L'HOMME dont nous allons parler a figuré dans la littérature du dernier siècle et dans les évènemens politiques qui en ont marqué la fin; mais son rôle n'a été très-important, ni comme écrivain, ni comme personnage public: le meilleur de ses ouvrages est une traduction; et, dans les corps législatifs dont il fut membre, il n'exerça pas une de ces grandes influences qui naissent au milieu des révolutions et se conservent avec elles dans l'histoire. Ce qui l'a distingué, ce qui doit surtout recommander son souvenir, c'est son équité, sa droiture, sa bienfaisance : dans ses actions comme dans ses écrits, il se proposa toujours pour objet l'utilité publique; doué d'une âme élevée, d'un cœur loyal, sensible et généreux, l'amour de l'humanité fut sa passion la plus constante. Il posséda cette douceur de mœurs, ces qualités de tous les jours, fondement du bonheur domesti cœurs, que dans toutes les places, dans tous les détails de la vie civile ou privée, il fit preuve d'un désintéressement honorable et d'une probité rigide : philosophe religieux et sincère, il suivit constamment les lois de sa conscience, n'eut de haine que pour les vices, resta fidèle jusqu'à sa mort aux principes de la justice et de l'honneur, et sut déployer dans l'occasion l'énergie que donne le sentiment du devoir. Il éprouva, comme tous les nobles l'enthousiasme de la liberté : excellent citoyen, il pleura sur les maux de son pays. Enfin, il vécut bon, simple, irréprochable, et ne conçut la célébrité qu'inséparable de la vertu. Tel est l'hommage que lui rendent tous ceux qui ont eu à retracer son caractère; et moimême, j'ai entendu plus d'une fois un de ses anciens collègues, qui est aussi resté constamment attaché au parti de la modération, parler de lui avec cette estime et ce respect que les cœurs vertueux s'inspirent mutuellement, et que les années n'affaiblissent pas. Jean Dusaulx naquit à Chartres le 28 décembre 1728. Il commença ses études au collège de la Flèche, et les acheva au collège de Louis-le-Grand. Il y annonça des dispositions heureuses, et surtout beaucoup d'ardeur pour le travail; il dut à la persévérance de son application et de ses efforts d'être distingué par ses maîtres. Il était né d'une famille de robe, et sa mère désirait qu'il embrassât aussi la carrière de la magistrature; mais les goûts du jeune Dusaulx ne furent pas d'accord, à ce qu'il paraît, avec les intentions de ses parens. Lorsqu'il eut terminé son cours d'études, il acheta une charge de commissaire de la gendarmerie royale, ce qui ne l'empêcha par pas de se livrer à son penchant pour les lettres et pour l'antiquité. Il commença dès-lors sa traduction de Juvénal. Sa famille ne manquait pas de fortune, et cette circonstance lui permit de s'adonner tranquillement et sans inquiétude à des travaux de son choix. Il employa son temps à faire des recherches d'érudition, à recueillir des lumières pour éclaircir le sens de son auteur, à rassembler des matériaux pour composer son Discours sur les satiriques latins, qu'il méditait déjà et qu'il ne tarda pas à ébaucher. Cet amour de l'étude, si louable dans un jeune homme qui n'y était pas animé la nécessité ou la prévoyance, lui concilia l'estime de tous ceux qui le connaissaient. Il fut reçu à l'Académie de Nancy, en 1749, à l'âge de vingt-un ans. On peut dire que ces premiers temps de sa vie furent heureux. Le duché de Lorraine et de Bar appartenait alors à Stanislas le bienfaisant; il lui avait été cédé par le traité de Vienne, en 1736, lorsque ce prince renonça au trône de Pologne, en conservant cependant le titre de roi. Stanislas, ami des sciences et des arts, et écrivain lui-même, accueillait et protégeait les hommes de talent. Dusaulx, à titre de littérateur, fut reçu dans sa cour