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CHAPITRE DEUXIÈME.

CONTE ET ROMAN AU SEIZIÈME SIÈCLE.

Contes de Marguerite de Navarre. - De Bonaventure Desperriers.

de chevalerie sous François 1er. Satire cynique. Roger Bontems. Détails sur sa vie. — Ses ouvrages.

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Progrès qu'il a fait faire à la langue. Quel rang il doit occuper parmi les hommes de génie de notre pays.Ses imitateurs.

Marguerite de Navarre.

C'est à la sœur de François 1er, à Marguerite de Navarre, que le conte doit son dernier éclat au seizième siècle; poète médiocre, elle excelle dans l'art d'écrire le français de la société polie, et sous ce rapport elle n'a rien à apprendre de personne. C'est là pour elle un titre charmant et durable, c'est une qualité que l'on retrouve surtout dans son Heptaméron.

Le titre et l'idée de cet ouvrage sont imités du Décaméron de Bocace; mais l'exécution en fait un ouvrage original. La grâce et la délicatesse sont le trait original et le charme de l'Heptameron.

Marguerite imagine que quelques seigneurs venus aux Pyrennées pour y prendre les eaux s'y voient retenus par le Gave béarnais.

Ils se réfugient au monastère de Notre-Dame de Servance. Là, on convient que, pour prendre patience, en attendant que les chemins soient redevenus libres, on s'assemblera toutes les après-midi dans un pré du couvent, sous le feuillage d'un ormeau, à l'abri du soleil de septembre, et chacun racontera à

tour de rôle quelque historiette. Chaque personnage paye, en effet, son tribut. Les uns approuvent la conduite du héros ou de l'héroïne de l'historiette, les autres la blâment. Il y a des opinions tranchées, il y en a d'intermédiaires qui hésitent entre le blâme et l'éloge, et qui atténuent toutes choses. Une veuve d'expérience, dame Oysille, est l'âme de la réunion. Elle règle l'ordre des récits; elle discute les points délicats; sagravité, sa réputation de vertu donnent beaucoup de poids à ses avis.

De là, une quantité d'idées délicates et d'observations fines, exprimées avec grâce, et beaucoup de créations charmantes dans la langue des sentiments du cœur et de la politesse. On sent que l'esprit de société, le goût des plaisirs de l'intelligence, ont pénétré dans les hautes classes en France, qu'on y réfléchit plus, qu'on se regarde et qu'on s'analyse davantage.

Bonaventure Desperriers.

Bonaventure Desperriers, valet de chambre de Marguerite, nous a également laissé sous le titre de Nouvelles récréations et joyeux devis, des contes qui, comme ceux de sa protectrice, sont parfois licencieux. On lui doit ainsi quelques autres ouvrages qui n'ont pas eu un grand retentissement.

ROMANS DE CHEVALERIE.

Parmi les genres de littérature que François 1er favorisait, il en était un qui flattait son goût, son caractère et son orgueil. On rafolait de chevalerie depuis que la chevalerie n'existait plus. Le monarque et sa sœur en poussaient l'amour jusqu'à l'engouement. François 1er se présentait au milieu de la cour, vêtu comme un preux, une lance à la main et la barbe teinte. Quiconque eût voulu blamer les Amadis, dit le brave capitaineLanoue, on lui eût craché au visage.

Alors reparurent tous les héros et toutes les héroïnes de nos romans du moyen-âge : Cléomades, la belle Claremonde, Olivier, Lancelot, Tristan de Léonois, personnages galants, aven

tureux, d'un courage sans égal, d'une admirable patience en amour, et d'une force aussi prodigieuse que celle des héros d'Homère. Leur origine, sur laquelle on a beaucoup discuté, remonte évidemment à cette époque où le Christianisme et les mœurs guerrières, s'unissant et se combinant par un phénomène inoui dans les annales du monde, produisirent la confrérie militaire et pieuse qui entreprit les croisades.

Les fables gigantesques des nations idolâtres du Nord s'allièrent aux croyances de la religion nouvelle. Quelques traditions et des souvenirs historiques se mêlèrent à des inventions extraordinaires, quelquefois heureuses. Traduits dans la plupart des langues modernes et même en latin, ces romans devinrent la propriété commune et la gloire littéraire de l'Europe féodale. Chaque nation imprima aux mêmes fictions un caractère particulier créations originales où il ne faut point chercher la perfection du goût; mais naïves, pleines de nobles sentiments.

Herberay-des-Essarts, etc.

Ces peintures de l'amour héroïque et de la loyauté chevaleresque eurent beaucoup de vogue au commencement du XVI® siècle. Le roi qui les aimait, victime à Madrid de son imprudence, lut dans sa prison l'Amadis espagnol, et enchanté de cet ouvrage, il voulut le faire traduire en français. Le seigneur d'Herberay-des-Essarts. fut chargé de cette tâche qu'il remplit avec succès. Un style plus fleuri et plus pompeux que celui des plus célèbres prosateurs de ce siècle, de l'abondance dans les expressions, quelquefois de l'élégance, souvent de la prolixité, justifient en partie l'immense succès dont la traduction des Amadis, dédiée au roi, imprimée avec magnificence, a joui sí longtemps. Les savants qui commençaient à se réconcilier avec leur langue maternelle, regardèrent d'Herberay comme un Jégislateur.

