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sans cesse d'une main à une autre, aient été régis par des principes essentiellement différents. Enfin, beaucoup de colonges ecclésiastiques, on l'a vu plus haut à Kintzheim, on le voit encore ici, prétendent tenir leurs droits et leur constitution, des princes ou des seigneurs qui les donnèrent à l'Église.

La petite importance des colonges purement laïques s'explique à mes yeux par d'autres motifs. Certaines colonges n'ont jamais été qu'une exploitation agricole. Les autres ont vu leurs priviléges politiques se perdre peu à peu, et ont été plus tard, ou supprimées, ou réduites au rôle trop modeste d'une institution exclusivement foncière. Dans mon essai sur les Paysans de l'Alsace au Moyen-Age, j'ai eu souvent l'occasion d'établir ce fait. Or, cette transformation qui, malgré la résistance qu'elle rencontrait de la part des abbayes, se trouvait presque partout terminée à la fin du xve siècle, dut se faire. beaucoup plus tôt dans les terres laïques. Ici, tous les pouvoirs, partagés ailleurs entre l'avoué et le propriétaire de la colonge, étaient réunis dans la même main. L'œuvre de la centralisation seigneuriale, ainsi facilitée, était sans doute terminée, lorsqu'on rédigea par écrit les constitutions jusque là traditionnelles.

De là, le caractère presque entièrement foncier des rotules d'Altkirch, de Ferrette, de Rougemont, de Riespach, etc., etc.

La colonge de Schæffersheim est sortie des mains laïques avant que la révolution politique, signalée plus haut, ait eu lieu. Elle appartenait à Hohenbourg avant 1050, puisque Léon IX la comptait alors parmi les possessions de l'abbaye. Mais elle conserva les droits dont elle jouissait sous ses premiers possesseurs : le rotule l'affirme, et on le croira sans peine, quand on aura vu, dans le chapitre suivant, en quels termes se rédigeaient les constitutions de Sainte-Odile. Ainsi, quoique domaine d'une abbaye, elle a la condition d'une terre exclusivement laïque.

Or, quelle est cette condition? Exemption pour le village de toute espèce de taille; jugement des délits et autres contraventions par les deux schultheiss, représentants des deux abbayes; établissement par les sujets du tarif des amendes; désignations pour les gardeschampêtres faites par les sujets; subordination à la colonge des habitants non colongers du ban. Voilà bien les caractères principaux d'une colonge souveraine. Les terres seigneuriales étaient donc soumises aux mêmes lois, que les domaines ecclésiastiques.

Dis sun des dinghofs Recht zu Schefferszheim und vahen also ann: 1o Hye vor do hubent das dorff zwen gebruder an, und was twing und ban ist, und hetten nit libs erben. Do deillten sy das dorff und Ir guott also glich allso eyne Schwynes fusz geteilte. So gab einer by lebende sin guott und sinen teil S. Odilien gen hohenburg der eptissin und dem Closter, und der ander bruder synen teil dem apt von Murbach. Und von den zweyen Clostern, so handt wir dy fryheit das wir keyn Banherrn nit enhant, und och keyn banbette dienen und sollen dienen, von dem dorff und dem banne.

2o Man sol ouch wissen das zu Schefferszheim sint zweyer hande lutte, do sint eyner hande dy heissen Murbach lutte, die horen gen Murbach; und die andren gehoren gen hohenburg an das Closter S. Odilien, und heissen S. Odilien von hohenburg lutte, als sie hie vor dy zwen vorgen. gebruder an die vorgenante Closter geben, von denen die vor geschriben lutte und das dorff Ire fryheit und Recht hant.

3° Man sol ouch wissen das hohenburg lutte und Murbach lutte haut dy recht, das sie mugen eynung setzen und entsetzen, hohe oder

Voici les droits de la colonge de Schæffersheim. Ils commencent ainsi :

1° Autrefois deux frères possédaient le village et tout ce qui dépend de sa juridiction et de son ban. Comme ils n'avaient pas d'héritier, ils partagèrent le village et leurs biens en deux parts égales. L'un donna son bien et sa part, de son vivant, à l'abbesse et au couvent de Sainte-Odile de Hohenbourg. L'autre abandonna son lot à l'abbé de Murbach. Au nom des deux monastères, nous avons la franchise de n'avoir aucun seigneur, de ne payer aucune taille, à propos du village et du ban.

2o On saura aussi qu'il y a à Schaeffersheim deux espèces de gens: les uns sont appelés hommes de Murbach et dépendent de cette abbaye; les autres sont dits hommes de Hohenbourg et dépendent de Hohenbourg, du couvent de Sainte-Odile. Ce sont les descendants de ceux que partagèrent, entre les deux couvents, ces deux frères desquels eux et le village tiennent leur franchise et leurs droits.

