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CLYTEMNESTRE.

Il devait... je craignais... Ciel! que demandez-vous?
La discorde brisant tous liens entre nous,

Le sang déjà versé me forçait à le craindre.

Ce dernier vers exprime un sentiment très-profond; il peint la nécessité fatale où sont les scélérats de prévenir par d'autres crimes les suites inévitables d'un premier for fait. Clytemnestre ajoute :

J'ai dû le prévenir. Ah! fils d'Agamemnon,
Ne comprenez-vous pas son crime par ce nom?
Forcé par son devoir à venger un tel père,
Il aurait méconnu Clytemnestre sa mère,
Et me précipitant du faite des grandeurs....

ORESTE.

Un fils peut-il si loin étendre ses fureurs?

Une mère à ses yeux, madame, est toujours mère.

Oreste se fait reconnaître par Electre ; ils prennent la résolution l'un et l'autre de faire périr Egyste. Au moment d'exécuter, Oreste est retenu par un trouble qu'il ne peut concevoir : Electre l'excite à la vengeance, et, pour ranimer sa fureur, lui retrace toutes les circonstances du meurtre d'Agamemnon :

Prince, c'est en ce jour, c'est en ces mêmes lieux
Que périt votre père, au comble de la gloire,
Et que des trahisons s'accomplit la plus noire.
Ici, sortant du bain, il prit ses vêtements,
D'un horrible attentat, funestes instruments:
Surpris, embarrassé dans cet affreux dédale,
Là d'Egyste il reçut une atteinte fatale;
A ses pieds il tomba, se débattant en vain ;
Plus loin se relevant, je vis une autre main
Le renverser mourant au lieu même où vous êtes.
C'est là, pour assouvir leurs fureurs satisfaites,
Que deux coups redoublés perçant encor son flanc,
Il acheva de rendre et son âme et son sang :
D'un sang si cher encor ces colonnes empreintes,
Ce marbre, ce pavé, ces images sont teintes;
Ce sang, ce sang partout fume et crie en ces lieux;
Je crois toujours l'y voir ruisseler à mes yeux;

Et son ombre, d'un fils implorant l'assistance,
Murmure autour de nous, et demande vengeance.
Ne la voyez-vous pas ainsi que je la voi?

Et pouvez-vous tarder à venger ce grand roi?

Malgré la dureté des vers et plusieurs incorrections dans le style, on ne peut s'empêcher de convenir qu'il n'y ait dans ces différents passages de véritables beautés. Longepierre, toujours modeste, parut souscrire au jugement sévère qui avait été porté contre sa tragédie; il ne la fit point imprimer quelques années après sa mort, un de ses amis la publia.

Les faveurs de la cour consolèrent Longepierre de ses disgrâces littéraires : il fut gentilhomme ordinaire du duc d'Orléans, et secrétaire des commandements du duc de Berri. Lorsque ce prince mourut, il eut une pension de six mille livres.

Toujours passionné pour la littérature grecque, il s'était amusé à traduire en vers les poésies d'Anacréon, de Sapho, de Bion et de Moschus. Ce genre n'était pas le sien; la dureté et la faiblesse des vers, défauts qui se trouvent rarement unis, rendent la lecture de ces traductions très-difficile. Longepierre eut l'imprudence de faire paraitre cet ouvrage; mais il s'en repentit aussitôt : il tenta en vain de supprimer l'édition, en retirant tous les exemplaires.

Longepierre avait une bibliothèque très-bien choisie, surtout en auteurs anciens : il la légua au cardinal de Noailles, archevêque de Paris, avec lequel il était lié d'amitié.

Ce poète mourut à Paris, le 31 mars 1721. (Petitot, Répertoire du théâtre français).

La Fosse.

Antoine de La Fosse, sieur d'Aubigni, naquit à Paris en 1653. Il fut élevé au sein des arts. Son oncle, peintre distingué de l'école de Le Brun, eut soin de son éducation; il le produisit ensuite dans la société des artistes et des gens de lettres, où il parait que le jeune La Fosse prit le goût de la littérature, et puisa les premières idées du beau idéal. Il ne se borna point, comme la plus grande partie des jeunes poètes, à recueillir

quelques connaissances superficielles, et à briller dans les sociétés par ces productions éphémères que l'on appelle des petits vers; il voulut acquérir des talents et une réputation plus solides. Pour parvenir à ce but, il recommença ses études, et reprit surtout la lecture des poètes grecs, cette mine si féconde de beautés de tous les genres. Homère excitait son enthousiasmeil traduisit en vers quelques morceaux de l'Iliade et de l'Odyssée, qu'il ne publia jamais, et que sa modestie lui fit considérer comme de simples préludes à des travaux plus importants.

L'oncle de La Fosse l'avait présenté à Foucher, ministre français à Florence; le jeune poète eut le bonheur de plaire à ce ministre, qui l'emmena en Toscane, après lui avoir donné la qualité de secrétaire. La Fosse ne vit pas sans admiration cette ville superbe, le berceau des arts, pleine de grands souvenirs, et enrichie par les monuments du goût et de la libéralité des premiers Médicis. Bientôt il se fit connaltre avantageusement par les gens de lettres ; et la rapidité qu'il mit à se perfectionner dans la langue italienne, le fit recevoir dans une des académies de Florence. Les travaux de cette société littéraire n'étaient pas très-importants, elle se bornait à couronner des sonnets et des odes galantes: mais La Fosse y trouvait le moyen de s'exercer à la poésie italienne, dans laquelle il obtint quelques succès.