Le nombre de la période et même le choix des mots doivent beaucoup à d'Herberay-des-Essarts; il a su reproduire dans sa traduction quelque chose de cette harmonie pompeuse qui caractérise la langue espagnole, et l'on pourrait sans trop de

hardiesse le nommer le Balzac de son temps. La langue française, malgré les efforts isolés de quelques esprits éminents, manquait encore de noblesse. Des-Essarts imita le premier la marche grave et périodique de la phrase castillanne. Il essaya plusieurs changements qui ne réussirent pas, comme calonier pour calomnier, amonester pour admonester; mais c'est avec lui que s'annonce la recherche de l'harmonie dans le style et d'une certaine solennité dans la pensée et l'expression; qualités mêlées de défauts, qualités d'autant plus utiles alors que c'était précisément celles qui nous manquaient.

La manie chevaleresque du prince gagna les poètes; chacun d'eux eut sa devise, son écu, la dame de ses pensées; le Parnasse se couvrit de symboliques emblêmes. Faut-il nous occuper longtemps de Jean Bouchet, traverseur des voies périlleuses; de Michel d'Amboise l'esclave fortuné, c'est-à-dire le jouet de la Fortune; de Jean-le-Blond l'humble espérant > de François Habert, le banni de Liesse. Don Quichottes poétiques, qui ne chantaient plus, mais qui blasonnaient ! Tous les membres du corps humain eurent leur blason on fit le blason des cheveux, du sourcil, de l'œil et du cou. On introduisit l'art héraldique dans l'art poétique. Il n'y avait pas jusqu'aux mystères de la foi catholique que les poètes ne tournassent en fadeurs amoureuses. On faisait des madrigaux à propos des martyrs; on excommuniait la beauté rebelle à l'amour; on inscrivait de petits vers galants sur le psautier des dames.

Cette nouvelle et ridicule école prétendait à la pureté, à la chasteté et même au platonisme.

Heroet, évêque de Digne, érigea en doctrine amoureuse le spiritualisme de Dulcinée. A cette Parfaite Amye (tel était le titre du poème), La Borderie opposa un autre modèle de beauté féminine, doué de perfections plus mondaines; il la nommait l'Amye de la cour. Charles Fontaine, à son tour, prit en main la défense du platonisme, et, dans sa Contr'amye, essaya de rabaisser le mérite de cette dame de cour, tant louée par La Borderie. Enfin, pour compléter le cérémonial de ce poétique tournoi, Paul Angiez entra le dernier dans la lice, et se joignit à La Borderie. Tous ces poètes, remplis d'affecta

tion, joignent, aux défauts de versification alors en usage, un style alambiqué, des pensées puérilement quintessenciées, de pénibles jeux de mots. Ils sentaient qu'il y avait quelque chose de mieux à faire que de rimer négligemment

Chansons, ballades, triolets,

Mottets, rondeaux, servants et virelais,
Sonnets, strambotz, barzelottes, chapitres,

Lyriques vers, chants, royaux et épîtres (Heroet);

ils essayaient de perfectionner la poésie, et s'efforçaient d'atteindre une certaine noblesse sentimentale, qui s'accordait d'ailleurs avec l'étiquette chevaleresque dont le roi faisait régner le vain simulacre dans sa cour. Quelquefois on trouve dans leurs vers des passages heureux et le sentiment de l'harmonie; mais ce n'étaient là que des fleurs artificielles. Un quatrain de Marot valait mieux que leurs longs et froids poèmes sur la métaphysique du cœur.

ÉCOLE DE SATIRE CYNIQUE.

Pendant que cette affectation se répandait à la cour, la gaîté populaire et française se conservait intacte dans les rangs inférieurs de la société. Les vieilles habitudes de nos moeurs bourgeoises luttaient contre cette civilisation, empruntée à l'Italie et à l'Espagne. Le besoin de railler et la franche joie du peuple éclataient de temps à autre en saillies fort peu délicates; la cour elle-même n'avait pas entièrement renoncé à la bouffonnerie; la grossièreté s'y trahissait encore sous la recherche de l'élégance. Alors, dans le même palais, de graves personnages dissertaient sur l'amour; un roi guerrier s'occupait de grec, et Triboulet amusait les dames de ses farces indécentes: tout ce que nous appelons convenances, fruit d'une longue expérience sociale, n'était pas même connu. Les fous que le moyen-âge avait établis auprès des princes, restaient en pleine possession de leur charge. On voyait Henri VIII, cruel monarque, époux barbare et jaloux, maître capricieux, ami faible et sanguinaire, se laisser railler par le nain Patch, son favori; Brusquet jouissait au Louvre du même privilége, et

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