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A vos seules bontés je veux avoir recours :
Je n'aimerai que vous; m'aimerez-vous toujours?
Mon cœur, dans les transports de sa fureur extrême,
N'est point si malheureux puisqu'enfin il vous aime.
HECTOR à part.

Notre bourse est à fond; et, par un sort nouveau,
Notre amour recommence à revenir sur l'eau.

VALÈRE.

Calmons le désespoir où la fureur me livre :
Approche ce fauteuil.

(Hector approche un fauteuil.)

VALÈRE assis.

Va me chercher un livre.

HECTOR.

Quel livre voulez-vous lire en votre chagrin!

VALÈRE.

Celui qui te viendra le premier sous la main;
Il m'importe peu, prends dans ma bibliothèque.

HECTOR Sort, et rentre, tenant un livre.

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Eh, vous n'y pensez pas !

Je n'ai lu de mes jours que dans des almanachs.

Ouvre, et lis au hasard.

VALÈRE,

HECTOR.

Je vais le mettre en pièces.
VALÈRE.

Lis donc.

HECTOR lit.

Chapitre six. Du mépris des richesses,

La fortune offre aux yeux des brillants mensongers;
Tous les biens d'ici-bas sont faux et passagers;
Leur possession trouble, et leur perte est légère;

Le sage gagne assez quand il peut s'en défaire.
Lorsque Sénèque fit ce chapitre éloquent,

Il avait, comme nous, perdu tout son argent.

VALERE se levant.

Vingt fois le premier pris! dans mon cœur il s'élève. (Il s'assied.)

Des mouvements de rage... Allons, poursuis, achève.

HECTOR.

N'ayant plus de maîtresse, et n'ayant pas un sou,
Nous philosopherons maintenant tout le soul.

VALÈRE.

De mon sort désormais vous serez seule arbitre,
Adorable Angélique... Achève ton chapitre.

HECTOR.

Que faut-il...

VALÈRE.

Je bénis le sort et ses revers,

Puisque un heureux malheur me rengage en vos fers. Finis donc.

HECTOR.

«Que faut-il à la nature humaine? Moins on a de richesse, et moins on a de peine; C'est posséder les biens que savoir s'en passer. » Que ce mot est bien dit! et que c'est bien penser ! Ce Sénèque, Monsieur, est un excellent homme. Etait-il de Paris?

VALÈRE,

Non, il était de Rome.

Dix fois, à carte triple, être pris le premier!

HECTOR.

Ah, Monsieur! nous mourrons un jour sur le fumier '

VALÈRE.

Il faut que de mes maux enfin je me délivre;

J'ai cent moyens tout prêts pour m'empêcher de vivre : La rivière, le feu, le poison et le fer.

HECTOR.

Si vous vouliez, Monsieur, chanter un petit air.
Votre maitre à chanter est ici; la musique
Peut-être calm.erait cette humeur frénétique.

Que je chante!

VALÈRE.

HECTOR.

Monsieur....

VALÈRE.

Que je chante, bourreau !

Je veux me poignarder; la vie est un fardeau
Qui pour moi désormais devient insupportable.

HECTOR.

Vous la trouviez pourtant tantôt bien agréable.
Qu'un joueur est heureux! sa poche est un trésor,
Sous ses heureuses mains le cuivre devient or,
Disiez-vous?

VALÈRE.

Ah! je sens redoubler ma colère.
Le Joueur, acte iv, sc. 13.

Baron.

Baron (Michel de) acteur et auteur, naquit à Paris en 1652. Son véritable nom était Boyron; mais Louis XIV l'ayant appelé plusieurs fois Baron, ce nom lui demeura. Il était fils d'un comédien qui périt par suite d'un accident singulier en jouant le rôle du comte de Gormas, du Cid, dans la scène de la querelle avec don Diègue, il repoussa du pied l'épée de celui-ci, comme la situation l'indique; par malheur, la pointe lui perça un doigt; il fit d'abord peu d'attention à cette blessure, la regardant comme légère; mais elle s'envenima, la gangrène y survint, et le mal fut sans remède.

Baron entra de fort bonne heure dans la troupe que la Raisin, veuve d'un organiste de Troyes, avait formée de jeunes acteurs, sous la dénomination de Comédiens de M. le Dauphin. Molière distingua en lui les plus heureuses dispositions, se l'attira, et lui accorda son amitié. Ainsi que Molière, Baron a été comédien et auteur comique; c'est là le seul trait de comparaison entre eux; il en ressort même une différence notable. Baron fut meilleur comédien que Molière; mais Molière, auteur, ne connait point de rivaux. Chez Molière l'auteur a fait oublier le comédien; chez Baron, au contraire, le comédien a fait oublier l'auteur.

