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Un Ambassadeur libéral sous Charles IX et Henri III. Ambassades à Venise d'Arnaud du Ferrier, d'après sa correspondance inédite (1563-1567. 1570-1582), par Édouard FRÉMY, premier secrétaire d'ambassade. Paris, Leroux, 1880, 4 vol. in-8° de 1x-426 p.

Jurisconsulte et diplomate, courtisan et honnête homme, du Ferrier méritait assurément la savante étude que vient de lui consacrer M. Ed. Frémy.

Ce n'est point une physionomie vulgaire, celle de ce diplomate qui ose faire entendre sa pensée quand elle diffère de celle du maître et compte que sa fidélité éprouvée fera 'accepter son indépendance. On ne lira pas, sans concevoir pour son auteur une profonde estime, cette lettre à la fois si politique, si indignée et si courageuse que l'ambassadeur adresse de Venise à la reine mère, à la nouvelle du massacre de la Saint-Barthélemy:

«Madame, la vérité est certaine et indubitable que les massacres << advenus par tout le royaume de France, non seullement contre le feu <«< admiral et autres principaulx chefs de la Religion mais aussy contre << tant de pauvre peuple innocent, ont si fort esmeu et altéré l'honneur « de ceulx qui sont, par deça, affectionnés à vostre couronne, encores << qu'ils soyent du tout catholiques, qu'ils ne se peuvent contenter « d'excuse aucune, imputant tout ce qui a esté faict à vous tant seule«ment et à Monseigneur d'Anjou. Par le moyen susdict, il s'est osté la « couronne imperialle, n'ayant auparavant rien tant désiré les Allemands, << mesmes les protestans, que de le faire Empereur, et de remettre l'Em<< pire en la Maison de France. Et disoient estre bien informés que ledict « admiral et aultres ne conspiroient jamais contre Vos Majestés ou « aucun des vostres, et ne se peuvent assez esmerveiller que, par tel « moyen, on ait voulu faire si grant tort à Monseigneur et si fort agran« dir le Roy d'Espaigne, qui se peult dire aujourd'hui le seul prince de «la chrestienté qui commande à tous aultres. Et disent encores que, « pour venir à bout des dicts chefs, il y avoit d'aultres moyens aussy « certains et qui n'eussent pas tant offensé les estrangers et donné à parler à la postérité... Et combien, Madame, que je ne croye à rien de « tout ce que dessus, et que je sois certain et assuré de vostre bonne et «< chrestienne intention, toutesfois, craignant que cela ne soit pour << apporter dommaige à vostre personne, et que quelque meschant et « malheureux osast tenter contre icelle, dont s'en suivroit l'entière ruyne de ce royaume et de moy particulièrement, qui ne dépend que de << vostre seule grâce et bénignité, je vous ay bien voulu escrire ce que dessus, et vous supplier très humblement de vous contregarder plus << encores que n'avez encores faict, estant (si) fort marry, que je ne puis ‹ vifvement vous représenter le malcontentement d'aulcuns désespérés

« qui passent par icy, lesquels sont si bien fols et téméraires de dire ■ que vous avez mieulx aimé ruyner le royaume de France en vous ■ vengeant de l'admiral que l'augmenter, et que vous ressentir du mal « de celuy qui a faict mourir vostre fille. Mais tels et détestables propos, qui se disent et escrivent, ne sont que paroles, lesquelles passent comme le vent, pourveu que le principal, qui est vostre personne, • soit conservé, comme il sera, s'il plaist à Dieu, envers lequel les oraisons ne furent jamais si nécessaires qu'elles sont à présent, et mesmes « à l'endroict de ceulx qui sçavent combien Vostre Majesté est affligée « d'avoir veu le Roy réduict en telle nécessité qu'il ayt esté contrainct de mettre si avant la main au sang de ses subjects, ce qui n'adviendra « jamais plus, s'il plaist à Dieu » (pp. 160, 161, 162).

Ce document est de premier ordre: il accuse un art consommé. Du Ferrier a compris qu'il ne pouvait impunément exprimer son indignation qu'en inspirant à la reine les plus vives alarmes, qu'en la plongeant dans la terreur. Je ne m'arrête pas à ce style d'autrefois où le dévouement et le respect s'allient si noblement à l'expression des sentiments les plus courageux. La lettre est digne, à cet égard, de toute notre attention; mais le trait vraiment original est ailleurs : le diplomate cherche à se couvrir en jetant l'épouvante au cœur de la femme criminelle d'où son sort dépend. Ceci est vu.

M. E. Frémy s'arrête longuement aux détails du drame funeste de la Saint-Barthélemy: s'il est permis de regretter la confiance qu'il accorde au récit probablement apocryphe qui a été attribué à Henri III, on rendra certainement hommage au soin pénétrant avec lequel il a étudié l'aspect diplomatique de l'événement et analysé les mobiles divers qui inspirèrent les explications contradictoires du roi.

