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des Indes, et d'un grand nombre d'autres attentats du même genre dont ils se rendirent coupables, et que je passe ici sous silence comme moins importans, et pour ne pas sortir des limites de mon sujet.

III. Lorsque Charles II épousa en 1680 Marie-Louise de Bourbon, fille du duc d'Orléans, et nièce de Louis XIV, la dureté des inquisiteurs était si grande, et le goût de la nation si dépravé, qu'on s'imagina flatter la nouvelle reine et lui rendre un hommage digne d'elle, en associant aux réjouissances de son mariage, le spectacle d'un grand auta-da-fé, composé de cent dixhuit victimes, dont un nombre considérable devait périr dans les flammes, et éclairer les derniers momens de cette solennité. Malheureusement, on ne manquait pas d'exemples pour autoriser ces épouvantables scènes. En 1560, la ville de Tolède avait vu donner une fête semblable à la reine Elisabeth de Valois, et la capitale de l'Espagne en avait célébré une autre, en 1632, à la naissance d'un prince, fils de la reine Elisabeth de Bourbon, Il paraît que, pour amuser les princesses de France, on ne croyait pas pouvoir mieux faire que de leur offrir ces spectacles horribles, qu'on disait commandés par le zèle pour la religion : mais je suis loin de croire que ces augustes françaises assistassent avec plaisir à des exécutions qui devaient révolter leur sensibilité, incapable de supporter ce qui convenait depuis long-temps aux mœurs des Espagnols.

IV. Sur cent dix-huit condamnés qui parurent dans cet auto-da-fé, il y en eut dix qui abjurèrent l'hérésie comme légèrement suspects: on voyait dans ce nombre, deux hypocrites qui, sous le voile d'une régularité affectée, avaient commis des délits très-graves;

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deux sorciers; quatre bigames; un prêtre marié; un homme qui, sans être prêtre, avait dit la messe un autre condamné qui abjura comme violemment suspect. On y compta cinquante- deux bérétiques judaïsans, tous Portugais ou enfans de Portugais ; dix-neuf relaxés à la justice séculière, dont dix-huit judaïsans, impénitens ou relaps, et un apostat qui avait embrassé le mahométisme on y brûla trentequatre effigies, dont deux avec le San-Benito des réconciliés, parce que les condamnés étaient morts repentans dans leur prison; parmi les trente-deux autres, huit représentaient des Juifs; et deux, un luthérien et un hérétique illuminé ; ces dix condamnés étaient morts impénitens; il y en avait vingt-deux de Juifs absens fugitifs.

V. Parmi ces victimes, je n'en trouve aucune qui mérite d'être citée par son rang ou ses qualités ; et je dois en dire autant de celles d'un autre auto-da-fé particulier, qui fut célébré dans l'église du couvent des religieuses de Saint-Dominique de royal, le 28. octobre de la même année, et où l'on voit paraître quinze judaïsans réconciliés; deux avaient été condamnés à la relaxation, en vertu de sentences définitives prononcées avant l'auto-da-fé général; mais leur exécution avait été suspendue, parce que, dans la nuit du 29, ils avaient témoigné du repentir, et demandé leur réconciliation. Quelques notes manuscrites indiquent que plusieurs autres condamnés évitèrent le sort qui les attendait, en achetant leur grâce au poids de l'or, auprès des ministres subalternes du tribunal. Je suis persuadé que cette dernière assertion n'a aucun fondement, parce que les employés dont il s'agit, n'ont que très-peu d'influence après

l'arrestation des prévenus, pour empêcher leur jugement définitif.

VI. Le procès, le plus fameux que l'Inquisition ait jugé sous le règne de Charles II, est celui du confesseur de ce prince, F. Froilan Diaz, religieux dominicain, évêque élu d'Avila. La faiblesse habituelle de la santé du monarque, et le défaut d'enfans, malgré le désir qu'il témoignait d'en avoir et qui était partagé par la reine Marie-Anne de Newbourg sa seconde femme, et par toute la nation, firent naître le soupçon que Charles II était malade et hors d'état d'user du mariage, par l'effet surnaturel de quelque maléfice. Le cardinal Portocarrero, l'inquisiteur général Rocaberti et le confesseur crurent au sortilège; et, après avoir persuadé au roi qu'il était maléficié, il le prièrent de -permettre qu'on l'exorcisàt suivant le formulaire de l'Église. Charles consentit à ce qu'on lui proposait et se soumit aux exorcismes de son confesseur. La nouveauté de ce moyen fut dans toute la monarchie espagnole l'occasion d'une multitude de propos, et Froilan parvint à savoir qu'un autre moine dominicain exorcisait alors à Cangas de Tineo, bourg des Asturies, une religieuse avec l'intention de la délivrer des Démons dont elle se disait obsédée. Le confesseur du roi, d'accord avec l'inquisiteur général, chargea l'exorciste de l'énergumène de commander au Démon, en employant les formules du rituel, de décla rer s'il était vrai que Charles II fût maléficié, et s'il répondait affirmativement, de lui faire découvrir ka nature du sortilège; s'il était permanent; s'il avait été attaché aux choses que le roi mangeait et buvait; à des images et à d'autres objets; dans quels lieux on pourrait les trouver, et enfin s'il y avait quelque

