Imágenes de páginas
PDF
EPUB

l'Union américaine. C'est dans l'Ouest qu'on peut observer la démocratie parvenue à sa dernière limite. Dans ces États, improvisés en quelque sorte par la fortune, les habitants sont arrivés d'hier sur le sol qu'ils occupent. Ils se connaissent à peine les uns les autres, et chacun ignore l'histoire de son plus proche voisin. Dans cette partie du continent américain, la population échappe donc non-seulement à l'influence des grands noms et des grandes richesses, mais à cette naturelle aristocratie qui découle des lumières et de la vertu. Nul n'y exerce ce respectable pouvoir que les hommes accordent au souvenir d'une vie entière occupée à faire le bien sous leurs yeux. Les nouveaux États de l'Ouest ont déjà des habitants; la société n'y existe point encore.

Mais ce ne sont pas seulement les fortunes qui sont égales en Amérique, l'égalité s'étend jusqu'à un certain point sur les intelligences elles-mêmes.

Je ne pense pas qu'il y ait de pays dans le monde où, proportion gardée avec la population, il se trouve aussi peu d'ignorants et moins de savants qu'en Amérique. L'instruction primaire y est à la portée de chacun; l'instruction supérieure n'y est presque à la portée de personne.

Ceci se comprend sans peine, et est pour ainsi dire le résultat nécessaire de ce que nous avons avancé plus haut. Presque tous les Américains ont de l'aisance; ils peuvent donc facilement se procurer les premiers éléments des connaissances humaines.

En Amérique, il y a peu de riches; presque tous les Américains ont donc besoin d'exercer une profession. Or, toute profession exige un apprentissage. Les Américains ne peuvent donc donner à la culture générale de l'intelligence que les premières années de la vie à quinze ans, ils entrent dans une carrière; ainsi, leur éducation finit le plus souvent à l'époque où la nôtre commence. Si elle se poursuit au delà, elle ne se dirige plus que vers une matière spéciale et lucrative; on étudie une science comme on prend un métier; et l'on n'en saisit que les applications dont l'utilité présente est re

connue.

pauvres; presque tous les oisifs ont été, dans leur jeunesse, des gens occupés; d'où ils résulte que, quand on pourrait avoir le goût de l'étude, on n'a pas le temps de s'y livrer; et que, quand on a acquis le temps de s'y livrer, on n'en a plus le goût.

Il n'existe donc point en Amérique de classe dans laquelle le penchant des plaisirs intellectuels se transmette avec une aisance et des loisirs héréditaires, et qui tienne en honneur les travaux de l'intelligence. Aussi la volonté de se livrer à ces travaux manque-t-elle aussi bien que le pouvoir.

Il s'est établi en Amérique, dans les connaissances humaines, un certain niveau mitoyen. Tous les esprits s'en sont rapprochés; les uns en s'élevant, les autres en s'abaissant. 11 se rencontre donc une multitude immense d'individus qui ont le même nombre de notions à peu près en matière de religion, d'histoire, de sciences, d'économie politique, de législation, de gouvernement. L'inégalité intellectuelle vient directement de Dieu, et l'homme ne saurait empêcher qu'elle ne se retrouve toujours. Mais il arrive du moins de ce que nous venons de dire, que les intelligencés, tout en restant inégales, ainsi que l'a voulu le Créateur, trouvent à leur disposition des moyens égaux.

Ainsi donc, de nos jours, en Amérique, l'élément aristocratique, toujours faible depuis sa naissance, est sinon détruit, du moins affaibli de telle sorte, qu'il est difficile de lui assigner une influence quelconque dans la marche des affaires.

Le temps, les événements et les lois y ont au contraire rendu l'élément démocratique, non pas seulement prépondérant, mais pour ainsi dire unique. Aucune influence de famille ni de corps ne s'y laisse apercevoir; souvent même on ne saurait y découvrir d'influence individuelle quelque peu durable.

L'Amérique présente donc, dans son état social, le plus étrange phénomène. Les hommes s'y montrent plus égaux par leur fortune et par leur intelligence, ou, en d'autres termes, plus également forts, qu'ils ne le sont dans aucun pays du monde, et qu'ils ne l'ont été dans aucun siècle dont l'histoire

CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L'ÉTAT SOCIAL DES ANGLOAMÉRICAINS.

Les conséquences politiques d'un pareil état social sont faciles à déduire.

Il est impossible de comprendre que l'égalité ne finisse pas par pénétrer dans le monde politique comme ailleurs. On ne saurait concevoir les hommes éternellement inégaux entre eux sur un seul point, égaux sur les autres; ils arriveront donc, dans un temps donné, à l'être sur tous.

Or, je ne sais que deux manières de faire régner l'égalité dans le monde politique: il faut donner des droits à chaque citoyen, ou n'en donner à personne.

