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lourds calculateurs aimeront mieux peut-être y voir des sons combinés avec un prodigieux travail; mais le grand poète, l'enfant de la nature, La Fontaine, aura plus tôt fait cent vers barmonieux que des critiques pédants n'auront calculé l'harmonie d'un vers.

Faut-il s'étonner qu'un écrivain pour qui la poésie est si docile et si flexible, soit un si grand peintre ? C'est de lui surtout que l'on peut dire proprement qu'il peint avec la parole. Dans lequel de nos auteurs trouvera-t-on un si grand nombre de tableaux dont l'agrément est égal à la perfection?

Lorsqu'il nous rend les spectateurs du combat du moucheron et du lion que manque-t-il à cette peinture?

Le quadrupède écume, et son œil étincelle;
Il rugit, on se cache, on tremble à l'environ;
Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le barcelle;
Tantôt pique l'échine et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.

La rage alors se trouve à son faite montée,
L'invisible ennemi triomphe et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,

Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air qui n'en peut mais, et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat, le voilà sur les dents

De cette peinture énergique passons à une peinture riante:
Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait,
Bien posé sur un coussinet,

Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour là, pour être plus agile,

Cotillon simple et souliers plats.

Ici toutes les syllabes sont coulantes et rapides; tout à l'heure elles étaient fermes et résonnantes elles seront, quand il le faudra, lourdes et pénibles. Nous avons vu la facilité; voyons l'effort.

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.

La phrase est disposée de manière que l'œil se porte d'abord sur la montagne et sur tous les accessoires qui la rendent si rude à monter, la raideur, le sable, le soleil à plomb on voit ensuite arriver avec peine les six forts chevaux, et au bout le coche qu'ils tirent, mais de manière que le coche parait se trainer avec le vers. Ce n'est pas tout le poète achève le tableau en peignant les gens de la voiture :

Femmes, moines, vieillards, tout était descendu;
L'équipage suait, soufflait, était rendu.

On ne peut prononcer ces mots suait, soufflait, sans être presque essouflé: on n'imite pas mieux avec des sons.

Ce n'est pas moins sensible dans la fable de Phébus et Borée.

Se gorge de vapeurs, s'enfle comme un ballon,

Fait un vacarme de démon,

Siffle, souffle tempête....

Siffle, souffle: on entend le vent. Ne voit-on pas aussi le lapin quand il va prendre le frais à la pointe du jour ?

Il était allé faire à l'aurore sa cour

Parmi le thym et la rosée.

Après qu'il eut broutté, trotté, fait tous ses tours, etc.

Cette peinture est fraîche et riante comme l'aurore. Broutté, trotté, cette répétition de sons qui se confondent peint merveilleusement la multiplicité des mouvements du lapin.

Quand la perdrix

Voit ses petits.

En danger, et n'ayant qu'une plume nouvelle,
Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas,
Elle fait la blessée, et va trainant de l'aile,
Attirant le chasseur et le chien sur ses pas,
Détourne le danger, sauve ainsi sa famille ;

Et puis quand le chasseur croit que son chien la pille,
Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit

De l'homme, qui, confus, des yeux en vain la suit.

Nous demandons si le plus habile peintre pourrait nous montrer sur la toile tout ce que nous fait voir le poète dans ce petit nombre de vers. Tel est l'avantage de la poésie sur la peinture, qui ne peut jamais représenter qu'un moment. Comme le chasseur et le chien suivent pas à pas la perdrix qui se traine dans ces vers traînants! Comme un hémistiche rapide et prompt nous montre le chien qui pille! Ce dernier mot est un élan, un éclair. L'autre vers est suspendu quand la perdrix prend sa volée: elle est en l'air avec la césure, et vous voyez longtemps l'homme immobile, qui, confus, des yeux en vain la suit ; et le vers se prolonge avec l'étonnement.

Il n'y a point d'écrivain qui ait réuni plus de titres pour plaire et pour intéresser que La Fontaine. Quel autre est plus souvent relu, plus souvent cité? Quel autre est mieux dans le souvenir de tous les hommes instruits et même de ceux qui ne le sont pas? Le poète des enfants et du peuple est en même temps le poète des philosophes. Cet avantage, qui n'appartient qu'à lui, peut être du en partie au genre de ses ouvrages; mais il l'est surtout à son génie. Nul auteur n'a dans ses écrits plus de bon sens joint à plus de bonté : nul n'a fait un plus grand nombre de vers devenus proverbes. Dans ces moments qui ne reviennent que trop, où l'on cherche à se distraire soi-même et à se défaire du temps, quelle lecture choisit-on plus volontiers? sur quel livre la main se porte-t-elle plus souvent? Sur La Fontaine. Vous vous sentez attiré vers lui par le besoin des sentiments doux: il vous calme et vous réconcilie avec vous-même. On a beau le savoir par cœur depuis l'enfance, on le relit toujours, comme on est porté à revoir les gens qu'on aime, sans avoir rien à leur dire. (La Harpe, Cours de littérature).

