perboliques qui tiennent à sa prédilection pour Lucain, que Boileau ne pouvait ni comprendre ni pardonner; raison d'amitié, parce que le cœur de Boileau était du côté de Racine dans la lutte quelquefois envenimée des partis littéraires. Ces grands hommes sont des hommes: ils ont leurs faiblesses accidentelles, comme pour nous consoler de notre faiblesse continue. C'est encore le goût qui arme Boileau contre Brébeuf, dont il ne signale que les exagérations sans reconnaître sa force réelle et son talent pour les vers. La Pharsale de Brébeuf est encore de toutes les traductions celle qui donne l'idée la plus fidèle de l'original qu'elle veut reproduire. En outre, ce poète trop maltraité de son temps, trop dédaigné par le nôtre, s'est montré non-seulement versificateur habile, mais penseur profond et moraliste vraiment chrétien dans ses poésies religieuses; il y a l'accent pénétré de ce Philippe Habert, son contemporain, mort prématurément, et qui a eu dans ses vers sur la mort l'énergie de Corneille et quelque chose du sublime des livres saints. Les rigueurs de Boileau contre Quinaut, rigueurs que le dixhuitième siècle lui a si durement reprochées, tiennent encore, comme les chicanes contre Corneille, à une répugnance de goût en sens contraire, mais également invincible, et à ses préférences d'ami. Si les excès de la force lui déplaisaient, il n'avait pas moins d'aversion pour la mollesse. Les héros langoureux et doucereux des premières tragédies de Quinaut et la morale lubrique de ses opéras offensaient son âme chaste et sévère; il ne comprenait pas que le théâtre sérieux, qui pouvait tant pour la force des caractères par des tableaux héroïques, et pour l'expérience par la vérité des passions, devint une école de faiblesse et une amorce de volupté. En outre, ces tragédies qui excitaient la bile de Boileau dans ses premières satires, qui inquiétaient la vieillesse chagrine de Corneille par la vogue qui les accueillait, tenaient en échec la gloire naissante de Racine; on applaudissait l'Astrate plus vivement que l'Alexandre, et même après le triomphe d'Andromaque, Quinaut disputait encore la prééminence. Tels étaient les griefs de Boileau. Le mérite réel des grands opéras qui suivirent, Armide, Atys et tant d'autres, modifièrent peu son opinion sur le poète; il se contenta de ménager l'homme qui était digne d'estime, et dont les œuvres charmaient la cour. Malgré Boileau, Quinaut conserve un rang élevé immédiatement au-dessous des hommes de génie; il a ému les cœurs qu'il amollissait, il a enchanté l'imagination qu'il éblouissait, il a caressé les oreilles délicates par des vers qui ont la mélodie de la musique et pourraient se passer de sens, tant ils ont d'harmonie ; mais l'effort de Vole; taire pour élever Quinaut à la hauteur des maîtres n'a pas mieux réussi; c'est un caprice de mondain, un accès de cette fièvre d'enivrement que donnait toujours à Voltaire le souvenir des fêtes galantes et littéraires des premières années de Louis XIV. (M. Géruzez, Histoire de la littérature française.) Boileau a encore eu le tort, dans l'Art poétique, de ne rien dire, ni de l'Apologue, ni de La Fontaine. On a trop cru que Boileau avait tracé ies limites définitives de l'art. Son système, qui était celui de son siècle, avait ses inconvénients. Nous dirons plus tard ce qu'il laissait à désirer. PRÉCEPTES AUX AUTEURS. (Chant I.) Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant ou sublime, Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée. De tous ces faux brillants l'éclatante folie. Tout doit tendre au bon sens; mais, pour y parvenir, Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie : Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire, Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire : Un vers était trop faible, et vous le rendez dur: J'évite d'être long, et je deviens obscur. L'un n'est point trop fardé, mais sa Muse est trop nue : L'autre a peur de ramper; il se perd dans la nue. Voulez-vous du public mériter les amours? Sans cesse en écrivant variez vos discours. En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme. Heureux qui dans ses vers sait, d'une voix légère, Apollon travesti devint un Tabarin. Cette contagion infecta les provinces, Du clerc et du bourgeois passa jusques aux princes; Et laissons le burlesque aux plaisants du Pont-Neuf. Mais n'allez point aussi, sur les pas de Brébeuf, N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire. Que toujours dans vos vers le sens, coupant les mots, Gardez qu'une voyelle, à courir trop hâtée, Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre, (*) Poème par lequel avait débuté Scarron. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée. Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent, LE LUTRIN. Lorsqu'on a prétendu que Boileau n'avait ni fécondité, ni feu, ni verve, on avait apparemment oublié le Lutrin. Il fallait bien quelque fécondité pour faire un poème de six chants sur un pupitre remis et enlevé; et si nous avons déjà vu que ses Satires mêmes n'étaient point dépourvues de l'espèce de verve qu'elles comportaient, combien il a dù en montrer davantage dans une espèce d'ouvrage qui demandait de l'imagination pour construire une machine poétique, et du feu pour l'animer! Qui |