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La religion voit dans la liberté civile un noble exercice des facultés de l'homme; dans le monde politique, un champ livré par le Créateur aux efforts de l'intelligence. Libre et puissante dans sa sphère, satisfaite de la place qui lui est réservée, elle sait que son empire est d'autant mieux établi qu'elle ne règne que par ses propres forces et domine sans appui sur les cœurs.

La liberté voit dans la religion la compagne de ses luttes et de ses triomphes; le berceau de son enfance, la source divine de ses droits. Elle considère la religion comme la sauve-garde des mœurs; les mœurs comme la garantie des lois et le gage de sa propre durée (a).

RAISONS DE QUELQUES SINGULARITÉS QUE PRÉSENTENT LES LOIS ET LES COUTUMES DES ANGLO-AMÉRICAINS.

Quelques restes d'institutions aristocratiques au sein de la plus complète démocratie. Il faut distinguer avec soin ce qui est d'origine puritaine et d'origine anglaise.

Pourquoi?

Il ne faut pas que le lecteur tire des conséquences trop générales et trop absolues de ce qui précède. La condition sociale, la religion et les mœurs des premiers émigrants ont exercé sans doute une immense influence sur le destin de leur nouvelle patrie. Toutefois, il n'a pas dépendu d'eux de fonder une société dont le point de départ ne se trouvât placé qu'en eux-mêmes; nul ne saurait se dégager entièrement du passé; il leur est arrivé de mêler, soit volontairement, soit à leur insu, aux idées et aux usages qui leur étaient propres, d'autres usages et d'autres idées qu'ils tenaient de leur éducation ou des traditions nationales de leur pays.

Lorsqu'on veut connaître et juger les Anglo-Américains de nos jours, on doit donc distinguer avec soin ce qui est d'origine puritaine ou d'origine anglaise.

On rencontre souvent aux Etats-Unis des lois ou des coutumes qui font contraste avec tout ce qui les environne. Ces

lois paraissent rédigées dans un esprit opposé à l'esprit dominant de la législation américaine; ces mœurs semblent contraires à l'ensemble de l'état social. Si les colonies anglaises avaient été fondées dans un siècle de ténèbres, ou si leur origine se perdait déjà dans la nuit des temps, le problème serait insoluble.

Je citerai un seul exemple pour faire comprendre ma pensée. La législation civile et criminelle des Américains ne connaît que deux moyens d'action: la prison ou le cautionnement. Le premier acte d'une procédure consiste à obtenir caution du défendeur, ou, s'il refuse, à le faire incarcérer; on discute ensuite la validité du titre ou la gravité des charges.

Il est évident qu'une pareille législation est dirigée contre le pauvre, et ne favorise que le riche. Le pauvre ne trouve pas toujours de caution, même en matière civile, et, s'il est contraint d'aller attendre justice en prison, son inaction forcée le réduit bientôt à la misère. Le riche, au contraire, parvient toujours à échapper à l'emprisonnement en matière civile; bien plus, a-t-il commis un délit, il se soustrait aisément à la punition qui doit l'atteindre après avoir fourni caution, il disparaît. On peut donc dire que pour lui toutes les peines qu'inflige la loi se réduisent à des amendes (1). Quoi de plus aristocratique qu'une semblable législation? En Amérique, cependant, ce sont les pauvres qui font la loi, et ils réservent habituellement pour eux-mêmes les plus grands avantages de la société.

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C'est en Angleterre qu'il faut chercher l'explication de ce phénomène les lois dont je parle sont anglaises (2). Les Américains ne les ont point changées, quoiqu'elles répugnent à l'ensemble de leur législation et à la masse de leurs idées.

La chose qu'un peuple change le moins après ses usages, c'est sa législation civile. Les lois civiles ne sont familières qu'aux légistes, c'est-à-dire à ceux qui ont un intérêt direct à les maintenir telles qu'elles sont, bonnes ou mauvaises, par la raison qu'ils les savent. Le gros de la nation les connaît à

(') Il y a sans doute des crimes pour lesquels on ne reçoit pas caution, mais ils sont en très-petit nombre.

peine; il ne les voit agir que dans des cas particuliers, n'en saisit que difficilement la tendance, et s'y soumet sans y songer.

J'ai cité un exemple, j'aurais pu en signaler beaucoup d'autres.

Le tableau que présente la Société américaine est, si je puis m'exprimer ainsi, couvert d'une couche démocratique, sous laquelle on voit de temps en temps percer les anciennes couleurs de l'aristocratie.

CHAPITRE III.

ÉTAT SOCIAL DES ANGLO-AMÉRICAINS.

L'état social est ordinairement le produit d'un fait, quelquefois des lois, le plus souvent de ces deux causes réunies; mais une fois qu'il existe, on peut le considérer lui-même comme la cause première de la plupart des lois, des coutumes et des idées qui règlent la conduite des nations; ce qu'il ne produit pas, il le modifie.

Pour connaître la législation et les mœurs d'un peuple, il faut donc commencer par étudier son état social.

