avant d'en connaître toutes les difficultés. Ne faisant que traduire, je croyais inventer, et je m'applaudissais à chaque instant d'un mérite qui m'était étranger. L'oreille montée par l'harmonie d'un style qui n'était pas le mien, l'imagination tout empreinte des plus riches couleurs, je me figurais avoir transporté dans ma prose la magie des plus beaux vers. Le prestige ne durait guère : je n'avais pas plus tôt laissé refroidir ma tête, que je voyais s'évanouir l'imposture qui m'avait séduit; comme on voit l'éclat du fer ardent s'amortir à mesure qu'il s'éloigne du fourneau. J'ai souvent recommencé; mais il est un terme où l'on doit s'arrêter. Fatigué de cette lutte inégale, je sens que je ne puis sans aide rendre ma traduction plus supportable. Si je la livre au public, ce n'est que pour apprendre à marcher plus sûrement entre ces deux écueils également redoutables aux traducteurs, la servitude et la licence. De tous les tourmens de la traduction, je n'en sache point de plus cruel que d'hésiter sans cesse entre la lettre et le sens, que de risquer à chaque instant d'être barbare ou infidèle. Cicéron et Horace ne veulent pas qu'un interprète soit trop scrupuleux, ni qu'il s'épuise à combiner des mots (1): en nous délivrant de cette gêne ont (1) Nec verbo verbum curabis reddere fidus Interpres. Art. poet., vers. 133. Cicéron avait déjà dit la même chose à peu près dans les mêmes termes : Nec tamen exprimi verbum e verbo necesse erit, ut interpretes indiserti solent. (CICER., de Finib.) Observons cependant que 1 ils rendu l'art plus facile? je n'en crois rien. Ils exigeaient, on n'en saurait douter, qu'un traducteur ne fût pas dénué de la plupart des qualités nécessaires à la composition, et même qu'il fût doué d'une certaine audace, voisine du génie dont il avait à rendre le caractère et l'expression. Qu'attendre en effet de ces timides esprits, qui n'osent envisager leur modèle que le compas à la main, qui le calquent servilement, et dont tous les efforts se bornent à lever un plan froid et sans vie des morceaux les plus chauds, les plus animés? Poètes divins, grands orateurs, et vous qui sûtes marquer vos écrits au sceau de l'immortalité, ce n'est qu'en éprouvant vos transports, qu'en brûlant de votre feu, qu'un traducteur, bien pénétré de vos sujets, fera passer dans sa langue quelques-unes des beautés dont étincèlent vos ouvrages. Indépendamment du rapport des caractères et des mêmes études, il faut encore une âme vaste pour contenir votre âme, un esprit souple et hardi pour se plier au vôtre et l'atteindre; il vous faudrait vous-mêmes, et peut-être éprouveriez-vous les douleurs d'un second enfantement. le précepte d'Horace ne regardait que les imitateurs, c'est-à-dire, ceux qui voulaient s'approprier un sujet déjà traité dans une langue étrangère; mais ce précepte ne convient pas moins aux simples traducteurs. FIN DU DISCOURS. NOTES SUR LE DISCOURS. 1 Homère n'est-il pas de temps en temps satirique? page xv. Aristote soutenait que toutes les semences des productions dont l'esprit humain est capable, étaient éparses dans les poëmes divins de ce père, de la poésie. Horace prétendait aussi que l'on y trouve des modèles de tout ce qu'il y a de beau, d'honnête, de honteux, d'utile et de nuisible : Qui, quid sit pulchrum, quid turpe, quid utile, quid non, M. de Rochefort a supérieurement développé ces idées dans plusieurs mémoires qu'il a lus à l'Académie des Belles-Lettres, Observons qu'Homère avait fait un poëme très-mordant, intitulé Margites, contre un homme de ce nom; et que ce poëme, qui n'est pas venu jusqu'à nous, était fort estimé des anciens. Comme ce n'était qu'une satire personnelle, on ne doit pas la regretter. 