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filiation et le gratifia d'une pension. Quoique Santeuil eût consacré ses talents à des sujets sacrés, il ne pouvait s'empê cher de versifier de temps en temps sur des sujets profanes. La Quintinie ayant donné ses Instructions pour les jardins, Santeuil orna cet ouvrage d'un poème dans lequel les divinités du paganisme jouaient le principal rôle. Bossuet, à qui il avait promis de n'employer jamais les noms des dieux de la fable, le traita de parjure. Santeuil, sensible à ce reproche, s'excusa par une pièce de vers, à la tête de laquelle il fit mettre une vignette en taille douce. On l'y voyait à genoux, la corde au cou et un flambeau à la main, sur les marches de la porte de l'église de Meaux, y faisant une espèce d'amende honorable. Ce poème satisfit le grand Bossuet; mais le poète eut dans une autre occasion une querelle qui fut plus difficile à éteindre. Le docteur Arnauld étant mort en 1694, plusieurs poètes s'empressèrent de faire son épitaphe. Santeuil ne fut pas le dernier. Les gens qui n'étaient pas du parti, et surtout les Jésuites, en parurent mécontents. Pour se réconcilier avec eux, il adressa une lettre au Père Jouvency, dans laquelle il donnait de grands éloges à la société sans rétracter ceux qu'il avait donnés à Arnauld. Cela ne satisfit point; il fallut donner une nouvelle pièce qui parut renfermer encore quelque ambiguité. L'incertitude et la légèreté du poète firent naître plusieurs pièces contre lui. Le Père Commire donna son Linguarium; un janséniste, dans son Santolius pænitens, ne l'épargna pas davantage. Malgré ces petites humiliations, Santeuil jouit de la gloire dont les Muses latines étaient environnées dans un temps où les bonnes études et les langues savantes étaient en honneur, même parmi les grands. Les deux princes de Condé, père et fils, étaient au nombre de ses admirateurs; presque tous les grands du royaume l'honoraient de leur estime, et Louis XIV lui donna des marques sensibles de la sienne en lui accordant une pension. Le duc de Bourbon, gouverneur de Bourgogne, le menait ordinairement aux états de cette province. Santeuil y trouva la mort en 1697, à soixante-six ans.

« Un soir, dit le duc de Saint-Simon, à l'un de ces soupers, on se divertit à pousser Santeuil de vin de Champagne; et, de

gaieté en gaieté, on trouva plaisant de verser une tabatière pleine de tabac d'Espagne dans un grand verre de vin, et de le faire boire à Santeuil pour voir ce qui en arriverait. On ne fut pas longtemps à en être éclairci. Les vomissements et la fièvre le prirent; en deux fois vingt-quatre heures, le malheureux mourut dans des douleurs horribles; mais les sentiments d'une grande pénitence, avec lesquels il reçut les sacrements, édifièrent autant qu'il fut regretté d'une compagnie peu susceptible d'édification, mais qui détesta une aussi cruelle expérience. >>

Son corps fut transporté de Dijon à Paris, dans l'abbaye de Saint-Victor, où l'on voyait son tombeau dans le cloitre (maintenant rétabli dans l'église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet), avec cette épitaphe: Hic jacet J.-B. Santeuil qui sacros hymnos piis æquè ac politis versibus ad usum Ecclesiæ concinnavit.

On a tant dit de mal et de bien de Santeuil, qu'il est difficile de le peindre au naturel; La Bruyère en a fait ce portrait « Voulez-vous quelque autre prodige? Concevez un homme facile, doux, complaisant, traitable, et tout d'un coup violent, colère, fougueux, capricieux. Imaginez-vous un homme simple, ingénu, crédule, badin, volage, un enfant en cheveux gris; mais permettez-lui de se recueillir, ou plutôt de se livrer à un génie qui agit en lui, j'ose dire, sans qu'il y prenne part, et comme à son insu, quelle verve! quelle élévation! quelles images! quelle latinité! Parlez-vous d'une même personne? me direz-vous. Oui, du même, de Théodas, et de lui seul. Il crie, il s'agite, il se roule à terre, il se relève, il tonne, il éclate; et, du milieu de cette tempête, il sort une lumière qui brille et qui réjouit. Disons-le sans figure, il parle comme un fou, et pense comme un homme sage. Il dit ridiculement des choses vraies et follement des choses sensées et raisonnables. On est surpris de voir naître et éclore le bon sens du sein de la bouffonnerie, parmi les grimaces et les contorsions. Qu'ajouterai-je davantage? Il dit et il fait mieux qu'il ne sait. Ce sont en lui comme deux âmes qui ne se connaissent point, qui ne dépendent point l'une de l'autre, qui ont chacune leur tour ou leurs fonctions toutes séparées. Il manquerait un trait à cette peinture si surprenante, si j'oubliais de dire qu'il est

tout à la fois avide et insatiable de louanges, prêt à se jeter aux yeux de ses critiques, et dans le fond assez docile pour profiter de leurs censures. Je commence à me persuader moimême que j'ai fait le portrait de deux personnages tout différents; il ne serait pas même impossible d'en trouver un troisième dans Théodas, car il est bon homme. »>

Le duc de Saint-Simon le peint d'une manière plus simple, mais également juste: « Plein de feu, d'esprit, de caprices les plus plaisants, qui le rendaient de la plus excellente compagnie; bon convive, et surtout aimant le vin et la bonne chère, mais sans débauche; et qui, avec un esprit et des talents aussi peu propres au cloitre, était pourtant dans le fond aussi bon religieux qu'avec un tel esprit il pouvait l'être. »

Santeuil ne recevait pas toujours les avis avec docilité, et il y répondait quelquefois avec emportement. Bossuet lui ayant fait quelques reproches, finit en lui disant : « Votre vie est peu édifiante, et si j'étais votre supérieur, je vous enverrais dans un petit couvent dire votre bréviaire. - Et moi, reprit Santeuil, si j'étais roi de France, je vous ferais sortir de votre Germigni, et vous enverrais dans l'ile de Pathmos faire une nouvelle Apocalypse.

