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Ce premier succès, dans un âge où il n'y en a point d'indifférent, ne fit qu'accroître la passion de Racine pour la poésie, et le détermina à s'y livrer entièrement. L'étude épineuse de la jurisprudence, celle de la théologie , ces deux sciences dans lesquelles il est si difficile, même avec de grands talens , de fixer sur soi les regards du public, et de se faire une réputation durable, contrariaient trop son goût dominant, pour qu'il pût se résoudre à suivre l'une ou l'autre carrière, comme ses amis et ses parens le desiraient. Cependant, par déférence pour un oncle qui voulait lui résigner son bénéfice, Racine s'appliqua à la théologie, mais sans négliger, ses occupations chéries : « Je passe mon tems, écrivait-il à la Fontaine, avec mon oncle, saint Thomas, Virgile, et l'Arioste ». Il faisait des extraits des poétes grecs, lisait Plutarque et Platon, étudiait sur-tout sa langue , qu'il a parlé depuis si purement, et à laquelle il a su donner , par un choix, une propriété d'expressions qui étonne et par des associations de mots aussi heureuses que neuves et bardies, une richesse , unc énergie, un mouvement qu'elle n'avait point eus jusqu'alors. De retour à Paris en 1664, il

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fit connaissance avec Molière, ce poéte si philosophe qui a eu tant de successeurs et pas un rival, et que Boileau regardait comme le génie le plus rare du siècle de Louis XIV.

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Une circonstance assez délicate , dans laquelle Racine se conduişit avec une légèreté que son âge rend excusable, causa entre Molière et lui un réfroidissement qui dura toujours : mais ils ne cessèrent jamais de s'estimer et de se rendre mutuellement la justice qu'ils se devaient.

Racine se lia la même année avec Boileau, qui se vantait de lui avoir appris à faire difficilement des vers faciles. Dès ce moment il s'établit entr'eux un commerce d'amitié qui a duré sans interruption jusqu'à la mort de Racine , et dont la douceur n'a même été altérée par aucun de ces troubles intestins et passagers qui s'élèvent quelquefois parmi les amis les plus étroitement unis.

ALEXANDRE fut joué en 1665. Corneille , à qui Racine l'avait lu, lui dit « qu'il avait un grand talent pour la poésie, mais qu'il n'en avait point pour la tragédie ». Ce jugement nous paraît étrange, parcequ'il se lie dans notre esprit avec cette estime habituelle et sentie que nous avons pour Racine', et surtout avec l'admiration profonde que la lecture ou la représentation de ses pièces nous inspire. Mais si l'on fait réflexion que ce n'est point à l'auteur d'IPhiGÉNIE , de PHÈDRE et de BRITANNICUS, que Corneille a tenu ce discours, mais au jeune poéte qui avait fait la ThéBAÏDE et ALEXANDRE, on ne doutera pas que Corneille ne fût de bonne foi : on

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dira seulement qu'il s'est trompé ; et que ce qu'il a dit avec raison d’ALEXANDRE, il ne l'eût certainement pas dit d’ANDROMAQUE, qui fut jouée deux ans après, et que les premières tragédies de Racine ne pouvaient pas faire espérer. En effet, lorsqu'on mesure l'intervalle immense qui sépare ces deux pièces, on applique à Racine ces beaux vers d'Homère si bien traduits par Boileau :

Autant qu'un homme assis au rivage des mers Voit d'un roc élevé d'espace dans les airs , Autant des immortels les coursiers intrépides En franchissent d'un saut. ANDROMAQUE, « pièce admirable , à quelques scènes de coquetterie près (1) ► excita le même enthousiasme que le CID, et ne le méritait pas moins. Les applaudissemens que Racine reçut à cette occasion étaient d'autant plus flatteurs, qué de nouveaux succès, dans une carrière que Corneille avait parcourne avec tant de gloire, étaient nécessairement plus difficiles à obtenir. Lorsqu’un art ou une science a déjà fait de grands progrès chez un peuple , il faut plus de sagacité, plus de génie, pour reculer d'un pas les limites de cet art ou de cette science, qu'il n'en fallait aux premiers inventeurs pour porter l'un ou l'autre au point où ils l'ont laissé.

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(1) C'est le jugement que Voltaire en porte.

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Un fait assez singulier, c'est que dans le privilège d'ANDROMAQUE on donne à Racine le titre de Prieur de l'Épinay : mais il n'en jouit pas long-tems; le bénéfice lui fut disputé, il n'en retira pour tout fruit qu’un procès que ni lui ni ses juges n'entendirent jamais, comme il le dit dans la préface des PLÀIDEURS, dont ce procès fut en partie l'occasion ou le prétexte.

BRITANNICUS suivit de près ANDROMAQUE, mais sa destinée ne fut pas aussi heureuse. Soit

que

les amis de Corneille, trop exclusifs sans doute , et par ane suite de cette intolérance qui domine plus ou moins dans toutes les opinions, quelqu'en soit l'objet, aient étouffé par leurs critiques malignes et insidieuses la voix presque toujours faible et timide de la louange; soit plutôt que les beautés dont la pièce de Racine étincelle eussent un caractère trop sévère , trop antique pour le tems où elle parut, et qu'il en soit en littérature conime en politique, où, même pour les meilleures choses, il est nécessaire que les esprits soient préparés ; il est certain qu'on ne sentit pas d'abord le mérite de BRITANNICUŚ. Cette pièce, un des plus estimables ouvrages de Racine, « où l'on trouve , dit Voltaire, toute l'énergie de Tacite exprimée dans des vers dignes de Virgile , fut reçue très-froidement, et ne réussit même que dans un tems où ce succès trop attendu devait peu le flatter, et ne pouvait presque

rien ajouter à sa réputation.

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Il avoue dans sa préface, avec cette candeur et cette modestie qu'on ne trouve que dans les hommes d'un talent supérieur, qu'il doit beaucoup à Tacite, qu'il appelle même le plus grand peintre de l'antiquité. On voit avec plaisir un juge aussi éclairé, et d'un goût aussi correct,

aussi

pur que Racine, rendre cette justice à Tacite. Mais ce qui fait seul l'éloge de cet excellent historien, c'est que par-tout où Racine s'est proposé de l'imiter, il est resté au-dessous de lui , et que ces imitations, souvent aussi heureuses que le génie si différent des deux langues le comporte, et qu’une traduction en vers le permet, sont peut-être les plus beaux endroits de Britannicus, où, comme Racine le remarque, « il n'y a presque pas un trait éclatant dont Tacite ne lui ait donné l'idée. H

Je n'entrerai dans aucun détail sur les autres pièces de Racine : il suffit d'observer en général qu'elles eurent le sort de tous les bons ouvrages , c'est-à-dire qu'elles furent critiquées avec autant de fiel que d'ignorance par les Zoïles du tems, et justement admirées des vrais connaisseurs, les seuls hommes dont le suffrage entraîne tôt-ou-tard celui de la pation, et dont la voix se fasse entendre dans l'avenir.

Après avoir donné en six ans cinq tragédies, dont la plus faible est écrite avec une élégance, un charme qui fait presque disparaître ou pardonner la langueur et la monotonie du seul sentiment qui y règne , Racine renonça à la poésie , et termina en 1677 sa carrière

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