M. Frémy a mis à contribution plusieurs collections de la Bibliothèque nationale (p. 8, n. 1); je regrette qu'il se soit contenté d'indications générales sans renvois continus aux sources. Je regrette plus vivement qu'il n'ait pas étudié le rôle de du Ferrier comme représentant du roi très chrétien auprès du concile de Trente: Du Ferrier s'était prononcé en plein parlement contre l'application de la peine de mort en matière religieuse et il avait formulé sa pensée en présence des juges qui livrèrent au bourreau le conseiller Anne du Bourg pour avoir parlé dans le même sens. Comment un esprit aussi sage et aussi modéré que M. Frémy a-t-il pu se refuser et à nous-mêmes le plaisir délicat de suivre un tel homme jusqu'au concile ?

L'ouvrage de M. Frémy a donné lieu, dans l'excellent Bulletin critique de littérature, d'histoire et de théologie1, à quelques observations qui me paraissent justes je prends la liberté d'y renvoyer le lecteur. Enfin certains doutes se sont élevés dans mon esprit au sujet de cet énigma

1. N° 7, pp. 134, 135.

tique Ventenac qui, si j'en crois M. Ed. Frémy (p. 55), se serait improvisé, malgré Charles IX, négociateur entre la France et la Turquie et aurait, de son autorité privée, essayé d'unir ces deux pays dans une alliance offensive et défensive contre l'Italie et l'Espagne. C'est là un cas psychologique et historique si extraordinaire qu'il me faudrait pour l'admettre la démonstration la plus rigoureuse. Les désaveux de Charles IX me touchent médiocrement : je ne puis me défendre d'entrevoir dans cette affaire un autre secret du roi et de flairer dans Ventenac un de ces courtiers diplomatiques de second ordre dont un chef d'État ratifie, suivant les circonstances, ou désavoue les négociations.

Je veux, en terminant, remercier M. Ed. Frémy d'avoir fait revivre un de ces hommes politiques oubliés dont le caractère et le courage civique font partie du patrimoine moral de notre pays.

Paul VIOLLET.

La Rédaction de la coutume d'Auvergne en 1510, d'après un rôle des Archives nationales (P 1189), par Maurice FAUCON. Clermont-Ferrand, 1880, in-8° de 15 p.

Sous ce titre notre confrère M. Maurice Faucon a publié un document intéressant, le « rolle de la despance payée pour rediger les coustumes du pays d'Auvergne par escript, tant bas que hault pays ». Dans une courte introduction il en a fort bien indiqué le caractère et il a pris soin d'en signaler lui-même les articles les plus remarquables ou les plus curieux. L'un de ces articles nous apprend qu'on fit rédiger et relier six exemplaires de la coutume d'Auvergne, l'un pour la cour, l'autre au bailhaige de Montferrand, le tiers à la senechaussée d'Auvergne, le quart à Cusset, le cinquiesme au bailli des Montaignes et le sixiesme es arches du pays. » M. Maurice Faucon a su retrouver dans les archives du parlement l'exemplaire « de la cour» (Arch. nat., X 1a 9218) et il en a donné une intéressante description. Il ne dit rien des autres, au sujet desquels quelques renseignements auraient été les bienvenus. Je note particulièrement cette mention des « arches du pays » : cette institution d'archives provinciales remonte, comme je l'ai rappelé ailleurs, à une résolution de 1402 prise par les états provinciaux. On continuait donc en 1510 à y déposer les documents d'intérêt général : faut-il renoncer à l'espoir de retrouver un jour ce fonds d'archives si précieux? Il serait bien à souhaiter que le classement si désirable des archives communales de Clermont-Ferrand fût poussé activement et vint enfin jeter un peu plus de lumière sur cette question.

Antoine THOMAS.

Le Pays boulonnais. Études historiques, par Ernest DESEILLE. Paris, 1879, in-8° de CLII et 438 p.

Le livre dont nous annonçons ici l'apparition n'est pas une histoire du Boulonnais. L'auteur a voulu simplement réunir en un seul volume d'intéressants documents qui étaient restés dispersés jusqu'à présent et qui gagnent singulièrement à être rapprochés les uns des autres.

Les quelques lieues carrées comprises entre le Calaisis, l'Artois, la Picardie et la Manche, dont Boulogne est le centre, formaient sous l'ancien régime un gouvernement général et possédaient, il est vrai, un assez glorieux passé pour justifier un tel honneur. M. Deseille nous rappelle tour à tour les hauts faits de ses compatriotes, depuis ces temps lointains où les antiques Morini se trouvaient aux frontières du monde jusqu'aux jours héroïques de la guerre de cent ans et jusqu'aux approches de la révolution.