Doué par la nature d'une physionomie noble et expressive, d'un taille avantageuse, qualités auxquelles il avait joint les ressources de l'art, Baron excellait également à jouer la comédie et la tragédie. Dans celle-ci notamment son jeu muet était admirable. Son visage retraçait, dit-on, tour-à-tour, la pâleur et la rougeur, selon les diverses passions dont l'affectaient ses rôles. Nul doute qu'il n'ait puissamment contribué à faire valoir les mauvaises tragédies d'alors, que La Harpe nomme des fadeurs dialoguées, et qu'il n'ait fait lui-même le succès de ses propres ouvrages; mais il était aussi propre à représenter dignement les héros de Racine et de Corneille, que les personnages comiques de Molière. Les chroniques du temps nous apprennent que l'élégance de ses manières donnait un grand prix au rôle de Moncade dans son Homme à bonnes fortunes.

Racine avait une telle confiance dans le talent de Baron, que, lorsqu'il distribua aux comédiens les rôles d'Andromaque et lorsqu'il eut donné des conseils détaillés à chacun d'eux sur la façon dont il voulait que la pièce fût jouée, se tournant vers Baron, il se contenta de lui dire Pour vous, Monsieur, je n'ai pas d'instruction à vous donner; votre cœur vous en dira plus que mes leçons n'en pourraient faire entendre. Baron, en effet, conçut merveilleusement le rôle de Pyrrhus, qui fut pour lui un triomphe. Cet acteur célèbre, tout en connaissant mieux qu'un autre les règles scéniques, savait à propos s'affranchir de leurs entraves, et, sans les violer, se livrait souvent, et avec bonheur, à ses propres inspirations. « Les règles, disait-il, défendent d'élever les bras au dessus de la tète, mais si la passion les y porte, ils feront bien la passion en sait plus que les règles. »

Les talents des acteurs sont malheureusement fugitifs, comme la parole leur réputation ne se transmet que par des traditions altérées; le temps l'affaiblit ou l'augmente, suivant la faveur plus ou moins grande des circonstances; et, bien que l'enthousiasme des contemporains ait décerné à Baron le titre de Roscius moderne, ce titre a peut-être été mieux mérité depuis lui. La manière même de cet acteur devait l'entraîner dans des écarts. Effectivement, la passion, pour plaire au théâtre, a be

soin d'être constamment subordonnée aux lois de l'art et du goût, sous peine de dégénérer en un dévergondage de l'imagination. Baron dut avoir les défauts de ses qualités; il en eut d'autres encore, et La Bruyère nous en fait connaitre un : « Roscius, dit-il, entre sur la scène de bonne grâce: oui, et j'ajoute qu'il a les jambes bien tournées, qu'il joue bien, et de longs rôles; et pour déclamer parfaitement, il ne lui manque, comme on le dit, que de parler avec la bouche. » (Caractères, chap. III.) Cela laisse à penser, ou que Baron avait un vice de prononciation, ou que son organe était peu sonore, ou qu'enfin il donnait à sa voix des inflexions affectées.

Infatué de son art, qui le faisait rechercher de la cour et de la ville, Baron s'était gonflé d'un amour-propre qui s'exhalait parfois en propos ridicules. Il disait dans ses accès de vanité, que la nature donne un César tous les cent ans, et qu'il en faut deux mille pour produire un Baron; qu'il faudrait qu'un comédien fût élevé sur les genoux des reines. » Il se plaignait un jour au marquis de Biron de ce que les gens de ce seigneur avaient insulté les siens : « Que veux-tu que je te dise, mon pauvre Baron, lui répondit le marquis, pourquoi as-tu des gens? › Baron quitta le théâtre, en 1691, par le rôle de Ladislas, de Vinceslas, qu'il joua d'une manière inimitable, devant la cour, à Fontainebleau. Le roi le gratifia d'une pension de mille écus. Après trente ans de vie privée, ayant dérangé sa fortune, il se vit contraint de reprendre son ancienne profession. Il reparut sur la scène en 1720, dans Cinna. Sa seconde retraite eut lieu comme la première par le rôle de Ladislas, et fut déterminée par un grave incident. Il était depuis quelque temps oppressé par un asthme; parvenu à ce vers:

Si proche du cercueil où je me vois descendre,

il ne put aller plus loin, et fut obligé de rentrer dans les coulisses, où les applaudissements du parterre le suivirent pendant plusieurs minutes. Baron est mort le 22 décembre 1729, âgé de soixante-dix-sept ans. J.-B. Rousseau lui a consacré ces vers : Du vrai, du pathétique il a fixé le ton: De son art enchanteur l'illusion divine

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