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A ces mots, en pleurant, ils se disent adieu.
Le voyageur s'éloigne; et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encore que l'orage
Maltraita le pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie,
Voit un pigeon auprès cela lui donne envie ;
Il y vole, il est pris ; ce blé couvrait d'un lacs
Les menteurs et traîtres appâts.

Le lacs était usé, si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin,
Quelque plume y périt ; et le pis du destin,
Fut qu'un certain vautour, à la serre cruelle,
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle,
Et les morceaux du lacs qui l'avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.

Le vautour s'en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une mâsure,

Crut pour ce coup que ses malheurs
Finiraient par cette aventure.

Mais un fripon d'enfant (cet åge est sans pitié)
Prit sa fronde, et du coup tua plus d'à-moitié
La volatile malheureuse,

Qui, maudissant sa curiosité,
Trainant l'aile et tirant le pied,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna.
Que bien, que mal elle arriva,
Sans autre aventure fâcheuse.

Voilà nos gens rejoints; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.

La Fontaine avait appris des anciens, et surtout de Virgile, cet art de se mettre quelquefois en scène dans son propre ouvrage, art très-heureux lorsqu'on sait également et le placer à propos, et l'employer avec sobriété. Mais l'exemple en est dangereux pour ceux à qui il ne saurait être utile : c'est celui dont les maladroits imitateurs ont le plus abusé. De quoi

qu'ils parlent au public, c'est toujours d'eux qu'ils parlent le plus, et souvent rien n'est plus étrange ou plus insipide que les confidences qu'ils nous font. Au contraire, jamais on n'aime plus La Fontaine que quand il nous entretient de lui-même. Pourquoi? c'est que toujours on voit son âme se répandre, ou son caractère se montrer. Voyez ce morceau sur les charmes de la retraite, que depuis on a si souvent imité, et que La Fontaine lui-même a imité en partie de Virgile:

Solitude où je trouve une douceur secrète,

Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais!
Oh! qui m'arrêtera dans vos sombres asiles!

Quand pourront les neuf sœurs, loin des cours et des villes,
M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieux
Les mouvements divers inconnus à nos yeux,
Les noms et les vertus de ces clartés errantes,
Par qui sont nos destins et nos mœurs différentes!
Que si je ne suis né pour de si grands projets,
Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets;
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie.
La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie;
Je ne dormirai point sous de riches lambris:
Mais voit-on que le somme en perde de son prix ?
En est-il moins profond et moins plein de délices?
Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.
Quand le moment viendra d'aller trouver les morts
J'aurai vécu sans soins et mourrai sans remords.

C'est là le ton d'un homme qui révèle ses goûts et qui épanche son cœur. Dans d'autres occasions, ce n'est qu'un mot en passant, qui trahit son caractère.

Toi donc, qui que tu sois, ò père de famille!

(Et je ne t'ai jamais envié cet honneur.)

Quand nous ne saurions pas que La Fontaine ne pouvait pas souffrir les embarras du ménage, et qu'il avait une femme qui ne les lui faisait pas aimer, ce vers nous l'apprendrait. Ailleurs, c'est un trait de gaité, une saillie:

Une souris tomba du bec d'un chat-huant:
Je ne l'aurais pas ramassée :

Mais un Bramin le fit : chacun a sa pensée.

S'il eût dit simplement qu'un Bramin la ramassa, il n'y avait rien de piquant. Tout le sel de cet endroit consiste dans l'adresse de l'auteur à se mettre en opposition avec le Bramin, et cela lorsqu'on y pense le moins, par une réflexion si simple, qu'elle fait ressortir davantage la singularité de l'Indien. C'est ainsi qu'il égaie et embellit tout par des moyens que lui seul connait; personne n'a su entre-mêler, avec plus de rapidité, de justesse et de bonheur, le récit et la réflexion:

Un lièvre en son gite songeait;

Car que faire en un gite, à moins que l'on ne songe?
Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait;

Cet animal est triste, et la crainte le ronge!

Les exemples de cette espèce sont sans nombre. Il reste à parler de la poésie de ses fables; mais elle est si riche, qu'elle demande un détail fort étendu.

Toujours guidé par un discernement sûr, La Fontaine a réglé sa manière d'écrire la fable et le conte sur le plus ou moins de sévérité de chaque genre. Tout est beau dans un conte, pourvu qu'on amuse il y hasarde toutes sortes d'écarts. Il se détourne vingt fois de sa route, et l'on ne s'en plaint pas : on fait volontiers le chemin avec lui. Dans la fable qui tend à un but que l'esprit cherche toujours, il faut aller plus vite, et ne s'arrêter sur les détails qu'autant qu'ils concourent à l'unité du dessein. Dans cette partie, comme dans tout le reste, les fables de La Fontaine, à un très-petit nombre près, sont des modèles de perfection.

