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Au reste, ces satires de Vauquelin, composées la plupart sous Henri III, ne furent imprimées pour la première fois qu'en 1612, et l'on ne voit pas que ses contemporains aient le moins du monde songé à l'opposer ni à le comparer à Régnier; il y avait entre ces deux hommes de trop frappantes différences. Vauquelin, en adoptant les formes latines, a tout au plus sur son successeur la priorité d'imitation; la priorité d'invention demeure à celui-ci tout entière. Régnier, en effet, aussi bien que Malherbe, et même à un plus haut degré que lui, a le mérite d'avoir régénéré en France l'imitation des anciens, et d'en avoir fait enfin, de servile et de stérile qu'elle était, une émulation de génie, une lutte d'honneur, nous dirons presque une fécondation légitime. Il ne transplanta pas brusquement, au hasard, comme ses devanciers, l'arbre antique sur un sol moderne, pour l'y laisser ensuite dépérir et mourir; mais, l'abreuvant de sources toutes nouvelles, il le rajeunit, il le transforma, et le premier il aurait eu le droit d'y inscrire cette devise glorieuse qui s'applique si naturellement à une grande et belle moitié de notre littérature:

Exiit ad cælum ramis felicibus arbos,

Miralurque novas frondes et non sua poma.

Il serait toutefois injuste de ne pas reconnaître que, dans ses imitations originales, Régnier mit à contribution les Italiens pour le moins autant que les Latins. Les capitoli du Berni. du Mauro, du Caporali, de l'Arétin, de monsignor Della Casa, et en général des poètes bernesques, furent pour lui ce qu'avaient été pour Des Portes les sonnets de Pétrarque, du Bembe, d'Annibal Caro et des Pétrarquistes, ce qu'avaient été pour Rabelais les ouvrages de Boccace, du Pogge, d'Arlotto, de Merlin Coccaie, et tant d'auteurs italiens de nouvelles, de macaronées et de facéties.

Les poésies de Régnier sont peu nombreuses, il n'a laissé que seize Satires, trois Epitres, cinq Elégies, Odes, Stances, Epigrammes.

C'est surtout dans les satires que son talent se déploie; là, comme dans une galerie de portraits, se trouvent dessinés avec

une fougueuse vérité de pinceau tous les caractères de l'époque; ils vivent, ils agissent, ils parlent, vous les reconnaissez. Celui-ci dont le rabat est sale et la mine chétive, c'est un poète:

... du moins il le veut être.

Cependant sans souliers, ceinture, ni cordon,
L'œil farouche et troublé, l'esprit à l'abandon,
Vous viennent accoster, commes personnes yvres,
Et disent pour bonjour: Monsieur, je fais des livres ;
On les vend au Palais, et les doctes du temps,
A les lire amusez, n'ont autre passe-temps ! ›

Un autre renfrongné, resveur mélancolique,
Grimassant son discours, semble avoir la colique,
Suant, crachant, toussant, pensant venir au point,
Parle si finement que l'on ne l'entend point.
Un autre, ambitieux, pour les vers qu'il compose,
Quelque bon bénéfice en l'esprit se propose;

Et dessus un cheval, comme un singe attaché,
Méditant un sonnet, médite un évesché.

S'il se moque de ces pédants, il n'en respecte pas moins la science; il voudrait qu'on vénérât le vrai mérite, et il se plaint du mépris auquel il est exposé:

Puis, que peut-il servir aux mortels icy-bas,
Marquis, d'estre sçavants ou de ne l'estre pas,
Si la science, pauvre, affreuse et méprisée,
Sert au peuple de fable, aux plus grands de risée ;
Si les gens de latin, des sots sont dénigrez,

Et si l'on est docteur, sans prendre ses degrez?

Pourveu qu'on soit morgant, qu'on bride sa moustache, Qu'on frise ses cheveux, qu'on porte un grand pannache, Qu'on parle barragouyn et qu'on suive le vent,

En ce temps du jourd'hui l'on n'est que trop sçavant.

Nous laissons l'hypocrite Macette dont Molière a profité dans Tartuffe, pour passer à l'avocat et au médecin du temps dont Regnier trace le profil en quelques traits:

Mais pour moy, mon amy, je suis fort mal payé
D'avoir suivy cet art. Si j'eusse estudié,

Jeune, laborieux, sur un banc à l'escole,
Galien, Hippocrate, ou Jason ou Barthole,
Une cornette au col debout dans un parquet,
A tort et à travers je vendrois mon caquet;
Ou bien, tastant le pouls, le ventre et la poitrine,
J'aurais un beau teston (*) pour juger d'une urine,
Et me prenant au nez, toucher dans un bassin
Des ragousts qu'un malade offre à son médecin,
En dire mon advis, former une ordonnance
D'un rechape s'il peut, puis, d'une révérence,
Contrefaire l'honneste, et quand viendroit au point,
Dire, en serrant la main : Dame, il n'en falloit point, etc.
Les fanfarons ne sont pas moins reconnaissables. Ce sont eux
Qui tout transparents de claire renommée,

Dressent cent fois le jour en discours une armée,
Donnent quelque bataille, et tuant un chacun,
Font que mourir et vivre à leur dire n'est qu'un :
Relevez, emplumez, braves comme Sainct George,
Et Dieu sçait cependant s'ils mentent par la gorge.

