Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Tout ce que j'ai de bon, tout ce qu'en moy je prise,
C'est d'estre comme toy, sans fraude et sans feintise,
D'estre bon compaignon, d'estre à la bonne foy,
Et d'estre, mon Ronsard, demi-sourd comme toy :
Demi sourd, ô quel heur ! pleut aux bons Dieux que j'eusse
Ce bonheur si entier, que du tout je le fusse!

Critique plein de sagacité, Du Bellay vit avec effroi l'extension ridicule que l'on donnait aux principes qu'il avait proclamés: une populace de poètes s'empressaieut de construire, avec des débris grecs et latins, une langue plus insolite encore que celle de Ronsard, et ces tristes imitateurs avaient aussi leur portion de renommée. Le Parnasse était inondé cardinaux, prêtres, écoliers, femmes et gens de la cour, tout le monde rimait. Ce déluge de mauvaise poésie semblait justifier les plaintes d'un auteur peu connu et peu digne de l'être, d'Escorbiac, qui, dans son Epopée sur la chute de l'homme, plaçait entre les plus dépiorables fruits de la désobéissance d'Adam, l'abondance des mauvais vers que ses descendants devaient produire.

On mutilait, on altérait de mille manières la langue et la poésie. La Ramée, Denison, Butt, Baïf, Rapin, Ronsard, encourageaient ces essais; souvent même ils mettaient la main à l'œuvre. Tout cela se faisait avec une gravité puérile, un sérieux profond et comique. Les travaux des réformateurs de la grammaire et de l'orthographe se combinaient avec ceux de la ligue savante, commandée par la Pléiade, et marchaient sur une ligne parallèle. Ronsard, sans vouloir sanctionner toutes leurs innovations, adopta les plus urgentes : il ordonna que désormais écrire remplacerait escripre; il autorisa cieux au lieu des cieulx. Du Bellay, plus difficile, condamna les mots inutiles introduits par Ronsard, comme player (faire une plaie), enfeüer (mettre en feu,) malader (rendre malade).

Du Bellay, dans son Illustration, avait défendu de traduire les poètes; pourtant il a traduit plus d'une fois les poètes anciens, et en particulier les quatrième et sixième livres de l'Enéide. Il fait dans la préface de cette dernière traduction un aveu remarquable qui prouve son retour à la modération, après le premier feu de la querello : « Je n'ai pas oublié ce qu'autre

fois j'ai dit des translations poétiques; mais je ne suis si jalousement amoureux de mes premières appréhensions que j'aie bonte de les changer quelquefois, à l'exemple de tant d'excellents auteurs, dont l'autorité nous doit ôter cette opiniâtre opinion de vouloir toujours persister en ses avis, principalement en matières de lettres; 'quant à moi, je ne suis pas stoïque, jusque-là. Etc., etc. »

Du Bellay ne fut pas suffisamment apprécié. Novateur en poésie, il le fut avec autant de talent et plus de mesure qu'aucun de ses contemporains. Mais comme il mourut jeune, sa réputation s'est de bonne heure allée perdre dans la gloire de Ronsard avant d'être enveloppée dans la même chute.

Victinie de ses soucis et de l'étude, Du Bellay mourut d'apoplexie à l'âge de moins de 36 ans (1560). (M. Sainte-Beuve, Tableau de la Poésie au XVIe siècle.)

Ronsard.

Ronsard qui le suivit (Marot), par une autre méthode
Réglant tout, brouillant tout, fit un art à sa mode,
Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Mais sa Muse, en français, parlant grec et latin,
Vit dans l'âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.

Ronsard dont nous avons à parler maintenant, exerça sur la littérature et la poésie, du moment qu'il parut, une souveraineté immense qui, durant cinquante années, ne souffrit ni adversaires ni rivaux.

DÉTAILS SUR SA VIE.

Pierre de Ronsard naquit le 10 septembre 1526, au château de la Poissonnière, dans le Vaudômois. Il était fils de Louis de Ronsard, maître d'hôtel de François Ier, et chevalier de l'ordre. On raconte qu'en le portant au baptême sa nourrice le laissa tomber sur l'herbe sans lui faire aucun mal, et que peu de jours après une demoiselle lui renversa par mégarde sur la tête un vase rempli d'eau de roses, sans qu'il en fût incommodé.

>

Quand Ronsard fut devenu poète, ses admirateurs ne manquèrent pas de donner à ces deux accidents une importance mystérieuse et prophétique: « C'étoit, dit Claude Binet, biographe contemporain de Ronsard, un présage des bonnes odeurs dont il devoit remplir toute la France, des fleurs de ses écrits. Après quelques études dans la maison paternelle, Ronsard en sortit à neuf ans pour aller à Paris au collège de Navarre. Il ne tarda pas à se dégoûter de ses maîtres dont il ne pouvait supporter la rigueur, et se fit rappeler par son père au bout de six mois. Il serendit à Avignon où le roi et la cour se trouvaient alors. Sa naissance, sa figure, ses manières gracieuses et son esprit précoce le firent remarquer de Charles d'Orléans, fils de Fran. çois Ier, qui le nomma son page. Jacques Stuart, qui retournait dans son royaume d'Ecosse avec sa nouvelle épouse, Marie de Lorraine, le voulut avoir, l'emmena avec lui et le garda deux ans et demi. Ronsard passa ensuite à la cour d'Angleterre, où il resta six mois; puis il rentra en France. Le duc d'Orléans le reprit aussitôt à son service, et l'envoya pour quelques affaires secrètes en Flandre et en Zélande, avec ordre de passer de nouveau en Ecosse. Ce dernier voyage faillit lui être funeste; le vaisseau qu'il montait fut battu de la tempête pendant trois jours, et ce ne fut qu'à grand peine que l'équipage se sauva. De retour en France en 1540, le jeune page quitta la cour du duc d'Orléans pour accompagner, en qualité de secrétaire, le savant Lazarre de Baïf, ambassadeur du roi à la diète de Spire. Il remplit ensuite les mêmes fonctions auprès du seigneur de Langey du Bellay. Ronsard mit à profit ces voyages diplomatiques pour apprendre la langue et l'histoire des pays qu'il fut obligé de parcourir. Quand il reparut à la cour, il fit l'admiration générale. Il était tout-à-fait alors dans la fleur de l'âge. Sa grâce et sa beauté, dit Claude Binet, le rendoient agréable à tout le monde; car il étoit d'une stature fort belle, auguste et martiale, avoit les membres forts et proportionnés, le visage noble, libéral et vraiment françois, la barbe blondoyante, cheveux châtains, nez aquilin, les yeux pleins de douce gravité. Il avait rapporté, il est vrai, une assez grande infirmité: il était sourd. Mais c'était une ressemblance avec Homère, qui était aveugle; on ne