FABLES CHOISIES.

I. Le Chêne et le Roseau.

La Fontaine mettait au rang de ses meilleures fables celle du Chéne et du Roseau. Avant que de la lire, essayons nous-mêmes quelles seraient les idées que la nature nous présenterait sur ce

sujet. Prenons les devants, pour voir si l'auteur suivra la même route que nous.

Dès qu'on nous annonce le chêne et le roseau, nous sommes frappés par le contraste du grand et du petit, du fort avec le faible. Voilà une première idée qui nous est donnée par le seul titre du sujet. Nous serions choqués, si, dans le récit du poète, elle se trouvait renversée de manière qu'on accordât la force et la grandeur au roseau, et la petitesse avec la faiblesse au chêne : nous ne manquerions pas de réclamer les droits de la nature, et de dire, qu'elle n'est pas rendue, qu'elle n'est pas imitée. L'auteur est donc lié par le seul titre.

Si on suppose que ces deux plantes se parlent, la supposition une fois accordée, on sent que le chène doit parler avec hauteur et avec confiance, le roseau avec modestie et simplicité ; c'est encore la nature qui le demande. Cependant, comme il arrive presque toujours que ceux qui prennent le ton haut sont des sots, et que les gens modestes ont raison, on ne serait point surpris ni fâché de voir l'orgueil du chêne abattu, et la modestie du roseau préservée. Mais cette idée est enveloppée dans les circonstances d'un événement qu'on ne conçoit pas encore. Hâtonsnous de voir comment l'auteur le développera.

Le chêne un jour dit au roseau :

Vous avez bien sujet d'accuser la nature.

Le discours est direct. Le chêne ne dit point au roseau : qu'il avait bien sujet d'accuser la nature, mais vous avez.... Cette manière est beaucoup plus vive; on croit entendre les acteurs. mêmes le discours est ce qu'on appelle dramatique. Ce second vers d'ailleurs contient la proposition du sujet, et marque quel sera le ton de tout le discours. Le chêne montre déjà du sentiment et de la compassion, mais de cette compassion orgueilleuse par laquelle on fait sentir au malheureux les avantages qu'on a sur lui.

Un roitelet pour vous est un pesant fardeau

Cette idée que le chêne donne de la faiblesse du roseau est bien vive et bien humiliante pour le roseau; elle tient de l'insulte: le plus petit des oiseaux est pour vous un poids qui vous incommode.

Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête.

C'est la même pensée présentée sous une autre image. Le chêne ne raisonne que par des exemples; c'est la manière de raisonner la plus sensible, parce qu'elle frappe l'imagination en même temps que l'esprit. D'aventure est un terme un peu vieux, dont la naïveté est poétique, Rider la face de l'eau est une image juste et agréable. Vous oblige à baisser la téte; ces trois vers sont doux: il semble que le chène s'abaisse à ce ton de bonté par pitié pour le roseau. Il va parler de lui-même en bien d'autres

termes :

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,

Brave l'effort de la tempête.

Quelle noblesse dans les images! quelle fierté dans les expressions et dans les tours! Cependant què, terme noble et majestueux; au Caucase pareil, comparaison hyperbolique ; non content d'arrêter les rayons du soleil: arrêter marque une sorte d'empire et de supériorité; sur qui? sur le soleil même ; brave l'effort; braver ne signifie pas seulement résister, mais résister avec violence. Ce n'est point à la tempête seulement qu'il résiste, mais à son effort. Le singulier est ici plus poétique que le pluriel. Ces trois vers, dont l'harmonie est forte, pleine, les idées grandes, nobles, figurent avec les trois précédents, dont l'harmonie est douce de même que les idées: observez encore front et arrêter à l'hémistiche.

Tout vous est aquilon; tout me semble zéphir.

Le chêne revient à son parallèle, si flatteur pour son amour propré; et, pour le rendre plus sensible, il le réduit en deux móts; tout vous est réellement aquilon: et à moi, tout me semble zéphir. Le contraste est observé partout, jusque dans l'harmonie, tout me semble séphir est beaucoup plus doux que tout vous est aquilon; mais quelle énergie dans la brièveté! Continuons:

Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,

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