Un courtisan s'est approché de notre poète, il en gardera bonne mémoire et il le couchera sur ses tablettes:

Laissons-le discourir,

Dire cent et cent fois Il en faudrait mourir ;

Sa barbe pinçoter, cageoller la science,

Relever ses cheveux, dire: En ma conscience;
Faire la belle main, mordre un bout de ses gants,
Rire hors de propos, montrer ses belles dents,

Se carrer sur un pied, faire arser son espée,
Et s'adoucir les yeux ainsi qu'une poupée.

S'il peint les quatre âges de la vie, il les caractérise chacun de la manière la plus piquante:

Chaque asge a ses humeurs, son goust et ses plaisirs;
Et comme nostre poil, blanchissent nos désirs.

Nature ne peut pas l'asge en l'asge confondre;
L'enfant qui sçait desjà demander et respondre,
Qui marque assurément la terre de ses pas,
Avecques ses pareils se plaist en ses esbats:

(") Monnaie du temps.

Il fuit, il vient, il parle, il pleure, il saute d'aise ;
Sans raison, d'heure en heure, il s'esmeut et s'apaise.
Croissant l'asge en avant, sans soin de gouverneur,
Relevé, courageux et cupide d'honneur,

Il se plaist aux chevaux, aux chiens, à la campagne;
Facile au vice, il hait les vieux et les desdagne (dédaigne);
Rude à qui le reprend, paresseux à son bien,
Prodigue, despensier, il ne conserve rien ;
Hautain, audacieux, conseiller de soy-même,
Et d'un cœur obstiné se heurte à ce qu'il ayme.
L'asge au soir se tournant, homme fait il acquiert
Des biens et des amis; si le temps le requiert,
Il masque ses discours comme sur un théâtre ;
Subtil, ambitieux, l'honneur il idolâtre ;
Son esprit avisé prévient le repentir;

Et se garde d'un lieu difficile à sortir.

Maints fascheux accidens surprennent sa vieillesse. Soit qu'avec du soucy gaignant de la richesse, Il s'en déffend l'usage et craint de s'en servir, Que tant plus il en a, moins s'en peut assouvir; Ou soit qu'avec froideur il fasse toute chose, Imbécille, douteux, qui voudroit et qui n'ose, Dilayant, qui toujours a l'œil sur l'avenir; De léger il n'espère et croit au souvenir; Il parle de son temps, difficile et sévère, Censuraut la jeunesse, usé des droits de père; Il corrige, il reprend, hargneux en ses façons, Et veut que tous ses maux soient autant de leçons. Une audace insouciante, une singulière abondance de vie circule et déborde dans le style de Régnier. Par ce côté, on a comparé le poète à Montaigne, et il est en effet le Montaigne de notre poésie. Lui aussi, en n'ayant pas l'air d'y songer, s'est créé une langue propre, toute de sens et de génie, qui, sans règle fixe, sans évocation savante, sort comme de terre à chaque pas nouveau de la pensée, et se tient debout, soutenue du seul souffle qui l'anime. Les mouvements de cette langue inspirée n'ont rien de solennel et de réfléchi: dans leur irrégularité naturelle, dans leur brusquerie piquante, ils ressemblent aux éclats de voix, aux gestes rapides d'un homme franc et passionné qui s'échauffe en causant. Les images du discours

étincellent de couleurs plus vives que fines, plus saillantes que nuancées. Elles se pressent, se heurtent entre elles. L'auteur peint toujours, et quelquefois, faute de mieux, il peint avec de la lie et de la boue. D'une trivialité souvent heureuse, il prend au peuple les proverbes pour en faire de la poésie, et lui renvoie en échange ces vers nés proverbes, médailles de bon aloi, où se reconnaît encore après deux siècles l'empreinte de celui qui les a frappées.

C'est lui qui dit :

L'honneur est un vieux saint que l'on ne chôme plus, Et en parlant du vice:

Il n'est rien qui punisse

Un homme vicieux comme son propre vice.

Signalons, dans le morceau sur les différents âges, que nous venons de citer, deux expressions bien simples et, selon nous, bien belles, qui rentrent tout-à-fait dans le goût de Montaigne, et confirment le rapprochement établi entre les deux écrivains. Parlant des changements que le temps apporte à nos humeurs, le poète dit :

Et comme notre poil blanchissent nos désirs.

Plus loin il nous retrace le vieillard découragé, laudalor temporis acli:

De léger il n'espère, et croit au souvenir.

Ces désirs qui blanchissent avec les années; ce vieillard qui croit au souvenir, nous semblent de ces beautés de style soudaines et naïves, délicieuses à sentir, impossibles à analyser, comme la lecture des Essais en offre à chaque page et comme on n'en trouve guère autre part que là.

Régnier, par instants, se montre capable de la grande poésie; ainsi le mouvement du passage qu'on va lire nous semble presque lyrique :

Philosophes resveurs, discourez hautement,
Sans bouger de la terre, allez au firmament;
Faites que tout le ciel branle à votre cadence,
Et pesez vos discours mesme dans sa balance;

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