QUE LE POINT SAILLANT DE L'ÉTAT SOCIAL DES ANGLOAMÉRICAINS EST D'ÊTRE ESSENTIELLEMENT DÉMOCRATIQUE.

Premiers émigrants de la Nouvelle-Angleterre.

Lois aristocratiques introduites dans le Sud.

Egaux entre eux.
Epoque de la révo-

lution. Changement des lois de succession. Effets produits par ce changement Egalité poussée à ses dernières limites dans les nouveaux Etats de l'Ouest.

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Egalité parmi les intelligences.

On pourrait faire plusieurs remarques importantes sur l'état social des Anglo-Américains, mais il y en a une qui domine

L'état social des Américains est éminemment démocratique. Il a eu ce caractère dès la naissance des colonies; il l'a plus encore de nos jours.

J'ai dit dans le chapitre précédent qu'il régnait une trèsgrande égalité parmi les émigrants qui vinrent s'établir sur les rivages de la Nouvelle-Angleterre. Le germe même de l'aristocratie ne fut jamais déposé dans cette partie de l'Union. On ne put jamais y fonder que des influences intellectuelles. Le peuple s'habitua à révérer certains noms, comme des emblèmes de lumières et de vertus. La voix de quelques citoyens obtint sur lui un pouvoir qu'on eût peut-être avec raison appelé aristocratique, s'il avait pu se transmettre invariablement de père en fils.

Ceci se passait à l'est de l'Hudson; au sud-ouest de ce fleuve, et en descendant jusqu'aux Florides, il en était autrement.

Dans la plupart des Etats situés au sud-ouest de l'Hudson, de grands propriétaires anglais étaient venus s'établir. Les principes aristocratiques, et avec eux les lois anglaises sur les successions, y avaient été importées. J'ai fait connaître les raisons qui empêchaient qu'on pût jamais établir en Amérique une aristocratie puissante. Ces raisons, tout en subsistant au sud-ouest de l'Hudson, y avaient cependant moins de puissance qu'à l'est de ce fleuve. Au sud, un seul homme pouvait, à l'aide d'esclaves, cultiver une grande étendue de terrain. On voyait donc dans cette partie du continent de riches propriétaires fonciers; mais leur influence n'était pas précisément aristocratique, comme on l'entend en Europe, puisqu'ils ne possédaient aucuns priviléges, et que la culture par esclaves ne leur donnait point de tenanciers, par conséquent point de patronage. Toutefois les grands propriétaires, au sud de l'Hudson, formaient une classe supérieure, ayant des idées et des goûts à elle, et concentrant en général l'action politique dans son sein. C'était une sorte d'aristocratie peu différente de la masse du peuple dont elle embrassait facilement les passions et les intérêts, n'excitant ni l'amour ni la haine; en somme, débile et peu vivace. Ce fut cette classe qui, dans le Sud, se mit à la tête de l'insurrection: la révolution d'Amérique lui

A cette époque, la société tout entière fut ébranlée : le peuple, au nom duquel on avait combattu, le peuple, devenu une puissance, conçut le désir d'agir par lui-même; les instincts démocratiques s'éveillèrent; en brisant le joug de la métropole, on prit goût à toute espèce d'indépendance: les influences individuelles cessèrent peu à peu de se faire sentir; les habitudes comme les lois commencèrent à marcher d'accord vers le même but.

Mais ce fut la loi sur les successions qui fit faire à l'égalité son dernier pas.

Je m'étonne que les publicistes anciens et modernes n'aient pas attribué aux lois sur les successions (1) une plus grande influence dans la marche des affaires humaines. Ces lois appartiennent, il est vrai, à l'ordre civil; mais elles devraient être placées en tête de toutes les institutions politiques, car elles influent incroyablement sur l'état social des peuples, dont les lois politiques ne sont que l'expression. Elles ont de plus une manière sûre et uniforme d'opérer sur la société; elles saisissent en quelque sorte les générations avant leur naissance. Par elles, l'homme est armé d'un pouvoir presque divin sur l'avenir de ses semblables. Le législateur règle une fois la succession des citoyens, et il se repose pendant des siècles: le mouvement donné à son œuvre, il peut en retirer la main; la machine agit par ses propres forces, et se dirige comme d'elle-même vers un but indiqué d'avance. Constituée d'une certaine manière, elle réunit, elle concentre, elle groupe autour de quelque tête la propriété, et bientôt après le pouvoir; elle fait jaillir en quelque sorte l'aristocratie du sol. Conduite par d'autres principes, et lancée dans une autre voie,

(') J'entends par les lois sur les successions toutes les lois dont le but principal est de régler le sort des biens après la mort du propriétaire.

La loi sur les substitutions est de ce nombre; elle a aussi pour résultat, il est vrai, d'empêcher le propriétaire de disposer de ses biens avant sa mort; mais elle ne lui impose l'obligation de les conserver que dans la vue de les faire parvenir intacts à son héritier. Le but principal de la loi des substitutions est donc de régler le sort des biens après la mort du propriétaire. Le reste est le moyen qu'elle em

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