Le conte familier et badin fait pardonner les fautes de langage, d'autant plus facilement qu'il ressemble à une conversation libre et gaie; la fable, plus sérieuse, ne les souffre pas. Aussi La Fontaine, négligé dans ses Contes, est en général beaucoup plus correct dans ses Fables; il y respecte la langue bien plus que Molière dans ses comédies. Non content d'y prodiguer les beautés, il s'y défend les fautes; et qui croira pou voir s'en permettre aucune, quand La Fontaine s'en permet si peu ? Cette correction, qui suppose une composition soignée, est d'autant plus admirable, qu'elle est accompagnée de ce naturel qui semble exclure toute idée de travail. Nous ne

croyons pas qu'on trouve dans La Fontaine, du moins dans les écrits qui ont consacré son nom, une ligne qui sente la recherche ou l'affectation. Il ne compose point, il converse: s'il raconte, il est persuadé; s'il peint, il a vu : c'est toujours son âme qui s'épanche, qui nous parle, qui se trahit. Il a toujours l'air de nous dire son secret, et d'avoir besoin de le dire. Ses idées, ses réflexions, ses sentiments, tout lui échappe, tout nait du moment. Rien n'est appelé, rien n'est préparé. Tout, jusqu'au sublime, parait lui être facile et familier : il charme toujours et n'étonne jamais.

Ce naturel domine tellement chez lui, qu'il dérobe au commun des lecteurs les autres beautés de son style. Il n'y a que les connaisseurs qui sachent à quel point La Fontaine est poète par l'expression, ce qu'il a vu de ressources dans notre langue, ce qu'il en a tiré de richesses. On ne fait pas assez d'attention à cette foule de locutions aussi nouvelles qu'elles sont heureusement figurées. Combien n'y en a-t-il pas dans la seule fable du Chéne et du Roseau! Veut-il peindre l'espèce de frémissement qu'un vent léger fait courir sur la superficie des eaux? Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau....

Ce mot de rider offre la plus parfaite ressemblance. Veut-il exprimer les endroits bas et marécageux où croissent ordinairement les roseaux?

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.

S'agit-il de peindre la différence de l'arbuste fragile au chêne robuste peut-elle être mieux représentée que dans ce vers

d'une précision si expressive?

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphir.

Un vent d'orage, un vent impétueux et destructeur peut-il être plus poétiquement désigné que dans cet endroit de la même fable!

Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le nord eût porté jusque là dans ses flancs.

Quelle tournure élégamment métaphorique dans ces deux vers sur l'illusion de l'astrologie! Celui qui a tout fait, dit le poète :

Aurait-il imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles? Aucun de nos poètes n'a manié plus impérieusement la langue; aucun surtout n'a plié avec tant de facilité les vers français à toutes les formes imaginables. Cette monotonie qu'on reproche à notre versification, chez lui disparait absolument : ce n'est qu'au plaisir de l'oreille, au charme d'une harmonie toujours d'accord avec le sentiment et la pensée, qu'on s'aperçoit qu'il écrit en vers. Il dispose et entremêle si habilement ses rimes, que le retour des sons parait une grâce, et non pas une nécessité. Nul n'a mis dans le rhythme une variété si pittoresque, nul n'a tiré autant d'effets de la césure et du mouvement des vers: il les coupe, les suspend, les retourne comme il lui plait. L'enjambement, qui semble réservé aux vers grecs et latins, est fort commun dans les siens : et ne serait pas un mérite, s'il ne produisait des beautés; car s'il est vicieux dans le style soutenu, à moins qu'il n'ait un dessein bien marqué et bien rempli, il est permis dans le style familier, et tout dépend de la manière de s'en servir.

Nous avouerons aussi que les avantages que nous venons de détailler dans la versification de La Fontaine, tiennent originairement à la liberté d'écrire en vers de toute mesure, et aux priviléges d'un genre qui admet tous les tons; il ne serait pas juste d'exiger ce même usage de la langue et du rhythme dans la poésie héroïque et dans les sujets nobles. Mais aussi tant d'autres ont écrit dans le même genre que La Fontaine ! Pourquoi ont-ils si rarement approché de cette espèce de poésie ? C'est lui qui possède éminemment cette harmonie imitative des anciens, qu'il nous est si difficile d'atteindre, et l'on ne peut s'empêcher de croire en le lisant, que toute sa science en cette partic est plus d'instinct que de réflexion. Chez cet homme, si ami du vrai, et si ennemi du faux, tous les sentiments, toutes les idées, tous les personnages ont l'accent qui leur convient, et l'on sent qu'il n'était pas en lui de pouvoir s'y tromper. De

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