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plan de l'auteur. Il convenait que Joad fùt rempli de la crainte de son Dieu, et que Mathan méprisât le sien. C'est mettre d'un côté la vérité, et de l'autre le mensonge; et c'est par conséquent un moyen de plus de décider les affections du spectateur; c'est ôter toute excuse à Mathan, qui n'en doit point avoir dans ses crimes, et en préparer une à Joad, qui peut dans la suite en avoir besoin, malgré la justice de sa cause. Jusqu'ici tout rentre dans les vues de l'auteur; le reste du discours de Mathan n'y est pas moins conforme, et ne s'éloigne pas davantage des

convenances.

Qu'est-il besoin, Nabal, qu'à tes yeux je rappelle

De Joad et de moi la fameuse querelle,

Quand j'osai contre lui disputer l'encensoir;

Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir?
Vaincu par lui, j'entrai dans une autre carrière,

Et mon âme à la cour s'attacha tout entière.
J'approchai par degrés de l'oreille des rois,
Et bientôt en oracle on érigea ma voix.
J'étudiai leur cœur, je flattai leurs caprices,
Je leur semai de fleurs le bord des précipices.
Près de leurs passions rien ne me fut sacré :
De mesure et de poids je changeais à leur gré.
Autant que de Joad l'inflexible rudesse
De leur superbe oreille offensait la mollesse;
Autant je les charmais par ma dextérité,
Dérobant à leurs yeux la triste vérité,
Prêtant à leurs fureurs des couleurs favorables,
Et prodigue surtout du sang des misérables.
Enfin, au dieu nouveau qu'elle avait introduit,
Par les mains d'Athalie, un temple fut construit.
Jérusalem pleura de se voir profanée.

Des enfants de Lévi la troupe consternée

En poussa vers le ciel des hurlements affreux

Moi seul, donnant l'exemple aux timides Hébreux,
Déserteur de leur loi, j'approuvai l'entreprise,

Et par là de Baal méritai la prêtrise.

Par là je me rendis terrible à mon rival;

Je ceignis la tiare, et marchai son égal.

Qui peut méconnaître à ce langage la satisfaction intérieure d'un homme qui se félicite de ses succès, qui se vante d'ètre

l'artisan de sa fortune, d'être un politique habile, un homme profond dans la science de la cour; qui oppose avec orgueil son adresse et ses talents à la rudesse d'un rival devant qui d'abord il avait été humilié, dont il est depuis devenu l'égal? Tout cela n'est-il pas dans le cœur humain? Sans doute il y a un côté très-odieux, et si c'était celui-là qu'il eut présenté, c'est alors qu'on pouvait l'accuser de dire trop de mal de lui; mais il n'envisage et ne fait envisager que ce qui l'élève à ses propres yeux, et ce qui n'empêche pas que le spectateur ne condamne tout ce dont Mathan s'applaudit : c'est faire précisément tout ce que l'art exige. Ce qui suit achève de développer le caractère de Mathan et le principe de ses fureurs.

Toutefois, je l'avoue, en ce comble de gloire,
Du dieu que j'ai quitté l'importune mémoire
Jette encore en mon âme un reste de terreur,
Et c'est ce qui redouble et nourrit ma fureur.
Heureux si sur son temple achevant ma vengeance,
Je puis convaincre enfin sa haine d'impuissance,
Et parmi les débris, le ravage et les morts,

A force d'attentats perdre tous mes remords!

Ces vers sont la peinture instructive et fidèle du cœur d'un méchant, toujours mal avec lui-même au milieu de ses succès, et cherchant à étourdir ses remords par de nouveaux crimes. Ils donnent une idée terrible de ce Dieu qu'a trahi Mathan et qui le punit déjà par sa conscience avant l'instant de son supplice. Plus Mathan est accusé par son propre cœur, plus le spectateur est contre lui, parce que ses remords sont d'une âme absolument perverse et ne servent qu'à le rendre plus odieux. Aussi on partage l'indignation de Joad lorsque, apercevant Mathan avec Josabeth, il s'écrie:

Où suis-je? De Baal ne vois-je point le prêtre?
Quoi! fille de David, vous parlez à ce traitre!
Vous souffrez qu'il vous parle, et vous ne craignez pas
Que du fond de l'abime entr'ouvert sous ses pas
Il ne sorte à l'instant des feux qui vous embrâsent,
Ou qu'en tombant sur lui ces murs ne vous écrâsent ?
Que veut-il ? De quel front cet ennemi de Dieu
Vient-il infecter l'air qu'on respire en ce lieu?

Cet enthousiasme, qui est si bien soutenu dans tout le rôle de Joad, est ce qui en fait la principale beauté: il est l'âme de la pièce, l'espèce de passion qui seule y tient lieu de toutes les autres, et sans laquelle tout serait froid.

se

Combien ce feu divin, cette élévation de sentiments, communiquent aux spectateurs! lorsqu'à l'approche du danger, au milieu des alarmes de Josabeth, qui dit à son époux :

L'orage se déclare.

Athalie en fureur demande Eliacin...

