NOTES SUR LA SATIRE I. I. ARGUMENT. Dans cette première Satire, qui sert de prologue aux quinze autres, l'auteur expose rapidement ce qui le force à se livrer de préférence à ce geure d'écrire; l'importunité des poètes, l'insolence des parvenus, l'atrocité des délateurs, la bassesse des intrigans, la perfidie des épouses, la fureur des jeux de hasard, l'excès du luxe, et l'avarice des patrons à l'égard de leurs cliens : la colère que tous ces vices m'inspirent me tient, dit-il, lieu d'Apollon. Il se propose de n'attaquer que les morts et d'épargner les vivans: mais je doute qu'il ait tenu parole; du moins s'il ne nomme pas, il paraît qu'il désigne toujours par de secrètes allusions. 2. Qui s'enroue, etc. v. 2. Dusaulx avait traduit la Théséide de l'enroué Codrus, ce qui était au moins très-vague. J. P. 3. Ses comédies, vers 3. Les comédies romaines s'appelaient Togatæ, et les grecques Palliatæ, expressions empruntées du costume grec et romain. Les mœurs des pièces d'Afranius étaient romaines, c'est pourquoi on appelait ses comédies Togatæ. 4. J'aurai perdu, etc. v. 4. J'ai changé tout cet endroit. Dusaulx avait traduit: Impunément le prolixe Télèphe m'aura consumé tout un jour ? ou l'Oreste incomplet, quoique les pages en soient écrites des deux côtés et jusque sur les marges ? Ces deux phrases sont mal liées et il y a une erreur de sens dans la seconde : l'idée principale est plena jam margine, scriptus et in tergo, tandis que necdum finitus n'est qu'un accessoire. J. P. 5. Et leurs revers, etc., v. 6. Les pages de nos livres sont ordinairement remplies des deux côtés; mais, chez les Romains, elles ne le furent long-temps que d'un seul. Après avoir préparé autant de peaux, ou de feuilles de papyrus, qu'il en fallait pour transcrire un ouvrage, on roulait le tout, par l'une des extrémités, sur un petit bâton de buis, d'ivoire, ou de quelque autre matière; et ce support s'appelait umbilicus. Pour lire le volume, il fallait le dérouler, et c'est pourquoi l'on disait evolvere librum. Ce sujet est traité à fond par Isaac Vossius, dans ses Observationes in Catullum, page 51. 6. Celui qui ravit la toison d'or, etc., v. 11. Je ne sache pas qu'aucun autre poète latin se soit jamais servi du mot pellicula, en parlant de la toison d'or. On sent que Juvénal aurait pu dire: Unde alius furtivi devehat aurum velleris, etc. Mais il aurait manqué la sorte d'expression satirique qui consiste à préférer, comme ici, l'expression la moins noble et la plus exténuante; on en retrouvera d'autres exemples. Je préviens qu'il est presque impossible de faire passer dans le français les ironies purement verbales, parce que, le plus souvent, notre langue n'a point de mots correspondans. Si j'avais traduit à la lettre, j'aurais mis: Celui qui ravit la pellicule d'or, ou la peau d'or, ce qui aurait était précieux, ou même ridicule. 7. Les jardins de Fronton, v. 12. Fronton était un de ces riches patriciens qui ouvraient fastueusement leurs jardins au public; les poètes s'empressaient d'y aller réciter leurs compositions, car où ne pénétraient-ils pas ? Martial se plaint qu'ils le poursuivaient jusque dans les bains : Et stanti legis, et legis sedenti : In thermas fugio, sonas ad aures. 8. Nous avons tremblé sous la férule, v. 15. Cela signifie, nous avons aussi fréquenté les écoles, nous y avons fait des amplifications, etc. 9. Pourquoi choisir, de préférence, la carrière déjà parcourue par le célèbre nourrisson du pays des Auronces? v. 19. Lucilius (Caius), chevalier romain, naquit à Sinuessa, au pays des Auronces, l'an 147 avant Jésus-Christ. Il composa trente satires, dont les fragmens ont été recueillis par François Douza, et imprimés à Leyde, avec des notes, en 1597. Quelques savans l'ont regardé comme l'inventeur de la satire; mais M. Dacier a prouvé qu'il n'a fait que perfectionner ce genre de poésie. Pompée était petit-neveu de Lucilius, du côté maternel. Decurrere campo, etc. Cette métaphore est empruntée, soit de l'exercice militaire nommé par les anciens decursio; soit de celui qu'ils appelaient le jeu Troyen. Tite-Live, Aulu-Gelle et Suétone, font mention de cet exercice que l'on trouve représenté sur plusieurs médailles de Néron, où l'on voit une ou deux figures équestres, et d'autres à pied, avec le mot decursio. 10. Un homme de la plus vile populace d'Égypte, v. 26. Du-、 saulx a dit, un échappé des bourbiers d'Égypte, ce qui manque de clarté et de noblesse. Il faut qu'il ait lu fæx Niliacæ plebis, leçon autorisée par plusieurs manuscrits: cependant son texte porte, pars Niliaca plebis. J. P. 11. Un Crispinus, etc., v. 27. Ce Crispinus était favori de Domitien, qui le combla d'honneurs et de richesses. Il paraît que c'est le même que Martial a lâchement célébré dans ses épigrammes. 