Imágenes de páginas
PDF
EPUB

même et lui adressa une épitre, dont nous citerons le commencement et la fin.

Roi des François, plein de toutes bontés,
Quinze jours a, je les ai bien comptés,
Et dès demain seront justement seize,
Que je fus fait confrère au diocèse
De Saint-Marri, en l'église Saint-Pris;
Si vous dirai comment je fus surpris,
Et me déplaist qu'il faut que je le die.
Trois grands pendards vinrent à l'étourdie,
En ce palais, me dire en désarroi,
Nous vous faisons prisonnier par le roi.
Incontinent qui fut bien étonné?
Ce fut Marot, plus que s'il eût tonné;
Puis m'ont montré un parchemin écrit,
Où n'y avait seul mot de Jésus-Christ;
Il ne parlait tout que de plaiderie,
De conseillers et d'emprisonnerie.
Vous souvient-il, ce me dirent-ils lors,
Que vous étiez l'autre jour là dehors,
Qu'on recourut un certain prisonnier
Entre nos mains? Et moi de le nier;
Car soyez sûr, si j'avais dit oui;

Que le plus sourd d'entre eux m'eût bien ouï;
Et d'autre part, j'eusse publiquement
Eté menteur, car pourquoi et comment
Eussé-je pu un autre recourir,

Quand je n'ai sçu moi-même secourir.
Pour faire court, je ne sçus tant prescher,
Que ces paillards ne volussent lascher.
Sur mes deux bras, ils ont la main posée
Et m'ont mené, ainsi qu'une épousée.

Très-humblement, je requiers votre grâce
De pardonner à ma très-grande audace,
Si j'ai osé ce sot écrit vous faire,
Et m'excusez si, pour la mienne affaire,
Je ne suis point vers vous allé parler;
Je n'ai pas eu le loisir d'y aller.

Ces deux épîtres ont un tour agréable et facile, les vers en sont coulants et formés de traits exquis; dans la première

les remerciements du rat sont pleins de gentillesse, le lion, pris au piége, agit et parle avec une bonté toute royale. Dans la seconde, il faudrait s'arrêter, pour ainsi dire, à chaque vers jusqu'au dernier, qui couronne si bien l'œuvre,

Je n'ai pas eu le loisir d'y aller. »

Mais le chef-d'œuvre de Marot dans le genre de l'épitre, c'est celle où il raconte à François 1er comment il a été volé par son valet. C'est un modèle de narration, de finesse et de bonne plaisanterie.

On dit bien vray : la mauvaise fortune

Ne vient jamais, qu'elle n'en apporte une,
Ou deux, ou trois avecques elle, sire.
Vostre cœur noble en sçaurait bien que dire :
Et moi chétif, qui ne suis roi ne rien,
L'ay esprouvé, et vous conteray bien
Si vous voulez, comment vint la besongne.
J'avais un jour un vallet de Gascongne
Gourmand, ivrongne, et asseuré menteur,
Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart, de cent pas à la ronde,
Au demeurant le meilleur filz du monde.

Ce vers si plaisant, après l'énumération des belles qualités de ce valet, est devenu proverbe, et se répète encore tous les jours dans le même sens.

Ce vénérable hillot (ilote) fut adverty

De quelque argent que m'aviez départy,
Et que ma bourse avait grosse aposthume:
Si se leva plustôt que de coustume,
Et me va prendre en tapinois icelle :
Puis la vous met très-bien sous son esselle,
Argent et tout (cela se doibt entendre).

Et ne croy point que ce fust pour la rendre,
Car oncques puis n'en ay ouy parler.
Brief, le villain ne s'en voulut aller
Pour si petit; mais encore il me happe
Saye et bonnet, chausses, pourpoint et cappe
De mes habits en effect il pilla
Tous les plus beaux; et puis s'en habilla

Si justement, qu'à le voir, ainsi estre

Vous l'eussiez prins en plain jour pour son maistre.
Finalement, de ma chambre il s'en va
Droit à l'estable, où deux chevaux trouva;
Laisse le pire, et sur le meilleur monte
Pique et s'en va. Pour abréger le conte,
Soyez certain qu'au partir dudit lieu
N'oublia rien, fors à me dire adieu.

Ainsi s'en va chatouilleux de la gorge
Ledict vallet, monté comme un sainct George;
Et vous laissa Monsieur dormir son saoul,
Qui au resveil n'eust sceu finer d'un soul:
Ce Monsieur là, sire, c'estait moy-mesme,
Qui, sans mentir, fus au matin bien blesme,
Quand je me voy sans honneste vesture,
Et fort fasché de perdre ma monture :
Mais de l'argent que vous m'aviez donné
Je ne fus point de le perdre estonné;
Car votre argent, très-débonnaire Prince,
Sans point de faute est suject à la pince.
Bientôst après cette fortune-là

Un autre pire encore se mesla

De m'assaillir, et chascun jour m'assault;
Me menaçant de me donner le saut,
Et de ce saut m'envoyer à l'envers
kithmer sous terre, et y faire des vers.