3o On saura aussi que les gens de Murbach et de Sainte-Odile ont le droit d'établir et d'abolir des einung (compositio, ordonnance con

nohe, und sol nyeman anders eynigung machen on dy vorgeschriben lutt. Ist es yeman bricht den eynung, der ist schuldig ein schlecht eynung und keynen frevel. Breche aber ein gemein man ein frevel, so man Im verbuttet, als dick man Im verbuttet affter des ersten moles, als dicke er dan bricht, als dicke ist er schuldig ein frevel.

4o Man sol ouch wissen das zu Schefferszheim sollen sin zwen Schultheisz und zwen buttel; do sol ein Schultheisz und sin buttel sin von Murbach lutten, und vor den sollen Murbach lutt zu recht ston, und vor nieman anders, und gemein lutt sollen recht nemen vor den beyden Schultheissen.

5o Man sol ouch wissen das die zwen Schultheissen sollen den hueber geben try man, dy sint hohenburg lutt und Murbach lutt, und usz den tryen sollen dy hueber kyesen zwen Banwarthen.

6o Man sol ouch wissen das Murbach und hohenburg lutte hant dy recht, das dy Wyn lege Ire ist und nyeman anders.

ventionnelle) fortes ou faibles; personne autre n'a le droit d'en faire. Si quelqu'un transgresse l'eynung, il paie une petite amende et point de délit. Mais si un homme commun' tombe dans un délit, il paiera autant de délits (grosse amende), qu'il en commet après le premier avertissement.

4o On saura enfin qu'il doit y avoir à Schæffersheim deux prévôts et deux appariteurs Un prévôt et un appariteur seront pour les gens. de Murbach, et ceux-ci doivent venir en justice devant eux seuls. Les gens communs reçoivent justice devant les deux prévôts.

5o On saura aussi que les deux prévôts présenteront aux colongers trois hommes, pris parmi les gens de Hohenbourg et de Murbach, e sur ces trois hommes les colongers choisiront deux gardes-champêtres.

6o On saura aussi que les gens de Murbach et de Hohenbourg ont seuls le droit de la vente du vin en détail.

1. Les hommes communs sont les habitants de Schaffersheim, colongers ou non, qui n'étaient pas placés sous le mundium de l'une des deux abbayes. Les autres, que l'on est convenu d'appeler des serfs, étaient soumis à une pénalité moins sévère, et avaient des titres particuliers aux faveurs de leurs maîtres, aux fonctions publiques. Si le servage imposait des charges, il conférait aussi des privilèges qui les compensaient. Il y avait moins d'iniquité qu'on ne le croit dans les institutions de nos pères.

Voilà ma thèse suffisamment établie.

J'ai varié mes exemples à dessein. Ils appartiennent à autant de seigneuries différentes, à autant de villages distincts, séparés les uns des autres par leur position géographique, autant que par la diversité de leurs destinées.

Aucun de ces documents, aucune des nombreuses constitutions que renferme le recueil de GRIMM, n'a le caractère d'un octroi seigneurial, d'une charte d'affranchissement. C'est la constatation. pure et simple de coutumes traditionnelles, faite par les paysans eux-mêmes, écrite sous leur dictée.

Les dates qui accompagnent les rotules indiquent l'époque de cette rédaction, ou celle des copies et renouvellements; mais l'origine des coutumes elles-mêmes se perd dans la nuit des temps.

La colonge était donc souvent une institution politique. Je dirai plus. Elle l'était toujours, quand son noyau formait une terre salique. Une histoire qui ne tiendra pas compte de ces institutions si nombreuses et si remarquables, ne comprendra rien à la vie des campagnes du Moyen-Age, à l'organisation de ces souverainetés villageoises d'où sortirent les états modernes.

CHAPITRE V.

UN LIVRE SALIQUE DE L'ABBAYE DE HOHENBOURG.

Dans le chapitre précédent nous avons fait une course au clocher. La Basse-Alsace a été parcourue en tout sens, depuis le Rhin jusqu'aux Vosges, depuis les frontières du palatinat jusqu'aux limites de la Haute-Alsace; nous avons même fait une pointe dans les environs de Colmar.

Plantons maintenant notre tente auprès de Ste-Odile, et reposonsnous, dans les terres de cette abbaye, de tant de courses vagabondes. Pour charmer cette halte, voici un délicieux cahier en parchemin, d'une écriture ravissante, qui date au moins du xive siècle. Il est conservé dans les archives du Grand-Chapitre de Strasbourg (G. 3177).

Avec lui nous ne ferons pas de voyages lointains; nous tournerons dans un cercle assez étroit, parfois monotone; mais quand l'horizon est borné, il est plus facile de l'embrasser d'un seul coup d'œil, d'en pénétrer les moindres détails.

Le lecteur rencontrera, dans ce chapitre, des données curieuses, et aussi, hélas! de nombreuses redites. Mon but, qui est de présenter ici les textes authentiques dans toute leur étendue, ne me permet pas d'éviter les répétitions, quelque fastidieuses qu'elles puissent être. C'est dans un pareil travail surtout qu'il est difficile de joindre l'agréable à l'utile.

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