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de couleurs et d'images bien contraire à l'idée qu'on se fait de la simplicité de la vieille fangue. Brillant et suranné à la fois, vieilli et non pas antique, ce style ne ressemble pas mal à ces étoffes que portaient les petits-maîtres du temps passé, et dont le lustre terni éclate encore par place. La pièce du mois d'Avril est celle qui a le mieux conservé sa fraîcheur : Avril, l'honneur et des bois Et des mois ;

Avril, la douce espérance

Des fruits qui, sous le coton
Du bouton,

Nourrissent leur jeune enfance;

Avril, l'honneur des prez verds
Jaunes, pers,

Qui, d'une humeur bigarrée,
Emaillent de mille fleurs
De couleurs

Leur parure diaprée;

Avril, l'honneur des soupirs
Des zéphirs,

Qui, sous le vent de leur aîle,
Dressent encore ès-forêts

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Retire ces passagères,

Ces arondelles qui vont,
Et qui sont

Du printemps les messagères.

L'aubépine, et l'églantin,
Et le thym,

L'œillet, le lys et les roses,
En cette belle saison,
A foison,

Montrent leurs robes écloses.

Le gentil rossignolet,
Doucelet,

Découpe, dessous l'ombrage,
Mille fredons babillards,
Frétillards,

Aux doux chants de son ramage.

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Il suffit de jeter les yeux sur ce petit tableau étincelant, pour

sentir quel vernis neuf et moderne la réforme de Ronsard avait répandu sur la langue poétique.

Remi Belleau était né en 1528, et mourut en 1577.

Dorat n'était dans la Pléiade que par déférence, car il ne lui arrivait pas souvent de versifier en français. Il est beaucoup plus connu comme professeur de grec. Pontus de Tiard avait, dans sa jeunesse et dès les premiers temps de la réforme, célébré en sonnets une femme du nom de Pasitée; mais il s'était depuis livré sans partage aux mathématiques, à la théologie, et avait abjuré les erreurs de sa jeunesse. Le plus beau titre d'Amadis Jamyn était la prédilection toute particulière dont l'honorait Ronsard. Doué d'une prodigieuse facilité, Etienne Jodelle avait acquis l'admiration de la plupart de ses contemporains, mais le plus grand nombre de ses poésies légères s'est perdu par sa propre négligence.

Parmi les poètes nombreux qui marchaient, comme le disait Ronsard, sous la bannière des sept chefs, à la conquête de Thèbes, citons-en trois, Olivier de Magny, Jacques Tahureau et Jean de la Taille. Les deux premiers moururent en 1555, à l'âge de vingt-huit ans, comme des soldats frappés dans le premier choc de la mêlée.

Jean de la Taille, dégoûté de bonne heure du monde et de la cour, se retira aux champs, où il continua de cultiver la poésie. Lui-même a célébré son bonheur dans sa pièce du Courtisan retiré, fort bonne satire, quoiqu'elle ne porte pas ce titre,

Il (le courtisan) doit négocier pour parents importuns,
Demander pour autrui, entretenir les uns.

Il doit être gêné, n'en faire aucun murmure,
Prêter des charités et forcer sa nature;

Jeûner s'il faut manger; s'il faut s'asseoir, aller;
S'il faut parler, se taire; et si dormir, veiller.

O combien plus heureux celui qui, solitaire,
Ne va point mendiant de ce sot populaire
L'appui ni la faveur, qui paisible, s'étant
Retiré de la cour et du monde inconstant,
Ne s'entremêlant point des affaires publiques,
Ne s'assujettissant aux plaisirs tyrauniques
D'un seigneur ignorant, et ne vivant qu'à soi,
Est lui-même sa cour, sou seigueur et son roi!

Du Bartas.

