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inouï d'idées religieuses et de mœurs tellement barbares qué quelques-uns devinrent anthropophages. Ces excès horribles amenèrent, dit-il, une institution fort singulière, celle du Roi des Truands. L'auteur, après avoir peint les mœurs de cette époque reculée au milieu de cette conflagration de l'Occident sur l'Orient, termine son travail par le récit de l'expédient dont s'avisa Bohemond, prince de Tarente, pour chasser du camp les espions des Turcs et pour effrayer l'ennemi; il fit égorger devant lui quelques prisonniers et ordonna au bourreau d'allumer un grand feu, de les mettre à la broche pour être mangés par lui et les siens; et, dit le traducteur de Guillaume de Tyr: « A ce moyen advient que par l'action et conduite du sieur « Bohemond, fut tollue du camp, la peste des espies et les entre<< prises des chrétiens furent moins divulguées aux Turcs. »

CRITIQUE ET ANALYTIQUE

DE DIVERSES CHARTES

DES Xo, XIo, XII® ET XIII SIÈCLES,

RELATIVES A LA TOTRAINE.

[ Communiqué par M. Prosper Tarbé.]

Ceci n'est point une histoire de Touraine : ce n'est pas même celle d'une église ou d'un couvent. Il ne s'agit que de quelques chartes d'origine diverse, tristes débris de chartriers autrefois fameux que le hasard a réunis de nouveau.

La Touraine, ce beau pays que l'on a nommé le Jardin de la France, n'a jamais été le théâtre de ces évènemens qui retentissent au loin; jamais elle ne fut le foyer d'un mouvement révolutionnaire ; jamais elle ne vit germer et éclore dans son sein une grande idée morale, philosophique ou religieuse : elle n'a point et n'a jamais eu de cachet original.

Soumise à toutes les impressions puissantes venues du dehors, traînée à la remorque de toutes les passions bonnes on mauvaises qui ont agité le monde, elle ne

fut jamais Touraine, mais elle fut toujours France. Aussi l'histoire de ses mœurs, de ses us et coutumes, est-elle d'un intérêt plus général que celle des faits passés aux bords de la Loire.

Tout ce qui se faisait en Touraine se faisait ailleurs: parler des chartes de cette province, c'est parler des chartes d'une nation, c'est révéler aux siècles modernes les siècles passés, c'est soulever un coin du voile qui couvre le moyen-âge.

La fin du dixième siècle, les onzième, douzième et treizième siècles de la monarchie française occuperont ceux qui prendront la peine de lire ce Mémoire les petits - fils de Charlemagne vont descendre du trône; Hugues-Capet va prendre la place qu'ils ne peuvent plus défendre; le roi de France n'est plus seigneur que de deux ou trois villes, et ses vassaux possèdent des provinces. Il n'y a plus de Champ-de-Mai, les capitulaires de Charlemagne dorment dans la poussière; l'autorité, c'est la force; le droit, c'est la victoire; les seigneurs donnent et reprenneat les bénéfices, fixent les impôts, font des lois de police, jugent toutes les causes et font exécuter leurs jugemens. Le nom du Roi ne sert plus qu'à dater les chartes. A côté de ce pouvoir brutal s'élève une autre puissance moins tumultueuse; elle ne manie pas la lance, ne va pas aux tournois; ce n'est pas au trône de France qu'elle prétend; si on l'en croit, son royaume n'est pas de ce monde; c'est elle qui arrête Attila aux portes de Rome; c'est elle qui fait tomber à genoux devant l'Éternel les rois souillés du sang de leurs peuples; elle a mis Charlemagne sur le trône, puis elle va jeter le nom de Dieu au milieu de tous les hommes d'armes qui s'entreégorgent.

Pourquoi le clergé a-t-il cessé de remplir sa diviné mission? Pourquoi les ministres de paix ont-ils pris part à toutes nos dissensions civiles? Les moines avaient fait vœu de pauvreté, et leurs couvens devinrent plus riches que les rois qui les avaient comblés de présens. Au commencement de l'ère chrétienne, ils se contentaient de prier pour eux-mêmes; gagner le ciel leur semblait tâche assez difficile, pour que la vie d'un homme pût à peine y suffire; leurs successeurs vendirent des places dans le paradis, ils en assurèrent aux générations futures, ils en promirent aux générations passées, si les générations présentes voulaient les payer: elles eurent la faiblesse de le faire. Dès lors la puissance du clergé fut sans bornes; la terreur de l'enfer, dont ils pouvaient se servir dans l'intérêt de l'humanité, ne servit qu'à la fortune de l'église. On va les voir tantôt évoquer un vieux souvenir, une donation verbale, par exemple, et arracher aux enfans une charte de concession qui devait sauver leurs ancêtres des flammes éternelles ; tantôt assis au chevet du mourant, ils épouvantent cet homme și brave dans les combats et si faible sur un lit de souffrance; et le mourant leur donne ses biens. Celui-ci pleure la mère qu'il chérissait, celle-là le fils qu'elle a porté dans son sein; ce noble seigneur n'a pas d'enfans et son nom va s'éteindre: les moines sont là qui promettent tout pour de l'or; ils savent tout exploiter, la joie et la douleur, le remords et l'espérance, la crainte et l'ambition : et puis quand ils ont ruiné une famille, ils appellent la colère de Dieu sur quiconque osera leur reprendre ce qu'ils ont indignement extorqué. Les moines ont disparu, et la malédiction du ciel qu'ils invoquaient à leur secours est retombée sur eux.

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C'était l'an 945..... Louis d'Outre-mer, ce fils du malheureux Charlesle-Simple, régnait en France, et Théotolon était archevêque de Tours. Issu d'une noble famille, ce prélat avait porté l'habit, monastique dans l'abbaye de Cluni. Le monastère de Saint-Julien, le seul que renfermât la ville de Tours, n'était plus qu'un monceau de ruines; en 856 les Normands l'avaient détruit. Théotolon le fit reconstruire, le dota richement, et ne cessa d'encourager les donations faites à monseigneur saint Julien; dans la charte que l'on va lire, c'est un chanoine qui se dépouille pour enrichir des moines de l'ordre de saint Benoît:

« Ecclesiam sanctam Domini votis fidelium crescere tandemque augmentis cotidianis per Christi gratiam pullulari nemo fidelium ambigit, quamobrem ego Teotolo (1), divinâ miserante clementiâ Turonica sedis archiepiscopus notum ac manifestum esse volumus cunctis sanctæ ecclesiæ fidelibus et præcipuè ejusdem nostræ sedis archiepiscopalis quin accessit ad nostri culminis celsitudinem quidem fidelis noster et canonicus sancti (2) Mauricii necnon et sancti Martini nomine Rotgerius humiliter deprecans uti cellulam sancti Cristofori quæ est sita in villâ Bridrado quam ei in beneficium datam habebamus necnon et mansum (3) ex proprio ipsius beneficio, quem olim pre

(1) Teotolo: Théotolon fut évêque de Tours de 932 à 945.

(2) Sancti Mauricii: aujourd'hui Saint-Gatien. Le chapitre de cette cathédrale date de 859. Cette église, une des plus anciennes de France, avait été mise par saint Martin sous la protection de saint Maurice; elle Ꭹ resta jusqu'à la fin du treizième siècle où elle prit le nom de Saint-Gatien, premier évêque.

(3) Mansum: Mansus de manere: manoir, ferme, métairie, etc.

son

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