés par
paroisses et par confréries au jardin du roi dans la
Cité; des moines y prêchèrent. On peut juger de la
violence de ces prédications populaires par celle de
la lettre royale, qui courut par toute la France :
« Une chose amère, une chose déplorable, une.
chose horrible à penser, terrible à entendre! chose
exécrable de scélératesse, détestable d'infamie!...
Un esprit doué de raison, compàtit et se trouble
dans sa compassion, en voyant une nature qui

pli, aholini divinitiis instituta longe latèque per orbem terrarum Jupiter exercentur... merito nos inducunt ut dictæ domui Templi et fratribus ejusdem in regno nostro ubilibet constitutis quos sincere diligimus et prosequi favore cupimus speciali, regium liberalitatis dextram extendimus. Rayn., P. 44.

1 Baluze, Pap. Aven., p. 590-4.

Le roi s'étudia toujours à lui faire partager l'examen et aussi la responsabilité de cette affaire. Nogaret lut l'acte d'accusation devant la première assemblée de l'Université, tenue dès le lendemain de l'arrestation. Une autre assemblée de tous les maîtres et de tous les écoliers de chaque faculté fut tenue au Temple on y interrogea le grand-maître et quelques-autres. Ils le furent encore dans une seconde assemblée.

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$307 s'exile elle-même hors des bornes de la nature, qui oublie son principe, qui méconnaît sa dignité, qui prodigue de soi, s'assimile aux bêtes dépourvues de sens; que dis-je? qui dépasse la brutalité des bêtes elles-mêmes1!... » On juge de la terreur et du saisissement avec lesquels une telle lettre fut reçue de toute âme chrétienne. C'était comme un coup de trompette du jugement dernier.

Suivait l'indication sommaire des accusations : reniement, trahison de la chrétienté au profit des infidèles, initiation dégoûtante, prostitution mutuelle ; enfin, le comble de l'horreur, cracher sur la croix 2!

Tout cela avait été dénoncé par des Templiers. Deux chevaliers, un Gascon et un Italien, en prison pour leurs méfaits, avaient, disait-on, révélé tous les secrets de l'ordre 5.

Ce qui frappait le plus l'imagination, c'étaient les bruits étranges qui couraient sur une idole qu'auraient adorée les Templiers. Les rapports variaient. Selon les uns, c'était une tête barbue;

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2 Voyez les nombreux articles de l'acte d'accusation (Dup., p. ). il est curieux de le comparer à une autre pièce du même genre, à la bulle du pape Grégoire IX aux électeurs d'Hildesheim, Lubeck, etc., contre les Stadbinghiens (Raynald, ann. 1234, XIII, p. 446-7). C'est avec plus d'ensemble l'accusation contre les Templiers. Cette conformité prouveraitelle, comme le veut M. de Hammer, l'affiliation des Templiers à ces sectaires?

3 Baluze, Pap. Aven., p. 99–100.

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