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bons mots rimés; mais en revanche, l'énergie caustique et la verve bouffonne n'ont jamais été poussées plus loin.

Ce sont les Etats de la Ligue qui font l'action principale de la Menippée, ce sont ses orateurs qui en sont les personnages. Cependant ces personnages représentent quelque chose de plus que les vices et les ridicules des héros de la Ligue. Prenous Rieux, l'orateur de la noblesse; voilà le seigneur de PierreFond, tel qu'il a vécu au XVIe siècle : mais ce n'est pas tout, Rieux, dans la Ménippée, devient l'idéal du gentilhomme pillard. Tous les tyranneaux qui désolaient la France à cette époque cnt fourni quelques traits à ce personnage : Rieux a fourni le nom et le profil. Car, par un art merveilleux, c'est le portrait de quelqu'un, et en même temps c'est le type d'un caractère. Même habileté dans les autres personnages, en sorte que sous les traits de chaque acteur se trouve peinte une des passions de l'humanité. Chacun a une part de vérité contemporaine qui marque sa date et son nom, et une part de vérité abstraite et philosophique qui lui donne quelque chose d'éternel. C'est par là que la Ménippée est autre chose qu'un admirable pamphlet; car les pamphlets ne peignent des gens que le costume et le dehors. La Ménippée, qui est une cosmédie, perce jusqu'à l'homme, et sous les ridicules du jour elle montre et fait ressortir les passions éternelles de notre nature.

Cependant elle doit être jugée comme une œuvre de parti. Elle est pleine de la partialité et de l'injustice d'appréciation qui accompagnent de pareilles œuvres. Sans parler de la grossièreté où se laisse emporter la verve caustique de ses auteurs, nous dirons qu'elle ne comprit pas la pensée fondamentale de la Ligue : elle ne s'attacha qu'à ses accessoires ridicules ou odieux. Il y avait quelque chose de grand et de respectable dans l'union d'un peuple qui s'engageait par serment à maintenir l'unité religieuse, à la fin d'une époque où la religion avait été le seul lien de la civilisation. Mais à cette noble idée s'était joint, comme il arrive presque toujours, un impur alliage d'intérêts et d'ambitions personnelles. La Satire Ménippée ne vit que les vices et les petitesses de quelques hommes; elle déchira, sans l'apercevoir, l'idée qui leur servait de drapeau; elle fut le dernier coup

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porté, par l'esprit politique, à l'esprit du moyen âge qu'elle méconnut et défigura. La Ligue reposait sur une loi de la nation française, en vertu de laquelle aucun prince ne pouvait occuper le trône s'il ne professait la religion catholique, c'est là ce qui donnait tant d'importance et une si grande force à la Ligue. Elle avait pour elle les sympathies de la masse de la nation. On voyait un danger immense pour la foi catholique dans notre pays, et on s'unissait pour le conjurer. Il est permis de penser que, sans la Ligne, la France serait devenue protestante comme plusieurs parties de l'Allemagne et comme l'Angleterre.

Les spirituels auteurs de la Satire Ménippée ne déguisent pas leur sympathie pour les réformés ; l'esprit protestant, ou tout au moins l'esprit gallican, y perce à chaque page, et il s'y trouve des attaques contre certains ministres de la religion, attaques peu mesurées qui semblent quelquefois remonter plus haut.

La Ménippée, du reste, n'est pas un chef-d'œuvre littéraire; mais un ouvrage remarquable qui a plu en son temps par ses portraits, et qui plaît encore aujourd'hui, parce que ses portraits sont des caractères. Comme simple fait historique, elle intéresserait encore par la part qu'elle a eue dans le triomphe de Henri IV.

CHAPITRE QUATRIÈME.

LE THEATRE AU SEIZIÈME SIÈCLE.

Jodelle et son école.

Robert Garnier. Pierre de Larivey et l'école italienne. Alexandre Hardy et l'école espagnole.

Le retour violent du seizième siècle vers le passé ne pouvait manquer d'entraîner le théâtre. La scène française ne connaissait encore d'autres pièces que les mystères, les moralités, les farces et les sotties. Les poètes de la renaissance entreprirent de fonder un autre système de composition dramatique. En ce genre, comme dans les autres, les traductions précédèrent les imitations et les provoquèrent. Octavien Saint-Gelais avait traduit d'abord les six comédies de Térence; depuis, Bonaventure Des Periers et Charles Estienne avaient retraduit chacun l'Andrienne, l'un en vers, l'autre en prose; Lazare de Baïf, père de Jean toine, avait translaté, ligne pour ligne, vers pour vers, Electre de Sophocle, l'Hécube d'Euripide. Thomas Sebilet rimait en français l'Iphigénie de ce dernier, et Guillaume Bouchetel faisait connaître quelques autres tragédies du même poète. Plusieurs comédies italiennes venaient de passer dans notre langue; mais ici encore le premier essai remarquable et décisif appartient au fameux Ronsard. Il achevait ses études au collège de Coqueret, sous Dorat, en 1549, lorsqu'il s'avisa de mettre en vers français le Plutus d'Aristophane, et de le représenter avec ses condisciples devant leur maître commun.Ce fut la première représentation classique qui eut lieu en France; elle fit fureur. L'exemple une fois donné par Ronsard, d'autres que lui poursuivirent cette réforme dramatique dont Joachim Du Bellay proclamait alors l'opportunité et la gloire. Animés par ces deux voix