On ne nous demandera pas d'analyser en détail un livre dont il faudrait reproduire la table pour donner une idée exacte des richesses qu'il renferme. Mentionnons seulement de curieux documents sur l'élection des maires de Boulogne et sur l'organisation municipale de la ville ; sur la création du siège épiscopal de Boulogne en 1553, quand la ville de Thérouanne eut été rasée; sur la fête instituée, au jour de saint Marc, en souvenir de la rentrée des Boulonnais dans leur cité, après l'occupation anglaise. Signalons aussi une bonne généalogie des comtes de Boulogne.

Boulogne était surtout une ville de commerce. Le livre de M. Deseille abonde en renseignements sur le mouvement de ce port. C'est au XVIIIe siècle qu'il avait pris son plus grand développement, au détriment des ports d'Étaples, de Wissant et d'Ambleteuse. Il s'y faisait alors d'importants achats de thé et d'eau-de-vie. La pêche du hareng y était aussi très florissante. Un fait suffirait à le témoigner les nombreuses prestations et redevances qui se faisaient avec ce produit de la mer. Boulogne envoyait en présent des harengs à la cour, comme d'autres villes y adressaient des étoffes ou des épices.

Tous ces documents ne voient pas le jour pour la première fois. Bon nombre avaient été déjà publiés que M. Deseille a empruntés sans scrupule aux recueils qui les contenaient'. Mais son livre renferme assez de pièces inédites, parmi les plus dignes d'attention, pour mériter à son auteur la gratitude de ses compatriotes et pour lui assurer une place honorable à côté des érudits boulonnais. M. Deseille a puisé surtout aux archives du Pas-de-Calais, dans le trésor des chartes d'Artois. Les

1. Citons en première ligne, parmi ces recueils, le Catalogue des actes de Philippe-Auguste, de notre éminent confrère M. L. Delisle.

autres sources d'informations n'ont pas été, du reste, négligées par lui. Les Archives nationales lui ont fourni, notamment, quelques pièces de premier ordre. Il avait là pour le guider l'un de ses plus savants compatriotes, notre confrère M. E. Dupont, qui connait si bien l'histoire du Boulonnais et qui a mis généreusement entre les mains de M. Deseille les plus beaux documents '.

L'auteur du Pays boulonnais voudra, sans doute, mettre un jour en œuvre les précieux matériaux qu'il n'a guère fait aujourd'hui que rassembler un peu au hasard. Quel que soit le plan que M. Deseille adopte alors, qu'il se décide à écrire l'histoire de sa chère ville natale 2 ou qu'il veuille rédiger méthodiquement le Cartulaire boulonnais qui reste encore à faire 3, les encouragements ne manqueront pas à son zèle et à sa persévérance.

P. B.

Souvenirs de la Flandre wallonne. Recherches historiques et choix de documents relatifs à Douai et aux anciennes provinces du nord de la France, publiés sous les auspices de la Société d'agriculture, des sciences et des arts de Douai, par un comité historique et archéologique. Douai, Crépin, in-8°. T. XVIII, 1878, 189 p., et t. XIX, 1879, 207 p. et une planche.

Il y a une vingtaine d'années, quelques archéologues douaisiens se réunirent pour publier le recueil dont nous avons entre les mains les 18e et 19e volumes. MM. Preux, Brassart et de Ternas en ont été les principaux rédacteurs et ils y ont inséré un grand nombre de documents inédits et de communications sur des points d'histoire locale.

L'étude des seigneuries des environs de Douai et des familles qui les ont possédées a tenu une large place dans ces volumes, et le tome XVIII est presque entièrement consacré à l'annotation d'un manuscrit de la Bibliothèque nationale, le Blason de Lalaing, dont il ne comprend pourtant qu'une partie. Ce travail, dù, croyons-nous, à M. A. de Ternas, contient sur les membres de cette célèbre famille de nombreux rensei

1. Et notamment le compte de 1415-1416 (Arch. nat., KK 280), à l'aide duquel M. Deseille a écrit son intéressante étude sur les relations de Boulogne avec les communes du Nord, lors du désastre d'Azincourt.

2. L'auteur nous permettrait-il, dans ce cas, de le mettre un peu en défiance contre les tendances, si excusables d'ailleurs, du patriotisme local, qui lui font apprécier avec tant d'optimisme dans la présente étude tout le passé de son cher pays?

3. M. E. Dupont avait d'abord songé à publier lui-même ce cartulaire. Nous ne pouvons que regretter que notre confrère ait dû renoncer à ce projet, absorbé qu'il est par les importantes fonctions qu'il remplit aux Archives nationales.

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