[ocr errors]

fois j'ai dit des translations poétiques; mais je ne suis si jalousement amoureux de mes premières appréhensions que j'aie honte de les changer quelquefois, à l'exemple de tant d'excellents auteurs, dont l'autorité nous doit ôter cette opiniâtre opinion de vouloir toujours persister en ses avis, principalement en matières de lettres; 'quant à moi, je ne suis pas stoïque, jusque-là. etc., etc. »>

Du Bellay ne fut pas suffisamment apprécié. Novateur en poésie, il le fut avec autant de talent et plus de mesure qu'aucun de ses contemporains. Mais comme il mourut jeune, sa réputation s'est de bonne heure allée perdre dans la gloire de Ronsard avant d'être enveloppée dans la même chute.

Victime de ses soucis et de l'étude, Du Bellay mourut d'apoplexie à l'âge de moins de 36 ans (1560). (M. Sainte-Beuve, Tableau de la Poésie au XVIe siècle.)

Ronsard.

Ronsard qui le suivit (Marot), par une autre méthode
Réglant tout, brouillant tout, fit un art à sa mode,
Et toutefois longtemps eut un heureux destin,
Mais sa Muse, en français, parlant grec et latin,
Vit dans l'âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.

Ronsard dont nous avons à parler maintenant, exerça sur la littérature et la poésie, du moment qu'il parut, une souverai neté immense qui, durant cinquante années, ne souffrit ni adversaires ni rivaux.

DÉTAILS SUR SA VIE.

Pierre de Ronsard naquit le 10 septembre 1526, au château de la Poissonnière, dans le Vandômois. Il était fils de Louis de Ronsard, maître d'hôtel de François Ier, et chevalier de l'ordre. On raconte qu'en le portant au baptême sa nourrice le laissa tomber sur l'herbe sans lui faire aucun mal, et que peu de jours après une demoiselle lui renversa par mégarde sur la tête un vase rempli d'eau de roses, sans qu'il en fût incommodé.

Quand Ronsard fut devenu poète, ses admirateurs ne manquèrent pas de donner à ces deux accidents une importance mystérieuse et prophétique « C'étoit, dit Claude Binet, biographe contemporain de Ronsard, un présage des bonnes odeurs dont il devoit remplir toute la France, des fleurs de ses écrits.› Après quelques études dans la maison paternelle, Ronsard en sortit à neuf ans pour aller à Paris au collège de Navarre. Il ne tarda pas à se dégoûter de ses maîtres dont il ne pouvait supporter la rigueur, et se fit rappeler par son père au bout de six mois. Il serendit à Avignon où le roi et la cour se trouvaient alors. Sa naissance, sa figure, ses manières gracieuses et son esprit précoce le firent remarquer de Charles d'Orléans, fils de Fran çois Ier, qui le nomma son page. Jacques Stuart, qui retournait dans son royaume d'Ecosse avec sa nouvelle épouse, Marie de Lorraine, le voulut avoir, l'emmena avec lui et le garda deux ans et demi. Ronsard passa ensuite à la cour d'Angleterre, où il resta six mois; puis il rentra en France. Le duc d'Orléans le reprit aussitôt à son service, et l'envoya pour quelques affaires secrètes en Flandre et en Zélande, avec ordre de passer de nouveau en Ecosse. Ce dernier voyage faillit lui être funeste; le vaisseau qu'il montait fut battu de la tempête pendant trois jours, et ce ne fut qu'à grand peine que l'équipage se sauva. De retour en France en 1540, le jeune page quitta la cour du duc d'Orléans pour accompagner, en qualité de secrétaire, le savant Lazarre de Baïf, ambassadeur du roi à la diète de Spire. Il remplit ensuite les mêmes fonctions auprès du seigneur de Langey du Bellay. Ronsard mit à profit ces voyages diplomatiques pour apprendre la langue et l'histoire des pays qu'il fut obligé de parcourir. Quand il reparut à la cour, il fit l'admiration. générale. Il était tout-à-fait alors dans la fleur de l'âge. Sa grâce et sa beauté, dit Claude Binet, le rendoient agréable à tout le monde; car il étoit d'une stature fort belle, auguste et martiale, avo't les membres forts et proportionnés, le visage noble, libéral et vraiment françois, la barbe blondoyante, cheveux châtains, nez aquilin, les yeux pleins de douce gravité. Il avait rapporté, il est vrai, une assez grande infirmité: il était sourd. Mais c'était une ressemblance avec Homère, qui était aveugle; on ne

« AnteriorContinuar »