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Est, autour de Lyon, la situation n'était guère rassurante. A l'Est les Lyonnais avaient le voisinage d'Amédée VIII, duc de Savoie, qui faisait ses efforts pour calmer son neveu le duc de Bourgogne, mais n'en n'était pas moins plus favorable à sa cause qu'à celle de Charles VII. A l'Ouest et au Nord, ils étaient enveloppés par les vastes états du duc de Bourbon qu'englobaient le Bourbonnais, l'Auvergne, le Forez, le Beaujolais et la principauté de Dombes. Malheureusement le duc Jean, très dévoué à la cause française, était prisonnier en Angleterre depuis la bataille d'Azincourt, et sa femme, Marie de Berri était incapable de défendre seule son pays contre les Bourguignons. De plus, aux portes de Lyon, les campagnes étaient désolées par une sorte de jacquerie qui sévissait dans les montagnes du Forez et celles du Lyonnais1.

Au milieu de l'année 1422, le bailli Humbert de Grolée avait dû mener une vigoureuse campagne contre ces bandes de paysans qui incitées par par les malheurs des temps et les impôts faisaient la guerre aux nobles et aux prêtres, et rançonnaient les bourgeois. Humbert de Grolée s'empara de Villechenève et de Saint-Jean-de-Panissières (7 et 8 juin) 2. Dans cette dernière ville il put interroger « le capitaine principal des brigands » qui se trouvait au nombre des prisonniers et les renseignements qu'il en obtint ne laissent aucun doute sur le caractère de cette révolte. C'était, comme l'a dit Quicherat, une véritable explosion de « communisme » populaire 3. Ce brigand lui déclara que son intention était de « destruyre toute noblesse, après les prestres, excepté en chacune paroisse ung et puis après tous bourgoys, marchans, gens de conseil et autres notables des bonnes villes. » Ces déclarations n'avaient rien de rassurant pour les bourgeois de Lyon; la vigoureuse campagne de leur bailli calma leurs alarmes, mais elle ne fit pas disparaître leurs craintes, car en 1430 il est encore question de ces bandes 5.

1 Voir J. Quicherat, Rodrigue de Villandrando, p. 61 (et la note 3 de cette page)

2 Voir Pièces justificatives, n° XXIX, le texte de la lettre d'Humbert de Grolée, datée du 8 juin et écrite à Saint-Jean-de-Panissières.

3 Voir J. Quicherat, Rodrigue de Villandrando, p. 61.

4 Ce récit se trouve dans une seconde lettre écrite le même jour de Saint-Jeande-Panissières aux Lyonnais (8 juin). Voir Pièces justificatives, n° XXVIII. 5 Voir J. Quicherat, Rodrigue de Villandrando, p. 61.

En tout cas, Charles était bien représenté à Lyon; et on conçoit que lorsqu'il fut question de déplacer Humbert de Grolée, les Lyonnais soient intervenus pour demander le maintien de leur vaillant capitaine 1.

1 Le 3 novembre 1421, les Consuls décident d'écrire au dauphin en faveur d'Humbert de Grolée « que l'en dit vouloir estre desappointé de son office », et ce, par la plus gracieuse maniere que faire se porra, tellement que s'il estoit desappointé, cellui qui apres lui seroit baillif, n'en feust point mal content. (V. C. Guigue. Registres consulaires de la ville de Lyon, p. 333) Mais ces lettres furent écrites par l'archevêque au nom du clergé et des consuls (Voir la délibération du 4 novembre, p. 334).

CHAPITRE II

LES ÉTATS DE LANGUEDOIL ET LA VILLE DE LYON (1423-1439)

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États de Bourges (16 janvier 1423). [1423]. De 1423 à 1439, les Lyonnais furent convoqués presque chaque année à des assemblées d'États qui, à l'exception d'une seule, celle de Chinon en 1428, doivent être considérées comme des assemblées de Languedoil, et non comme des États généraux proprement dits'. Un document, cité par M. Antoine Thomas nous révèle que le 10 janvier 1423, les consuls eurent à désigner deux députés pour l'assemblée convoquée par le roi à Issoudun 2. Les deux représentants de la ville, Bernert de Varey et Jean Gontier se rendirent à l'assemblée qui s'ouvrit le 16 janvier, date indiquée par la lettre de convocation envoyée aux Lyonnais. Mais, ainsi qu'il arriva fréquemment dans la suite, le lieu de la réunion fut changé; c'est à Bourges que se réunirent les députés primitivement convoqués à Issoudun.

Ces Etats de Bourges accordèrent au roi un subside de 1 million de livres tournois, chiffre qui ne fut jamais dépassé par les assemblées convoquées sous le règne de Charles VII. Ce point a été établi par M. Thomas qui, à l'aide des registres municipaux de Lyon a déterminé la quote-part du clergé (100.000 livres) et celle des laïques (900.000)3. Le 2 février, les députés de Lyon étaient

Notre tache a été singulièrement facilitée par les travaux de M. Antoine Thomas sur les États généraux tenus en France pendant le règne de Charles VII. — Sur le caractère de ces États, voir son article, Les États généraux sous Charles VII, dans le Cabinet historique (seconde série, t. II, Documents, année 1878, p. 118-124). 2 M. Thomas a donné, p. 213 du même volume, le texte in extenso de la lettre de convocation datée de Mehun-sur-Yèvre (8 décembre) 1422 et conservée (en original), aux Archives municipales de Lyon, AA 68.