12. Rejette nonchalamment sur ses épaules la pourpre Tyrienne, v. 27. La pourpre se tirait de deux petits coquillages de mer, nommés murex et purpura. Les Tyriens excellaient dans l'art de teindre la pourpre; de là vient qu'on lit dans les poètes, Horace appelle la pourpre par excellence lana Tyria; et Juvénal, satire 8, l'appelle Sarrana. La beauté et la rareté de cette couleur en avaient rendu l'usage particulier aux rois de l'Asie, aux empereurs romains, et aux premiers magistrats de Rome. Les dames mêmes n'osaient l'employer dans leurs habits; elle était réservée pour les robes prétextes de la première magistrature. De là cette expression vestis purpura, pour signifier une robe éclatante, et au figuré, un sénateur, un consul. 13. Agite des bagues d'été, v. 28. D'abord on ne porta qu'un seul anneau, puis un à chaque doigt (Martial, lib. x1, epig. 60); enfin, un à chaque jointure du doigt. Peu à peu le luxe s'augmenta au point qu'on eut des anneaux pour chaque semaine. On verra, dans la satire 7, qu'il y est question d'anneaux semestres : on eut aussi des anneaux d'hiver et des anneaux d'été. Lampride remarque, chap. XXXII, que personne, à cet égard, ne porta le luxe aussi loin qu'Héliogabale, qui ne mit jamais deux fois le même anneau, non plus que les mêmes souliers. Il semble que, depuis quelques années, nous ayons à peu près rappelé cet usage. Les Romains avaient trois différentes sortes d'anneaux ; la première servait à distinguer les conditions; la seconde consistait en anneaux d'épousailles ou de noces; et la troisième était destinée à servir de sceau: ces derniers s'appelaient chirographi. Les empereurs romains, et Néron entre autres, firent plusieurs réglemens à ce sujet; mais on cessa bientôt de les observer. 14. Remplissant de sa rotondité une litière qu'il ne possède que d'aujourd'hui, v. 32. Je n'ai point cru devoir rendre nova lectica par nouvelle litière : j'aurais fait passer l'amphibologie latine dans le français. Il est bien plus satirique de dire que Mathon était porté pour la première fois en litière, que de lui reprocher d'en changer souvent, ou d'en avoir d'une forme nouvelle. 15. A la rencontre de ce délateur, etc., v. 33. Il s'agit ici d'un certain Regulus, qui vivait sous Domitien. Les proscriptions de Marius, de Sylla, et du Triumvirat, infectèrent Rome de ces perfides qui, par avarice ou pour se venger, se rendaient accusateurs déclarés ou secrets de leurs concitoyens. Cette peste, qui fit tant de ravages, ne cessa que sous le règne de quelques bons princes; car ils n'ont point de délateurs. 16. Ou qu'un rhéteur prét à monter à la tribune de Lyon, v. 44. Après que Caligula eut reçu dans Lyon l'honneur de son troisième consulat, il y fonda toutes sortes de jeux, et en particulier cette fameuse académie, Athenæum, qui s'assemblait devant l'autel d'Auguste, Ara Lugdunensis. C'était là qu'on disputait les prix d'éloquence grecque et latine, en se soumettant à la rigueur des lois que le fondateur avait établies. Une des conditions singulières de ces lois était que les vaincus, non-seulement fourniraient à leurs dépens les prix aux vainqueurs, mais de plus qu'ils seraient contraints d'effacer leurs propres ouvrages avec une éponge; en cas de refus, qu'ils seraient battus de verges, et même précipités dans le Rhône. De là le proverbe de Juvénal. Pour moi, je n'en crois rien, et voici mes motifs. Selon l'histoire, Caligula paraît n'avoir fondé à Lyon ni jeux, ni académie: Dion Cassius dit seulement qu'il y donna quelques jeux (lib. LIX, §. 22). On lit aussi dans Suétone, in Calig., cap. 20: Edidit et peregre spectacula: in Sicilia Syracusis atticos ludos, et in Gallia Lugduni miscellos. Or, le mot edidit n'a jamais signifié institua. La suite de ce passage, où il est question des prix d'éloquence grecque et latine que l'on se disputait, et de la manière dont les vaincus étaient traités, ne prouve pas non plus que cela se soit passé à Lyon; car Suétone n'en dit rien. Il est certain, au contraire, qu'Auguste avait institué dans cette ville un combat d'éloquence, lequel subsista très-long-temps; au lieu que celui dont parle Suétone, dans le passage précédent, ne subsistait plus de son temps, puisqu'il dit : Quo certamine ferunt, etc. Si l'on considère, à présent, que les députés de la Gaule entière s'assemblaient quelquefois à Lyon; qu'on y voyait une trèsgrande affluence de citoyens romains, attirés par le commerce ou par d'autres affaires; et qu'on y célébrait, selon Dion Cassius (lib. v1, §. 54), une fête auprès de l'autel d'Auguste, où les orateurs lyonnais, qui étaient très-célèbres, comme on le voit dans Ausone, récitaient leurs ouvrages, on sentira que de pareilles séances étaient assez imposantes pour déconcerter un débutant et le faire pâlir, car Juvénal ne dit rien de plus : Palleat, ut nudis pressit qui calcibus anguem, Aut Lugdunensem rhetor dicturus ad aram. Le temple d'Auguste, son autel, et la prétendue académie de Caligula, étaient, dit-on, dans l'endroit où est aujourd'hui l'abbaye d'Aisnay, nom corrompu du mot Athenæum. 17. D'un pupille reduit au dernier opprobre, v. 47. Jouvenci, |