2 La satire romaine, grossière et licencieuse dans son origine, subit différentes formes successives, page xvj. On doit à Casaubon les premières recherches, faites avec succès, tant sur la poésie satirique des Grecs, que sur la satire des Romains. (Is. CASAUB., de Satiric. græc. poes. et roman. satir.) Feu M. Dacier, qui a si bien mérité des Lettres, profitant des travaux de ce grand critique, en a formé une espèce de système (Mémoires de l'Académie des Inscriptions, tome 11, page 187), d'où il résulte que la satire, comme l'a dit Quintilien (lib. x, cap. 1), appartient en propre aux Romains. Horace dit aussi que les Grecs ne s'étaient point essayés dans ce genre; et voici ce qu'on lit dans une de ses satires : « Que Lucilius soit poli, plein d'urbanité, qu'il soit plus châtié qu'Ennius, qui, le premier, a ébauché ce poëme dont les Grecs n'avaient pas la moindre connaissance, etc. >> Comis et urbanus; fuerit limatior idem Quam rudis et Græcis intacti carminis auctor, etc. Lib. 1, sat. 10, vers. 64. aux Le mot satura fut à Rome indistinctement appliqué à toutes sortes de mélanges; aux mets composés de différentes choses; fruits confusément entassés dans des corbeilles; aux lois qui contenaient plusieurs chefs ou plusieurs titres, et que l'on appelait, en conséquence, leges saturæ ou per saturam. C'est de là, dit-on, que les Satires de Lucilius et d'Horace ont emprunté leur nom. Ce nom avait été déjà donné à plusieurs sortes de compositions, dont je vais parler sommairement. Les premiers poètes latins, si l'on peut appeler poètes des hommes rustiques et sans culture, enfantèrent, dans les jours de fête et après la récolte, les vers nommés saturniens ou fescennins. D'abord, ces impromptus ne blessèrent personne; mais ils dégénérèrent en invectives, menacèrent les plus honnêtes maisons, et se firent tellement redouter, que ceux qui avaient été épargnés sentirent qu'il s'agissait de l'intérêt commun : Fescennina per hunc inventa licentia morem HORAT., lib. 11, epist. 1, vers. 145. La loi des XII Tables réprima la licence des vers fescennins, l'an de Rome 302. Cette ville ayant été ravagée par la peste, en 390 et 391, on ent recours aux jeux scéniques pour fléchir les dieux. Ce fut alors que l'on appela des Toscans dont tout le mérite consistait à danser au son de la flûte, à faire des mouvemens et des gestes à la manière de leur pays. (TIT. -LIV., lib. vII, §. 2.) La jeunesse romaine imita ces histrions; elle mêla ses vers fescennins à leurs jeux, et il en résula un spectacle moins grossier. Insensiblement on renonça aux vers fescennins, que l'on avait coutume de produire sur-le-champ, et l'on y substitua des pièces un peu moins irrégulières, qui prirent le nom de Satires. Ces drames informes durèrent jusqu'à l'an 514, où Livius Andronicus, Grec d'origine, fit jouer sa première pièce, et jeta un peu de sel attique sur la scène romaine. (CICER., Tuscul. Quæst., lib. 1, §. 1.) Ce poète, dit Valère-Maxime (lib. 11, cap. 4, S. 4), sut occuper l'esprit des spectateurs par des sujets suivis et combinés: A satiris primus omnium poeta Livius, ad fabularum argumenta spectantium animos transtulit. Le nouveau spectacle fit oublier l'ancien, du moins pour quelque temps. Les Satires, bannies de la scène, s'y reproduisirent d'abord dans les intermèdes et à la place du chœur; ensuite, on les joignit surtout aux pièces Atellanes, et leur nom fut changé en celui d'Exodes, Exodia, qui signifie issue ou fin. Horace, dans un âge avancé, se plaignait d'y retrouver des traces de l'ancienne rusticité : Manserunt hodieque manent vestigia ruris. Lib. 11, epist. 1, vers. 160. On prouve, par des passages de Suétone et de Juvénal, que ces Satires ou Exodes étaient encore représentées plus d'un siècle après la mort d'Horace, et que par conséquent elles l'avaient été pendant l'espace d'environ 550 ans. Au reste, Tibère, Néron, Galba et plusieurs autres empereurs, y furent souvent désignés avec mépris. Deux autres sortes de Satires naquirent de celle-ci, ou simplement lui succédèrent. Ennius, né dans le cours de l'année qui suivit la représentation de la première pièce de Livius Andronicus, c'est-à-dire, l'an de Rome 515 (AUL. GELL., lib. xvII, cap. 21), composa des discours ou Satires qui ne différaient de celles qu'Horace publia ensuite, que par le mélange des vers. Pa |