puissantes, Etienne Jodelle dès 1552, et presque en même temps Jean de la Pé use, Charles Toutain, Jean et Jacques de La Taille, Jacques Grévin, Mellin de Saint-Gelais, Jean-Antoine de Baïf, Remi Belleau s'élancèrent sur la scène, et un nouveau théâtre fut fondé.

C'est dans la tragédie que l'école de Jodelle innova davantage et se sépara avec le plus d'éclat des Confrères de la Passion. Bien qu'elle ait eu la même prétention pour la comédie, et que Jodelle, dans le prologue d'Eugène, Grévin dans celui de la Trésorière, Jean de La Taille dans celui des Corrivaux, s'attaquent aux farces et aux farceurs avec un ton de grand mépris, se vantant d'écrite pour les princes, et non pour la populace en sabots, la différence qu'on trouvait alors entre les farces et les comédies nouvelles nous est peu sensible aujourd'hui; la transition des unes aux autres n'a rien de brusque, et pourrait, à la rigueur, passer pour un progrès naturel. Mais, dans le genre pathétique et sérieux, le saut qu'on fit paraît immense. Aux mystères, qui étaient des tragédies de couvent et d'église, succèdent tout-à-coup des tragédies de collége, toutes mythologiques et païennes. Au lieu d'être représentées dans un ancien hôpital, par des artisans obscurs, devant des habitués de paroisse, ces pièces se jouent au collège de Boncour, à celui d'Harcourt, à celui de Beauvais, ou bien à l'hôtel de Reims, devant Henri II et ses courtisans, devant le grand Turnèbe, le grand Dorat et autres personnages de science et d'honneur. Les entreparleurs, nous dit Pasquier, sont tous hommes de nom; les Jodelle, les Remi Belleau, les Jean de la Péruse, y prennent eux-mêmes les rôles principaux ; et, quand le dernier acte s'est terminé au milieu des applaudissements, auteurs et acteurs partent gaiement pour Arcueil; un bouc se rencontre; on l'orne de fleurs et de lierre, on le traîne dans la salle du festin, on l'offre en prix au poète vainqueur, et Baïf, en un langage français-grec, entonne pour Bacchus et Jodelle le Paan triomphal.

Jodelle le premier, d'une plainte hardie,
Françoisement chapta la grecque tragédie;

Puis, en changeant de ton, chanta devant nos rois
La jeune comédie en langage françois,

Et si bien les sonna, que Sophocle et Méandre,
Tant fussent-ils savans, y eussent pu apprendre.

Que si maintenant l'on dégage la tragédie de tout cet appareil poétique, ou, si l'on veut, de tout cet attirail pédantesque; si on l'estime en elle-même et à sa propre valeur, que ce soit une Cléopâtre, une Didon, une Médée, un Agamemnon, un César, voici ce qu'on y remarque constamment : nulle invention dans les caractères, les situations et la conduite de la pièce; une reproduction scrupuleuse, une contrefaçon parfaite des formes grecques; l'action simple, les personnages peu nombreux; des actes fort courts, composés d'une ou de deux scènes et entremêlés de choeurs; la poésie lyrique de ces choeurs bien supérieure à celle du dialogue; les unités de temps et de lieu observées moins en vue de l'art que par un effet de l'imitation; un style qui vise à la noblesse, à la gravité, et qui ne la manque guère que parce que la langue lui fait faute; jamais ou rarement de ces bévues, de ces inadvertances géographiques et historiques, si communes chez les premiers auteurs dramatiques des nations modernes. Telle est la tragédie dans Jodelle et ses contemporains. Ils ne méritent pas le moins du monde l'honneur ni l'indignité d'être comparés aux Shakspeare et aux Lope de Véga. Avec moins d'inhabileté et une langue mieux faite, ils seraient exactement comparables aux Trissino, aux Rucellaï, aux Martelli, aux Dolee, et autres fondateurs de la tragédie italienne. Mais, sans aller si loin, c'étaient simplement des écoliers jeunes, studieux, enthousiastes, pareils à certains écoliers de nos jours:

Mon fils en rhétorique a fait sa tragédie.

(La Harpe)

Et en effet Jodelle avait composé ses pièces à vingt ans, Jacques de La Taille à dix-huit, Grévin à vingt-deux. De semblables essais promettaient sans doute; mais comme ces auteurs précoces n'avaient aucun génie, ils s'en tinrent à promettre, et se dirent l'un à l'autre qu'ils avaient tout créé. Tels d'entre eux qui, au xvme siècle, auraient pu sans peine

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