Pour les peuples qui sont parvenus au même état social que les Anglo-Américains, il est donc très-difficile d'apercevoir un terme moyen entre la souveraineté de tous et le pouvoir absolu d'un seul.

Il ne faut point se dissimuler que l'état social que je viens de décrire ne se prête presque aussi facilement à l'une et à l'autre de ces deux conséquences.

Il y a en effet une passion mâle et légitime pour l'égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés. Cette passion tend à élever les petits au rang de grands, mais il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l'égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l'égalité dans la servitude à l'inégalité dans la liberté. Ce n'est pas que les peuples dont l'état social est démocratique méprisent naturellement la liberté; ils ont au contraire un goût instinctif pour elle. Mais la liberté n'est pas l'objet principal et continu de leur désir; ce qu'ils aiment d'un amour éternel, c'est l'égalité; ils s'élancent vers la liberté par impulsion rapide et par efforts soudains, et, s'ils manquent le but, ils se résignent; mais rien ne saurait les satifaire sans l'égalité, et ils consentiraient plutôt à périr qu'à la perdre.

égaux, il leur devient difficile de défendre leur indépendance contre les agressions du pouvoir. Aucun d'entre eux n'étant alors assez fort pour lutter seul avec avantage, il n'y a que la combinaison des forces de tous qui puisse garantir la liberté. Or, une pareille combinaison ne se rencontre pas toujours.

Les peuples peuvent donc tirer deux grandes conséquences politiques du même état social: ces conséquences diffèrent prodigieusement entre elles, mais elles sortent toutes deux du même fait.

Soumis les premiers à cette redoutable alternative que je viens de décrire, les Anglo-Américains ont été assez heureux pour échapper au pouvoir absolu. Les circonstances, l'origine, les lumières, et surtout les mœurs, leur ont permis de fonder et de maintenir la souveraineté du peuple.

CHAPITRE IV.

DU PRINCIPE DE LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE EN

: AMÉRIQUE.

Il domine toute la société américaine.

[ocr errors]

Application que les Américains faisaient déjà de ce principe avant leur révolution. - Développement que lui a donné cette révolution. - Abaissement graduel et irrésistible du cens.

Lorsqu'on veut parler des lois politiques des États-Unis, c'est toujours par le dogme de la souveraineté du peuple qu'il faut commencer.

Le principe de la souveraineté du peuple, qui se trouve toujours plus ou moins au fond de presque toutes les institutions humaines, y demeure d'ordinaire comme enseveli. On lui obéit sans le reconnaître, ou si parrive de le produire un moment au grand jour, ose te entôt de le replonger dans les ténèbres du sanctua

La volonté nationale est un des mod intrigants de tous les temps et les despotes de tous les ont le plus lar

[graphic]

gement abusé. Les uns en ont vu l'expression dans les suffrages achetés de quelques agents du pouvoir; d'autres dans les votes d'une minorité intéressée ou craintive; il y en a même qui l'ont découverte toute formulée dans le silence des peuples, et qui ont pensé que du fait de l'obéissance naissait pour eux le droit du commandement.

En Amérique, le principe de la souveraineté du peuple n'est point caché ou stérile comme chez certaines nations; il est reconnu par les mœurs, proclamé par les lois; il s'étend avec liberté, et atteint sans obstacles ses dernières conséquences. S'il est un seul pays au monde où l'on puisse espérer apprécier à sa juste valeur le dogme de la souveraineté du peuple, l'étudier dans son application aux affaires de la société, et juger ses avantages et ses dangers, ce pays-là est assurément l'Amérique.

J'ai dit précédemment que, dès l'origine, le principe de la souveraineté du peuple avait été le principe générateur de la plupart des colonies anglaises d'Amérique. Il s'en fallut de beaucoup, cependant, qu'il dominât alors le gouvernement de la société comme il le fait de nos jours.

Deux obstacles, l'un extérieur, l'autre intérieur, retardaient sa marche envahissante.

Il ne pouvait se faire jour ostensiblement au sein des lois, puisque les colonies étaient encore contraintes d'obéir à la métropole; il était donc réduit à se cacher dans les assemblées provinciales et surtout dans la commune. Là il s'étendait en secret.

La société américaine d'alors n'était point encore préparée à l'adopter dans toutes ses conséquences. Les lumières dans la Nouvelle-Angleterre, les richesses au sud de l'Hudson exercèrent longtemps, comme je l'ai fait voir dans le chapitre qui précède, une sorte d'influence aristocratique qui tendait à resserrer en peu de mains l'exercice des pouvoirs sociaux. Il s'en fallait encore be

fussent élections était partou

donné à l'e

que tous les fonctionnaires publics citoyens électeurs. Le droit électoral ns de certaines limites, et suborh cens. Ce cens était très-faible au

[graphic]
« AnteriorContinuar »