3 M. Thomas, dans un article de la Revue historique (t. XL, mai-août 1889), intitulé les États généraux sous le règne de Charles VII, notes et documents nouveaux a établi, p. 55, que les pays de Languedoil n'eurent à fournir que 440.000 livres

de retour et, le 9, les consuls s'occupèrent de la participation de Lyon à ce subside élevé. Les membres du consulat s'adjoignirent pour cette délibération un certain nombre de notables, car il était d'usage à Lyon de ne prendre aucune décision importante en matière financière sans avoir consulté les citoyens les plus influents de la ville.

Le procès-verbal de la réunion nous apprend que l'élection de Lyon avait été taxée à 20.000 livres et la ville proprement dite à 4.008.

Il fut décidé par l'assemblée que les habitants seraient imposés à raison de 5 poyses tournois par livre de revenu1. Les registres municipaux nous indiquent le nom des bourgeois qui se chargèrent de lever le premier terme : ce furent Guillaume Panaillat pour l'empire, et Berert Jacot pour le royaume. Il est de nouveau question de cet impôt le 25 février et dans le courant du mois de mars : la lecture des registres nous révèle des préoccupations très curieuses à noter : nous voyons d'abord que, malgré les critiques et les observations de quelques-uns, les consuls et les maîtres des métiers aiment mieux payer cet impôt élevé que de demander au bailli une réduction: ils craignent en effet de voir les officiers du roi s'occuper de leurs affaires, et c'est ce qu'à tout prix ils désirent éviter. Ils ne veulent pas, disent les textes « fere mectre autres receveurs et auditeurs des comptes et faiseurs de papier par le dit Monseigneur le baillif contre les privilèges et coustumes anciennes du consulat de la dicte ville par lesquelles les conseillers et maistres des mestiers teulx choses se sont accoutumées de fere et ordoner sans ce que aucun justicier ou officier ait aucunement acoustumé de soy entremectre 2»>,

sur la somme totale. Ainsi qu'il le fait remarquer, il est intéressant de constater que les États de Languedoil furent appelés dans ces circonstances à consentir non seulement leur quote part, mais l'ensemble de l'impôt à lever dans tout le royaume. Sur ces États de Bourges, il convient, en outre, de consulter l'article de M. Thomas dans le Cabinet historique de 1878 aux pages 125-129. Pour ces États, comme pour les suivants, M. Thomas a beaucoup mis à contribution les Archives municipales de Lyon, surtout la série AA. Il est à remarquer que la ville de Lyon avait d'abord choisi comme députés Bernerd de Varey et Guillaume Panoillat, mais ce dernier ayant décliné l'offre qui lui était faite, on le remplaça par Jean Gontier.

La poyse tournois vaut le quart du denier tournois. Ce mot vient de pensa. Il désigne une monnaie dans la région lyonnaise. Voir à ce sujet, Frédéric Godefroy (Dictionnaire de l'ancienne langue française, t. VI, 1889, p. 258, qui en définit la valeur, et du Cange, Glossarium, au mot pensa.

Délibération du rer mars 1423. Voir Arch. mun. de Lyon, BB 1, fol. 173 vo.

A ce sentiment de défiance contre les officiers du roi s'ajoute un autre sentiment de défiance à l'égard des agents du consulat. Les notables redoutent que l'argent levé à l'occasion de cette taille royale ne soit en partie détourné de sa destination et qu'on ne s'en serve pour éteindre les dettes de la ville.

Cette préoccupation se fait jour plusieurs fois : d'abord le 2 mai, on désigne divers conseillers pour « esgarder que l'argent des tailles ne aille autre part que au payement du roy 1». Et ce n'est pas là une vaine formule, car le lendemain, ordre est donné à Berert Jacot et à Guillaume Panoillat, de remettre les 16.000 francs du premier terme à Bel Oyzel, receveur général du roi, et en même temps promesse est faite « de les protéger contre ceux qui voudraient les forcer a leur remectre le residu pour autre chose que le service du roi2 ». Toutefois, si les conseillers craignent de faire intervenir le bailli du roi qui est trop près d'eux, ils ne redoutent pas au même degré de s'adresser au roi qui est loin et qui se laisse apitoyer plus facilement (du moins, ils le croient): aussi ne tarde-t-on pas à solliciter de lui, non pas une réduction, mais une rémission totale de la présente taille ou du moins, de ce qui restait à payer. A cet effet, on vote le 11 mars une somme de 30 ou 40 francs, pour subvenir à la dépense occasionnée par le voyage du procureur envoyé auprès du roi3. Ainsi on s'adresse directement au Souverain sans passer par l'intermédiaire de ses agents. Cette décision mérite d'être notée, car à cette époque, le voyage d'un député à travers un pays parcouru par des routiers et des pillards de toutes sortes était très coûteux et présentait des dangers de toutes sortes: c'est là une nouvelle preuve de cette défiance pour les officiers du roi que nous avons notée et dont la présente délibération contient encore un second exemple: les conseillers prescrivent en effet «<que ceulx qui refferont les papiers des vaillans pour les tailles les refferont a la moytié des vaillans... afin que se aucuns officiers vouloient de force. prendre les dis papiers qu'ilz ne puissent... savoir les vaillans de la ville».

1 Ces conseillers sont Jehan de Marines, Barthélemy de Saint Rambert et Jacquemet le brodeur (BB 1, fol. 173 vo).

2 Voir BB 1, fol. 173 vo. V. le détail de la perception dans Pièces justificatives, n° XXXV.

3 Délibération du 11 mars. Voir BB 1, fol. 175 vo.

▲ Ibid.

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