Cependant, hors de la Pléiade, loin de la capitale, et au plus fort de la célébrité de Ronsard (vers 1578), s'en élevait une autre, qui, toute provinciale qu'elle était, se plaça très-vite au premier rang dans l'opinion. Guillaume de Salluste, seigneur Du Bartas, capitaine au service du jeune roi de Navarre, composa sur divers sujets sacrés des vers pleins de gravité et de pompe, qu'on accueillit avec transport. Le plus admiré de ses poèmes fut celui de la Création du monde, aussi appelé la Semaine. L'auteur l'avait divisé en sept journées; il y commentait amplement l'œuvre de chaque jour et jusqu'au repos du septième. Des comparaisons sans fin, tour à tour magnifiques et triviales, des explications savantes empruntées à la physique de Sénèque et de Pline, des allégories païennes mêlées aux miracles de l'Ecriture, enfin un style hérissé de métaphores bizarres et de mots forgés, voilà les défauts que rachetaient à peine çà et là quelques vers nobles et pittoresques. C'était, pour tout dire, la création du monde racontée par un Gascon.

Le poème fit fureur, et eut près de vingt éditions en dix ans. Il fut traduit en latin, en italien, en espagnol, en alle mand et en anglais (*).

Gabriel Naudé, grâce à sa méthode digressive, a trouvé moyen de raconter dans ses Coups d'Etat l'anecdote suivante, qui, vraie ou fausse, est trop caractéristique pour être omise: L'on dit en France que Du Bartas, auparavant que de faire cette belle description du cheval où il a si bien rencontré, s'enfermoit quelquefois dans une chambre, et, se mettant à quatre pattes, souffloit, hennissoit, gambadoit, tiroit des ruades, alloit l'amble, le trot, le galop, à courbette, et tâchoit par toutes sortes de moyens à bien contrefaire le cheval. › Que si maintenant le lecteur est curieux de cette description laborieuse pour laquelle sua et souffla tant le pauvre Du Bartas,

(") Il est très-vraisemblable, comme le pense Ginguené, que l'ouvrage de Du Bartas dona au Tasse l'idée du poème que ce grand poète composa précisement sur ce sujet vers 1592; et il paraît que Du Bartas lui-même avait emprunté l'idée du sien à un auteur du bas-empire, George Pisidès qui avait célébré l'œuvre des six jours.

la voici; elle est tirée du chant intitulé les Artifices, au premier jour de la Seconde Semaine, laquelle parut peu d'années après la Première; nous laissons exprès la citation dans tout le suranné et, pour ainsi dire, le provincial de son orthographe :

Caïn de ceste peur, comme on dit, transporté,
Donne le premier frein au cheval indonté;

Afin qu'allant aux champs, d'vne poudreuse fuite,
Sur les iambes d'autruy son Lamech il euite.
Car, entre cent cheuaux brusquement furieux,
Dont les fortes beautez il mesure des yeux,

I en prend vn pour soy, dont la corne est lissée,
Retirant sur le noir, haute, ronde et creusée.

Ses paturons sont courts, ni trop droits, ni lunez;
Ses bras secs et nerueux, ses genoux descharnez.

Il a iambe de cerf, ouuerte la poitrine,

Large croupe, grand corps, flancs vnis, double eschine,
Col mollement vousté comme vn arc mi-tendu,

Sur qui flotte vn long poil crespement espandu;
Queue qui touche à terre, et ferme, longue, espesse,
Enfonce son gros tronc dans vne grasse fesse;

Oreille qui, pointue, a si peu de repos

Que son pied grate-champ; front qui n'a rien que l'os ;
Yeux gros, pronts, relevez; bouche grande, escumeuse;
Nazeau qui ronfle, ouvert, vne chaleur fumeuse ;

Poil chastain; astre au front; aux iambes deux balzans;
Romaine espée au col; de l'âge de sept ans.

Cain d'vn bras flatteur ce beau jenet caresse,
Luy saute sur le dos d'une gaillarde adresse,
Se tient coy, iuste et ferme, ayant le nez tourné
Vers le toupet du front. Le cheual forcené
De se voir fait esclaue, et fléchir sous la charge,
Se cabre, saute, rue, et ne treuve assez large
La campaigne d'Hénoc; bref, rend ce peletron
Semblable au jouvenceau qui, sans art et patron,
Tente l'ire du flot. Le flot la nef emporte,

Et la nef le nocher, qui chancelle en la sorte
Qu'vne vieille thyade. Il a glacé le sein,
Et panthois se repent d'vn tant hardi dessein.

L'escuyer, repourprant vn peu sa face blesme,
R'asseure accortement et sa beste et soy-mesme;

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