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critique sûre, judicieuse et innocente, s'il est permis du moins de dire de ce qui est mauvais qu'il est mauvais. »

JUGEMENT PAR VAUVENARGUES.

« Boileau ne s'est pas contenté de mettre de la vérité et de la poésie dans ses ouvrages, il a enseigné son art aux autres. Il a éclairé tout son siècle; il en a banni le faux goût, autant qu'il est permis de le bannir chez les hommes. Il fallait qu'il fût né avec un génie bien singulier, pour échapper, comme il a fait, aux mauvais exemples de ses contemporains, et pour leur imposer ses propres lois. Ceux qui bornent le mérite de sa poésie à l'art et à l'exactitude de sa versification ne font pas peut-être attention que ses vers sont pleins de pensées, de vivacité, de saillies, et même d'inventions de style. Admirable dans la justesse, dans la solidité et la netteté de ses idées, il a su conserver ces caractères dans ses expressions, sans perdre de son feu et de sa force; ce qui témoigne incontestablement un grand talent.....

» Si l'on est fondé à reprocher quelque défaut à Boileau, ce n'est pas, à ce qu'il me semble, le défaut de génie. C'est au contraire d'avoir eu plus de génie que d'étendue ou de profondeur d'esprit, plus de feu et de vérité que d'élévation et de délicatesse, plus de solidité et de sel dans la critique que de finesse ou de gaieté, et plus d'agrément que de grâce : on l'attaque encore sur quelques-uns de ses jugements qui semblent injustes; et je ne prétends pas qu'il fût infaillible. ›

JUGEMENT PAR VOLTAIRE.

Voltaire a donné une belle place à Boileau dans le Temple du goût :

Là, régnait Despréaux, leur maître en l'art décrire,
Lui qu'arma la raison des traits de la satire,
Qui, donnant le précepte et l'exemple à la fois,
Etablit d'Apollon les rigoureuses lois.

Il revoit ses enfants avec un œil sévère;
De la triste Equivoque il rougit d'être père,

Et rit des traits manqués du pinceau faible et dur
Dont il défigura le vainqueur de Namur.

Lui-même il les efface, et semble encor nous dire :
Ou sachez vous connaître, ou gardez-vous d'écrire.

» Despréaux, par un ordre exprès du dieu du goût, se réconciliait avec Quinaut, qui est le poète des grâces, comme Despréaux est le poète de la raison.

Mais le sévère satirique

Embrassait encore en grondant
Cet aimable et tendre lyrique,
Qui lui pardonnait en riant.

« Je ne me réconcilie point avec vous, disait Despréaux, que » vous ne conveniez qu'il y a bien des fadeurs dans ces opéras » si agréables. Cela peut bien être, dit Quinaut; mais avouez » aussi que vous n'eussiez jamais fait Atys ni Armide. »

LIAISONS DE BOIleau avec racine, MOLIÈRE et la fontaine.

L'Art poétique est quelque chose de plus que l'ouvrage d'un homme supérieur. C'est la déclaration de foi littéraire d'un grand siècle. Les doctrines en avaient été débattues entre les grands poètes de ce siècle, Molière, Racine, La Fontaine, Boileau, dans des entretiens dont il est demeuré des traditions. La Fontaine y fait allusion dans le début des Amours de Pyschée. Il parle de quatre amis dont la connaissance avait commencé par le Parnasse, et qui avaient lié une sorte de société où l'on avait banni les conversations réglées et tout ce qui sent la conférence académique. « L'envie, la malignité ni la cabale n'avaient de voix parmi eux. Ils adoraient les ouvrages des anciens, ne refusaient point à ceux des modernes les louanges qui leur sont dues, parlaient des leurs avec modestie, et se donnaient des avis sincères lorsque quelqu'un d'eux tombait dans la maladie du siècle, et faisait un livre, ce qui arrivait rarement. » Ces quatre amis ne sont autres que Molière, qui y est désigné sous le nom de Gélaste (plaisant); Boileau (Ariste), qui était sérieux sans être incommode; Racine (Acante), et La Fon

taine (Polyphile) dont on pouvait dire qu'il aimait toutes choses. > ()

Racine et La Fontaine s'étaient liés les premiers. Ils attirèrent bientôt Molière et Boileau. Celui-ci avait loué un petit appartement, rue du vieux Colombier, où ces quatre amis, avec Chapelle, qui n'était pas au-dessous d'eux pour le goût, se réunissaient deux ou trois fois la semaine pour se communiquer leurs écrits. A l'exception de Molière, déjà célèbre, ils étaient tous à leurs débuts. Racine avait fait la Thébaïde, La Fontaine, le premier livre de ses Contes, Chapelle son Voyage, Boileau ses premières Satires. De temps en temps, La Fontaine emmenait à Château-Thiéry Racine et Boileau. Molière était forcé de rester à Paris pour son théâtre. A leur retour, les soupers et les entretiens recommençaient. Il y avait une punition pour les fautes de table. C'était la lecture de la Pucelle de Chapelain. La peine capitale était d'en lire une page entière.