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moyen naturel d'en détruire l'effet; le confesseur avait ajouté d'autres questions à celles qu'on vient de lire, et écrit à l'exorciste de répéter les exorcismes, et de les pousser avec toute la constance et la vigueur que demandaient l'intérêt du roi et le bien de l'état.

VII. Le dominicain de Cangas refusa d'abord d'interroger le Démon, en alléguant que la chose était défendue par l'Église; cependant après avoir reçu l'assurance de l'inquisiteur général que l'opération n'était pas criminelle dans la circonstance où l'on se trouvait, l'exorciste exécuta fidèlement tout ce qu'on lui avait demandé. Après un assez grand nombre d'incidens, le Démon découvrit ( dit-on), par l'organe de la possédée, qu'il y avait eu, en effet, un sort jeté sur le roi par une personne qui fut désignée; on ajoutait que cette révélation avait été accompagnée de beaucoup d'autres détails extrêmement délicats. D'après des notes secrètes de ce temps-là, le coupable était un agent de la Cour de Vienne; mais le confesseur Diaz et le cardinal Portocarrero étaient partisans de la France pour l'affaire de la succession au trône d'Espagne.

VIII. Le confesseur du roi fut vivement alarméet prit le parti de faire redoubler les conjurations, jusqu'à ce qu'on eût acquis assez de lumières pour détruire le prétendu maléfice. Cette nouvelle opération n'était pas encore terminée, lorsque Rocaberti tomba malade et mourut, Il eut pour successeur D. Balthasar de Mendoza, évêque de Ségovie, partisan de la maison d'Autriche, qui fit entendre au roi que tout ce qui venait de se passer, était uniquement l'effet du zèle imprudent de son confesseur, et qu'il était indispensable de l'éloigner. Le roi suivit ce conseil, et nomma Froilan à l'évêché d'Avila; mais le nouvel inquisiteur non content d'em

pêcher l'expédition des bulles, fit mettre Diaz en jugement, comme suspect d'hérésie par sa superstition, et comme coupable d'avoir embrassé une doctrine condamnée par l'Église, en accordant sa confiance aux Démons, et en se servant d'eux pour découvrir des choses cachées. Mendoza dirigeait cette attaque d'accord avec le nouveau confesseur du roi, Torres Palmosa, provincial de dominicains, originaire d'Allemagne, et qui était opposé à Froilan Diaz pour l'administration des affaires de l'Institut de Saint-Dominique. Torres, qui ne désirait pas moins que Mendoza la perte de Froilan, communiqua au premier les lettres que celuici avait reçues de Cangas pendant l'affaire des exorcismes, et qui avaient été trouvées dans ses papiers.

IX. Mendoza fit entendre des témoins, et après avoir combiné ce que leurs déclarations offraient de plus important, avec le résumé des lettres de l'exorciste et l'interrogatoire de l'accusé, il voulut s'en servir pour prouver que Diaz était coupable. Il réunit cinq théologiens qui lui étaient dévoués, et leur donna pour président D. Jean Arcemendi, conseiller de l'Inquisition, et pour secrétaire D. Dominique de la Cantolla, official de la secrétairerie du Conseil de la Suprême. Cependant, malgré les intrigues du grand inquisiteur, les cinq qualificateurs déclarèrent à l'unanimité que le procès n'offrait aucune proposition ni aucun fait qui méritat la censure théologique.

X. Ce résultat déplut beaucoup à Mendoza; mais comme il comptait beaucoup sur son influence dans le Conseil, il proposa l'arrestation de Diaz. Cette tentative ne réussit pas mieux que la première : les conseillers refusèrent d'approuver la mesure comme injuste et contraire aux lois du Saint-Office, d'après

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