A son retour d'Italie, La Fosse s'attacha au marquis de Créqui: il le suivit à la guerre, il eut le malheur de le perdre à la bataille de Luzzara, où il ne le quitta point. Il est assez singulier de remarquer que deux poètes tragiques se trouvèrent à cette bataille; Campistron y accompagnait le duc de Vendôme. La Fosse, qui s'était acquis l'estime du général, fut chargé de la triste commission d'apporter à Paris le cœur du marquis de Créqui. Ce ne fut qu'à quarante-six ans que ce poète fit représenter sa première tragédie. Elle annonça un talent formé par des études solides et de longues méditations: la versification, un peu travaillée, n'offrit point la grâce et l'élégance inimitables de la poésie de Racine; mais des idées fortes, rendues avec énergie et précision, mirent l'auteur bien au-dessus de Campistron. Malheureusement le choix du sujet n'était pas heureux;

Polyxène aimant le meurtrier de son père, Pyrrhus éprouvant le même sentiment pour celle qui a causé la mort d'Achille, ne devaient pas inspirer beaucoup d'intérêt; cependant un plan régulier, des scènes fortes et tragiques soutinrent longtemps cette pièce au théâtre, où elle fut remise deux fois : le caractère altier de Pyrrhus parut surtout très-bien tracé. Pour en donner une idée, nous citerons un morceau où le fils d'Achille demande le prix des exploits de son père; il s'adresse à Ulysse :

Seigneur, si je n'ai point mérité de salaire,

Je demande le prix des exploits de mon père;
De Télèphe par lui contraint dans ses états

A vous livrer passage, après tant de combats;
De Thèbes, de Lesbos, de Lyrnesse, de Chryses,
De Scyros, de Scylla, de Ténédos conquises;
Du carnage arrêtant les eaux du Simoïs,
De l'Aurore pleurant le trépas de son fils,
D'une fière Amazone aux flots livrée en proie

Je demande le prix du désespoir de Troie,

Quand elle vit tomber, sous des coups trop certains,

Celui dont le bras seul reculait ses destins.

Cette courte récapitulation de tous les exploits d'Achille est de la plus grande beauté; on doit surtout remarquer ce vers:

Je demande le prix du désespoir de Troie.

Deux ans après la première représentation de Poly.xène, La Fosse donna Manlius, son chef-d'œuvre, qui le plaça immédiatement après les grands maîtres. (Petitot, Rép. du th. fr.)

Manlius, dit La Harpe, est une véritable tragédie, et sera toujours un titre honorable pour son auteur. Tous les caractères sont parfaitement traités; Manlius, Servilius, Rutile, Valérie, agissent et parlent comme ils doivent agir et parler. L'intrigue est amenée avec beaucoup d'art et l'intérêt gradué jusqu'à la dernière scène. Que manque-t-il à cet ouvrage pour être au premier rang? Rien que cette poésie de style, ce charme de l'expression et de l'harmonie auquel Racine et Voltaire ont accoutumé nos oreilles; et ce qui peut faire sentir leur supériorité dans cette partie, c'est que la versification de Manlius, qui est restée si loin de la leur, est pourtant fort au-dessus de

toutes les pièces du même siècle, et a de véritables beautés. Mais en général l'auteur pense mieux qu'il n'écrit. Tous ses personnages disent ce qu'ils doivent dire : il y a même de trèsbeaux vers et des morceaux entiers d'un ton mâle, énergique et fier; mais souvent on désirerait plus d'élégance, plus de nombre, plus de force, plus de chaleur.

La pièce n'est autre chose que la Conjuration de Venise sous des noms romains. Elle est tirée d'une pièce anglaise d'Otway. La Fosse a profité en quelques endroits de l'ouvrage de l'abbé de Saint-Réal, dont ce morceau d'histoire est le chef-d'œuvre. Le caractère de Manlius est ce qui fait le plus d'honneur au talent du poète : il est conçu d'une manière digne de Corneille, et offre même, dans les détails, des traits qui font souvenir de lui; par exemple, cet endroit de la première scène, où Manlius rassure Albin son confident, qui craint que ses hauteurs et ses discours hardis contre le sénat n'éveillent les soupçons :

Non, Albin, leur orgueil, qui me brave toujours,
Croit que tout mon dépit s'exhale en vains discours.
Ils connaissent trop bien Manlius inflexible :
Ils me soupçonneraient à me voir plus paisible;
En me déguisant moins, je les trompe bien mieux;
Sous mon audace, Albin, je me cache à leurs yeux,
Et préparant contre eux tout ce qu'ils doivent craindre,
J'ai même le plaisir de ne me pas contraindre.

Je me cache sous mon audace est une expression admirable. Le tragique anglais a fourni à La Fosse une situation forte et terrible c'est celle où Servilius, que, sans consulter ses amis, Manlius a engagé dans la conspiration contre Rome, s'aperçoit qu'il est suspect à Rutile, un des chefs de l'entreprise, et, pour calmer ses soupçons, remet entre les mains de Manlius une femme qu'il adore, Valérie, qu'il a épousée malgré son père, et dont l'hymen est la cause de tous les malheurs qui le portent au désespoir et à la vengeance:

Je ne veux point ici, par un serment frivole,
Rendre envers nous les dieux garants de ma parole.
C'est pour un cœur parjure un trop faible lien :
Je puis vous rassurer par un autre moyen.

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