Les entretiens roulaient sur toutes les parties de l'art, chacun donnant ou son sentiment, comme auteur, sur le genre qu'il cultivait, ou son opinion, comme juge, sur les genres que traitaient ses amis. Molière et Racine révélaient les sévères beautés du poème dramatique. L'amateur de toutes choses, La Fontaine, indiquait le délicat de tous les genres; Boileau ramenait tout à la raison et au vrai. Le contrôle amical qu'ils exerçaient les uns sur les autres ne s'arrêtait pas aux écrits; il s'étendait jusque sur la conduite. Ainsi Molière, Racine et Boileau gourmandaient Chapelle pour ses excès de table, en présence de La Fontaine qui se taisait n'ayant guère qualité pour faire la morale à autrui; ainsi, Boileau et Racine engageaient, pour réconcilier La Fontaine avec sa femme, des négociations dont on comprend trop bien que Molière s'abstint.

On ne saurait déterminer avec rigueur ce que chacun de ces quatre grands écrivains a retiré de ce commerce si noble et si efficace; mais nier qu'ils y aient tous beaucoup gagné, ce serait un paradoxe insoutenable. Il y a à ce sujet une anec

(*) Acante et Polyphile, dit-il, penchaient tous deux vers le lyrique, avec cette différence qu'Acante avait quelque chose de plus touchant, Polyphile de plus

fleuri..

dote fort connue, mais dont on n'a peut-être pas tiré toute la morale. Nos quatre amis discutaient sur l'usage des aparté au théâtre (). Molière et Boileau les approuvaient; La Fontaine n'en voulait point. Il les jugeait contraires à la nature. Boileau imagina pour les justifier un moyen plaisant. Pendant que La Fontaine défendait avec chaleur son avis contre Molière, Boileau se mit à lui dire des injures. Il n'en entendit rien, tant il était animé. Alors Boileau de triompher, et de prouver victorieusement à La Fontaine que les aparté sont dans la nature, puisqu'il venait d'être injurié à haute voix et presqu'à la face, sans qu'il l'eût entendu. Cette raison en action est piquante; mais tout au plus en pourrait-on conclure que les aparté, pour ètre vrais, voudraient des personnages aussi distraits que La Fontaine. Au fond, il n'avait pas tort de se montrer plus difficile sur ce point que Molière lui-même, lequel tenait aux aparté comme à un moyen commode d'effet, dont le spectateur souffre volontiers l'invraisemblance, s'il doit en résulter quelque occasion de rire. Mais qui nous dit que Molière n'ait pas été touché des bonnes raisons de son ami, et que si les aparté, devenus de plus en plus rares dans son théâtre, disparurent tout-à-fait de ses chefs-d'œuvre, on ne le doit pas à La Fontaine?

Des griefs qui laissèrent l'estime intacte, les misères des amitiés humaines, rompirent ces douces réunions si utiles pour tous. Cela commença par Molière et Racine qui se brouillèrent à cause de l'Alexandre que Racine eut le tort de retirer à la troupe de Molière. Ils cessèrent de se voir, sans cesser de se rendre justice. Ce fut ensuite Boileau et La Fontaine qui se refroidirent. L'austérité de mœurs de Boileau, ses scrupules de religion, sa probité peut-être tyrannique, lui rendaient embarrassante sa liaison avec La Fontaine, qui pratiquait de plus en plus la morale de ses Contes. Toutefois il n'y eut que moins d'intimité dans leurs relations. Nous voyons en effet, vers la fin de la vie de La Fontaine, Racine et Boileau, le décider à

(*) On sait que ce sont des paroles prononcées par l'acteur, qu'on suppose n'être pas entendues des autres personnages, quoiqu'elles le soient du public.

mettre au feu un conte qu'il voulait adresser au grand Arnauld, qui l'avait loué de ses fables. Entre Racine et La Fontaine l'amitié subsista sans nuage, et qu'est-ce qui aurait pu brouiller La Fontaine et Molière?

« Quand la séparation ou le refroidissement arriva, tout le bien que pouvaient faire les réunions de ces illustres amis était déjà fait. On s'était entendu sur toutes les conditions de l'art, et comme engagé à la fois par l'émulation et par l'amitié à les remplir. Nous devons à ces liaisons illustres, non les grandes qualités d'aucun d'eux, mais cette unité de direction et d'objet, qui leur fit chercher et atteindre, dans les genres trèsdivers où chacun d'eux se rendit célèbre, la perfection, c'està-dire le vrai par la raison. » (M. Nisard, Hist. de la litt. fr.)

Sanlecque.

Au prince des satiriques modernes, nous joindrons celui qui tient, après lui (longo sed proximus intervallo), le premier rang dans le genre satirique.

Jacques de Sanlecque (1652-1714), prieur de Garnai, près de Dreux, se distingua de bonne heure par une facilité surprenante à faire des vers latins et français; mais cette facilité même, dont il abusa trop souvent, l'empêcha de porter ses ouvrages à ce degré de perfection qui les fait vivre. Bien que Boileau ne l'estimât guère, il n'en est pas moins vrai que le Père Sanlecque est de tous les satiriques celui qui a le plus approché, sinon du génie, du moins de la manière de Despréaux lui-même. Parmi un grand nombre d'idées et d'expressions trop familières, on trouve dans les Satires de Sanlecque des vers heureux, de la légèreté, de la finesse, des saillies d'imagination et quelques traits de bonne plaisanterie. Il avait peu vécu dans le monde: aussi c'est presque uniquement sur les défauts des hommes d'église qu'il a dirigé ses censures, sans jamais s'en permet tre, même d'indirectes, contre l'Eglise même. Sa Satire contre les directeurs peint en détail ce que Boileau n'avait fait qu'indiquer; son Poème contre les mauvais gestes de ceux qui parlent en public et surtout des prédicateurs, se lit encore avec plaisir. Ce sont

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