avec distinction : une âme naturellement noble et franche, un esprit sain et cultivé, des manières heureuses, une conversation agréable, voilà ce qui ne pouvait manquer de mériter au jeune militaire la bienveillance de ce monarque si aimable et si éclairé, qui faisait par ses vertus le bonheur de la province soumise à son gouvernement, et qui trouvait le sien dans le commerce des gens de lettres, des philosophes et des artistes instruits. Nous avons dit que Dusaulx avait acheté une charge de commissaire de la gendarmerie; c'était à l'époque de la fameuse guerre de sept ans, commencée dans l'Amérique septentrionale, et continuée en Europe avec tant d'acharnement. Le duc de Richelieu fut choisi pour remplacer, en Allemagne, le maréchal d'Estrées, victorieux à la bataille de Hastenbeck; le nouveau général envahit l'électorat d'Hanovre, et força l'armée ennemie, commandée par le duc de Cumberland, de capituler à ClosterSeven, près de l'Elbe. Dusaulx avait suivi son corps dans cette campagne : il s'y montra, dit M. Villeterque, l'ennemi implacable des dilapidateurs, le réparateur des maux faits aux malheureux villageois, foulés par le passage des troupes; il fut toujours juste, ferme, sévère; il châtia des insolens en homme de courage, et ruina des fripons. De retour dans sa patrie, le jeune officier, qui avait honoré son grade par cette conduite, se livra plus ardemment que jamais à son goût pour Juvénal. Il se lia à Paris avec Guérin (Nicolas-François), recteur de l'Université. Guérin était franc et ouvert; sa gaîté donnait des charmes à sa conversation, animée d'ailleurs par tous les agrémens de l'esprit et du savoir. Dusaulx, qui trouvait dans cet homme estimable l'aménité du caractère jointe à une grande connaissance de la littérature classique, s'attacha étroitement à lui. Ce nouvel ami devint son guide et son conseiller: notre traducteur dut aux soins et aux entretiens du latiniste les secours qui lui manquaient encore; et, retouchant, d'après ses avis, un ouvrage dont les difficultés exigeaient tant d'efforts, il se prépara lentement à le livrer au public. Quelques édi teurs, en parlant de cette liaison de Dusaulx, désignent un autre membre de l'ancienne université, savoir, François Guérin, professeur au collège de Beauvais à Paris, et traducteur de Tacite et de Tite-Live; mais ce n'est certainement pas lui qui donnait des conseils à Dusaulx, puisqu'il était mort dès l'année 1751. Le recteur, au contraire, vécut jusqu'en 1782. Ajoutons que ce dernier était de Nancy, et que Dusaulx, académicien de cette même ville, avait un motif tout naturel de faire connaissance avec lui. La première édition de la traduction de Juvénal et du Discours sur les satiriques latins parut en 1770. Je reviendrai plus tard sur le mérite de ces deux ouvrages. Dès qu'ils furent publiés, ils eurent un débit rapide et un succès brillant; l'auteur s'assura un nom dans la république des lettres, et, six ans après, c'est-à-dire en 1776, il fut reçu membre de l'Académie des Inscriptions. Il devint ensuite secrétaire ordinaire du duc d'Orléans; et on lit dans la Biographie universelle, tome xII, qu'il sollicita la place de précepteur des enfans de France. Voici l'anecdote qui s'y trouve rapportée à cette occasion : « Il se rend un jour à Versailles, dit son historien, sur l'invitation du père Menou, jésuite. Une affaire importante l'y appelait : on devait lui confier l'éducation de quelques enfans qu'un trône attendait. Le jésuite lui fait part des intentions de leur père, et ajoute : Quels sont vos principes? -Ceux de la justice. - Qu'enseignerezvous? - Le respect des lois et l'amour de l'humanité. Le père Menou avait un tact sûr; il réfléchit, et reprend la parole Quelle est votre demeure? Rue du Dau - |