C'est une lourde et longue maladie
De trois bons mois qui m'ha tout'estourdie
La povre teste, et ne veux terminer ;
Ains me contraint d'apprendre à cheminer.

Que diray plus? Au misérable corps
Dont je vous parle, il m'est demouré, fors
Le povre esprit qui lamente et souspire,
Et en pleurant tasche à vous faire rire.
Et pour autant, sire, que suis à vous,
De trois jours l'un viennent taster mon poux
Messieurs Braillon, Le Coq, Akaquia,
Pour me garder d'aller jusqu'à quia.
Tout consulté, ont remis au printemps.
Ma guérison.

Voilà comment depuis neuf moys en ça
Je suis traicté. Or ce que me laissa
Mon larrnnoeau, longtemps ce, l'ay vendu
Et en sirops et julebs despendu.

Ce néantmoins, ce que je vous en mande,
N'est pour vous faire ou requeste ou demande,
Je ne veux point tant de gens ressembler
Qui n'ont soucy autre que d'assembler;
Tant qu'ilz vivront, ilz demanderont eux.
Mais je commence à devenir honteux,
Et ne veux plus à vos dons m'arrêster.

Je ne dy pas, si voulez rien prester,
Que ne le prenne; il n'est point de presteur
S'il veut prester, qui ne fasse un debteur.
Et scavez-vous, sire, comment je paye?
Nul ne le sçait, si premier ne l'essaye.
Vous me devrez, si je puis, de retour:
Et vous feray encores un bon tour..
A celle fin qu'il n'y ait faute nulle,
Je vous feray une belle cédule
A vous payer, sans usure il s'entend,
Quand on verra tout le monde content;
Ou si voulez, à payer ce sera,

Quand votre loz et renom cessera.

Je scay assez, que vous n'avez pas peur,
Que je m'enfuye ou que je sois trompeur;
Mais il fait bon asseurer ce qu'on preste.
Bref, vostre paye, ainsi que je l'arreste,
Est aussi seure, advenant mon trespas,
Comme advenant que je ne meure pas.

Advisez donc, si vous avez désir
De rien prester, vous me ferez plaisir.
Car puis un peu, j'ay basti à Clément,
Là où j'ai fait un grand desboursement:
Et à Marot, qui est un peu plus loing;
Tout tombera, qui n'en aura le soing.

Voilà le poing principal de ma lettre
Vous savez tout, il n'y faut plus rien mettre.
Rien mettre, las? Certes, et si feray,

Et ce faisant, mon style j'enfleray,
Disant, ô roi amoureux des neuf Muses,
Roy, plus que Mars d'honneur environné,
Roy, le plus roy qui fut one coronné,
Dieu tout-puissant te doint pour t'estrener,
Les quatre coings du monde à gouverner,
Tant pour le bien de la ronde machine,

Que pour autant que sur tous en es digne.

On imagine bien que le Père des lettres voulut bien être le créancier d'un debteur qui empruntait de si bonne grâce et qui donnait à la louange une tournure si délicate.

AUTRES POÉSIES DE MAROT.

Marot a réussi dans d'autres genres de poésie déjà connus, et le premier il a fait des églogues françaises. On a de lui des satires, des contes, des rondeaux, des ballades, des chants royaux, etc.; mais il ne faut pas se laisser tromper par cette variété de titres : le ton et la manière de l'auteur ne changent guère. C'est toujours le vers de dix syllabes, doux et coulant, animé par une gaieté qui de temps en temps jaillit en vives étincelles; rarement le vers de huit syllabes, jamais le vers alexandrin. Il n'est peut-être pas hors de propos de faire remarquer en passant que le vers de dix syllabes était appelé vers héroïque. L'alexandrin, trouvé au XIIIe siècle, était entièrement hors d'usage comme trop pesant et trop grave. Ronsard le premier le remit en honneur, et son exemple fut suivi par son école.

SES EPIGRAMMES.

L'épigramme est, comme l'épître, le triomphe de Marot. En ce genre, il est souvent le rival heureux de Catulle et de Martial. Il la manie avec une grâce, avec une aisance admirable; sous sa plume, elle prend toutes les formes, tantôt ingénieuse et fine, tantôt pleine de force et d'énergie. En voici quelques exemples:

Ce prodigue Macé Longis,

Fait grand serment qu'en son logis,

« AnteriorContinuar »