à la vue d'une troupe de femmes et de lévites qui se résignent à la mort, le grand-prêtre adresse au Tout-Puissant cette sublime apostrophe :

Voilà donc quels vengeurs s'arment pour ta querelle?

Des prètres, des enfants! ò sagesse éternelle!
Mais si tu les soutiens, qui peut les ébranler ?
Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler.
Tu frappes et guérit, tu perds et ressuscites.
Ils ne s'assurent point en leurs propres mérites,
Mais en ton nom sur eux invoqué tant de fois,
En tes serments jurés au plus saint de leurs rois,
En ce temple où tu fais ta demeure sacrée,
Et qui doit du soleil égaler la durée.

Cette espèce d'invocation amène le morceau fameux des prophéties, dont Marmontel a dit, dans sa Poétique, que notre langue n'a rien, dans le genre lyrique, qui puisse en approcher.

Mais d'où vient que mon cœur frémit d'un saint effroi !
Est-ce l'esprit divin qui s'empare de moi !

C'est lui-même: il m'échauffe; il parle, mes yeux s'ouvrent,
Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.

Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords,
Et de ses mouvements secondez les transports.

Le chœur chante au son de toute la symphonie des instruments.

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Que du Seigneur la voix se fasse entendre,

Et qu'à nos cœurs son oracle divin

Soit ce qu'à l'herbe tendre

Est au printemps la fraicheur du matin.

JOAD.

Cieux écoutez ma voix (*). Terre prête l'oreille.
Ne dis plus, & Jacob, que ton Seigneur sommeille.
Pécheurs, disparaissez: le Seigneur se réveille.

Ici recommence la symphonie, et Joad aussitôt reprend la parole.

Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé !...
Quel est dans le lieu saint ce pontife égorgé ?...
Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide,
Des prophètes divins malheureuse homicide;
De son amour pour toi ton Dieu s'est dépouillé ;
Ton encens à ses yeux est un encens souillé..,

Où menez-vous ces enfants et ces femmes? (**)
Le Seigneur a détruit la reine des cités;
Ses prêtres sont captifs, ses rois sont rejetés.
Dieu ne veut plus qu'on vienne à ses solennités.
Temple, renverse-toi. Cèdres, jetez des flammes.
Jérusalem, objet de ma douleur,

Quelle main en un jour t'a ravi tous tes charmes !
Qui changera mes yeux en deux sources de larmes
Pour pleurer ton malheur ?

AZARIAS.

O saint temple!

JOSABETH.

O David!

LE CHOEUR.

Dieu de Sion, rappelle,

Rappelle en sa faveur tes antiques bontés.

La symphonie recommence encore, et Joad un moment après l'interrompt.

JOAD.

Quelle Jérusalem nouvelle (***)

Sort du fond du désert brillante de clartés,
Et porte sur le front une marque immortelle ?
Peuples de la terre, chantez.

Jérusalem renait plus charmante et plus belle:

(") Audite cæli, quæ loquor; audiat terra verba oris mei. Deut., ch. XXXII.

(**) Captivité de Babylonne.

("") L'Eglise de Jésus-Christ.

D'où lui viennent de tous côtés

Ces enfants () qu'en son sein elle n'a point portés ?
Lève, Jérusalem, lève ta tête altière;

Regarde tous ces rois de ta gloire étonnés :
Les rois des nations devant toi prosternés,
De tes pieds baisent la poussière :

Les peuples à l'envie marchent à ta lumière.
Heureux qui pour Sion d'une sainte ferveur.
Sentira son âme embrâsée !

Cieux, répandez votre rosée,

Et que la terre enfante son Sauveur.

Toute cette prophétie, composée de passages de l'Ecriture très-bien liés ensemble, offre l'avantage d'être dramatique et très-utile à l'action. Elle sert à remplir les lévites d'un enthousiasme divin; elle en fait des soldats invincibles, prêts à braver tous les dangers pour la défense de Joas et du temple.

Dans les derniers actes, Racine enchérit encore sur tout ce qui a précédé, et déploie plus que jamais toutes les ressources et toute la richesse de son talent. L'ouverture du quatrième est de la dignité la plus auguste. Salomith, la sœur de Zacharie, s'adresse aux jeunes filles qui composent le chœur :

D'un pas majestueux, à côté de ma mère,

Le jeune Eliacin s'avance avec mon frère.

Dans ces voiles, mes sœurs, que portent-ils tous deux ?
Quel est ce glaive enfin qui marche devant eux.

Josabeth dit à son fils Zacharie:

Mon fils, avec respect posez sur cette table
De notre sainte loi le livre redoutable.
Et vous aussi, posez, aimable Eliacin,
Cet auguste bandeau près du livre divin.
Lévite, il faut placer, Joad ainsi l'ordonne,
Le glaive de David auprès de sa couronne.

JOAS.

Princesse, quelle est donc ce spectacle nouveau?
Pourquoi ce livre saint, ce glaive, ce bandeau?
Depuis que le Seigneur m'a reçu dans son temple,
D'un semblable appareil, je n'ai point vu d'exemple.

(") Les gentils.

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