Santeuil n'attendait pas qu'on louat ses vers; il en était toujours le premier admirateur. Il répétait souvent dans son enthousiasme : « Je ne suis qu'un atome, je ne suis rien; mais si je savais avoir fait un mauvais vers, j'irais tout à l'heure me pendre à la Grève. »

Le succès de ses hymnes le transportait de joie. Il courait les églises pour les entendre chanter i les déclamait lui-même dans les carrefours, avec les contorsions et les gestes les plus bizarres, circonstance à laquelle fait allusion l'épigramme suivante de Boileau :

Quand j'aperçois sous ce portique
Ce moine au regard fanatique,
Lisant ses vers audacieux,
Faits pour les habitants des cieux,
Ouvrir une bouche effroyable,

S'agiter, se tordre les mains;

:

Il me semble en lui voir le diable

Que Dieu force à louer les saints.

Quelques-uns des rivaux de Santeuil ont prétendu que l'invention de ses poésies n'était point riche, que l'ordre y manquait, que le fond en était sec, le style quelquefois rampant; qu'il y avait beaucoup d'antithèses puériles, de gallicismes, et surtout une enflure insupportable. Mais quoi qu'en aient dit ces censeurs, Santeuil est vraiment poète, suivant toute la signification de ce mot. Ses vers se font admirer par la noblesse et l'élévation des sentiments, par la hardiesse et la beauté de l'imagination, par la vivacité des pensées, par l'énergie et la force de l'expression. Dans son enthousiasme, il saisissait d'une manière heureuse et sublime les vérités de la religion. Un jour, entrant dans une ancienne église d'une belle architecture gothique, et y voyant partout des objets condamnés par les sectaires modernes, il embrassa un pilier en s'écriant · « Cela est trop vieux pour être faux!› Un page étant venu, dans ses derniers moments, s'informer de son état de la part de son Altesse monseigneur le duc de Bourbon, Santeuil levant les yeux au ciel s'écria: Tu solus Altissimus!

Il a fait des poésies profanes et sacrées. Ses poésies profanes renferment des inscriptions, des épigrammes et d'autres pièces d'une plus grande étendue. Ses poésies sacrées consistent dans un grand nombre d'hymnes, dont quelques-unes sont des chefs-d'œuvre de poésie. On a publié, sous le nom de Santoliana, ses aventures et ses bons mots. Ce recueil est de La Monnoie. Les religieux de Saint-Victor se sont récriés contre cet ouvrage, qui met sur le compte de Santeuil plusieurs anecdotes scandaleuses et ridicules auxquelles il n'a pas eu la moindre part. Il refusa de se faire ordonner prêtre, et demeura toute sa vie sous-diacre.

Son frère, Claude Santeuil, né à Paris en 1628 et mort en 1684, demeura longtemps au séminaire de Saint-Magloire en qualité d'ecclésiastique séculier ce qui lui fit donner le nom de Santolius Maglorinus. Il a fait aussi des hymnes que l'on conserve en manuscrit dans sa famille, en deux vol. in-4o, et une pièce de vers imprimée avec les ouvrages de son frère.

Un autre Claude Santeuil, parent des précédents, marchand et échevin à Paris, mort vers 1729, a fait des hymnes imprimées à Paris, 1723, in-8°. (Feller, Dictionnaire historique.)

Commire.

Commire (Jean), Jésuite, né à Amboise en 1625, mourut à Paris en 1702. La nature lui donna un génie heureux pour la poésie; il le perfectionna par l'étude des auteurs anciens. On a de lui deux vol. in-12 de poésies latines et d'oeuvres posthumes.

L'aménité, l'abondance, la facilité, sont en général le caractère de sa versification; mais, plus propre à embellir qu'à s'élever, il n'a point, suivant quelques critiques, cette hardiesse, ce feu, cette énergie, cette précision, qui font de la poésie le plus sublime de tous les arts. Dans ses Paraphrases sacrées, il n'a point connu la simplicité des Livres saints; il se contente d'être élégant, et il a des tirades qui forment de très-beaux vers. Ses idyles sacrées et ses idyles profanes ont un style plus propre à leur genre que ses Paraphrases, des images riantes, une élocution pure, des pensées vives, une harmonie heureuse. Il réussissait encore mieux dans les fables et dans les odes, et dans celles surtout du genre gracieux; il semble avoir emprunté de Phèdre sa simplicité élégante, et d'Horace ce goût d'antiquité qu'on ne trouve presque plus dans les poètes latins modernes.

L'oraison De Arte paranda fame, qu'on voit à la fin du premier volume, est pleine de sel attique et d'excellentes vues sur les réputations factices et les petits moyens de se les procu rer. On y lit, entre autres, ce passage remarquable, qui apprécie bien les éloges des philosophes et des gens de secte : Exercent quasi quædam monopolia fama et societates laudum. Laudant mutuè ut laudentur, fenore gloriam dant et accipiunt, cæteris omnibus obtrectant. C'est sur ce modèle qu'un auteur ingénieux a publié l'Art d'acquérir à peu de frais une brillante réputation éphémère, Berlin, 1776. Le Père Commire était d'une grande vivacité et poussait rudement les contradicteurs. Le Père la Rue lui dit un jour en riant que, s'il lui survivait, il lui ferait cette épitaphe:

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