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Ces observations ne peuvent qu'ajouter à la gloire de cet auteur, qui d'ailleurs est suffisamment établie par ses belles tragédies lyriques. Il semble que ce poète était né poète était né pour donner à un grand roi des fêtes nobles et majestueuses. Personne, en effet, n'a su lier avec plus d'art que lui, des divertissements agréables et variés à des sujets intéressants; personne n'a porté plus loin cette molle délicatesse, cette douce mélodie de style, qui semble appeler le chant; personne enfin n'a si bien connu la quantité précise de sentiment qui convenait à ce genre, dont il a été le créateur et le modèle.

Mais que les détracteurs de Boileau ne se hâtent pas de triompher. On ne doit pas dissimuler qu'il y a dans le genre de l'opéra un vice radical, qui a suffi pour indisposer contre lui les meilleurs esprits, tels que Boileau, Racine, La Fontaine, La Bruyère, etc. Tous ces grands hommes, qui avaient bien acquis le droit d'être difficiles, ne pouvaient tolérer que l'on mît au rang des chefsd'oeuvre, des poèmes ordinairement dépourvus de vraisemblance, libres des trois unités, et dans lesquels presque toutes les règles de l'art sont nécessairement violées. Ce spectacle si pompeux, si varié, ne présentait souvent à leurs yeux qu'un magnifique ennui. Et, véritablement, sans être taxé de trop de rigueur, on peut dire, de l'aveu du goût, que le meilleur des opéra ne sera jamais un excellent ouvrage.

PALISSOT, Mémoires sur la Littérature.

IV.

Examen du Théâtre de Quinault.

SI.

Le grand Corneille vieillissait, et la jeunesse de Racine était encore ignorée, lorsqu'un homme qui se fit depuis un grand nom en devenant le créateur et le modèle d'un nouveau genre de poème dramatique se rendait déjà célèbre au théâtre par des ouvrages qui eurent à la vérité plus de succès que de mérite, mais qui annonçaient de l'esprit et de la facilité. C'était Quinault, qui, avant de faire ses opéra, qui lui ont donné un beau rang dans le siècle de Louis XIV, s'essaya d'abord dans la comédie, la tragédie et la tragicomédie. Quoique dans ces deux derniers genres il n'ait rien produit qui ait pu se soutenir jusqu'à nous, cependant la grande réputation qu'il s'est faite sur la scène lyrique m'autorise à dire un mot des efforts qu'il fit sur un autre théâtre, ne fût-ce que pour montrer par un exemple de plus qu'avec beaucoup de talent on peut ne pas s'élever jusqu'à la tragédie. D'ailleurs deux de ses pièces ont eu l'honneur assez rare d'être jouées pendant quatre-vingts ans, le faux Tibérinus et Astrate. Le peu de réussite qu'elles eurent aux dernières reprises les a fait disparaître de la scène il y a environ trente ans. Le sujet du faux Tibérinus est entièrement dans ce goût romanesque que Thomas Corneille soutint long-temps, malgré l'exemple de son frère, et que Racine proscrivit absolument. Il est vrai que la pièce est intitulée

tragi-comédie; mais il n'en est pas moins extraordinaire que l'intrigue d'un drame sérieux ait le même ressort que celle des Ménechmes. Rien ne fait mieux voir combien on fait de chemin dans tous les arts avant de trouver le naturel et le vrai beau, et combien la contagion du goût espagnol et cet amour du merveilleux, cette mode des romans mis en action, luttèrent long-temps contre les vrais principes de l'art et les leçons des grands maîtres.

Agrippa, prince du sang des rois d'Albe, avait avec le roi Tibérinus une ressemblance dont on peut juger par ce vers que l'auteur met dans la bouche de Mézence, neveu de Tibérinus:

Pour les bien discerner, quelque soin qu'on pût prendre,
Leur rapport était tel, qu'on s'y pouvait méprendre,
Et qu'après les avoir cent fois considérés,

Je m'y trompais moi-même à les voir séparés.

Cette ressemblance si parfaite fait naître à l'ambitieux Tyrrhène, père d'Aggrippa, le dessein d'en profiter pour mettre son fils sur le trône. Il saisit le moment où le roi se noie au passage d'une petite rivière, n'ayant avec lui que Tyrrhène, Agrippa et trois autres, personnes. Tyrrhène engage ces trois témoins à se prêter à la fourbe qu'il médite, à reconnaître Agrippa pour roi sous le nom de Tibérinus, en faisant croire au peuple que ce même Agrippa a été assassiné par Tibérinus, à qui cette ressemblance exacte du sujet avec le monarque avait enfin porté ombrage. Pour appuyer encore mieux cette imposture, le hasard

XXIII

2.

fait que ces trois témoins périssent peu de temps après dans un combat, en sorte qu'il ne reste plus dans le secret que Tyrrhène et son fils Agrippa. Celui-ci même est blessé à la main de manière à ne pouvoir plus s'en servir, autre incident que Tyrrhène regarde comme une faveur du Ciel. II dit à son fils :

Votre main sans ce coup eût même pu vous nuire ;
On vous eût pu connaître à la façon d'écrire.

Sans s'arrêter à tout ce qu'il y a de forcé et d'invraisemblable dans cet exposé qui forme l'avantscène, on voit déjà combien doit être vicieux un édifice dramatique bâti sur un pareil échafaudage. Mais il faut voir ce qui en résulte. Le Tibérinus mort était amoureux d'une Albine, sœur d'Agrippa; et Agrippa, qui est à présent le faux Tibérinus, aimait Lavinie, princesse du sang royal. Il s'ensuit que Lavinie voit dans le roi, qui est en effet son amant, l'assassin de son amant et qu'Albine voit dans son frère le meurtrier de son frère; car Tyrrhène croit qu'il est indispensable pour la sûreté du faux Tibérinus que le secret ne soit révélé à personne; et quoique son fils ait la plus grande envie de détromper sa sœur, et sur-tout sa maîtresse, l'autorité paternelle l'en empêche jusqu'au quatrième acte. On excuserait peut-être cet imbroglio, si du moins il produisait ou s'il pouvait produire des situations fortes et pathétiques. Mais tel est l'inconvénient de ces sortes de fables, que l'incroyable est trop près du ridicule pour devenir jamais tragique. Que,

par des révolutions dont il y a plus d'un exemple, un jeune prince, tel qu'Égisthe, enlevé à sa mère dès le berceau, passe dans la suite aux yeux de cette mère abusée pour le meurtrier du fils qu'elle pleure, il n'y a rien là qui ne soit dans l'ordre naturel, et la raison ne s'oppose en rien à l'intérêt : mais comment se figurer que pendant cinq actes une femme ne reconnaisse pas son amant? Celui qu'on aime peut-il jamais ressembler à un autre? Il faut donc aussi supposer la ressemblance de la voix comme celle du visage; il faut supposer qu'on puisse se méprendre à la voix qui a répété mille fois je vous aime! Que de suppositions moralement impossibles! Et ce qu'il y a de pis c'est qu'en les admettant, on laisse encore le poète dans un embarras dont il ne peut pas raisonnablement se tirer. Quand le faux Tibérinus finit par avouer à Lavinie qu'il est Agrippa, qu'arrive-t-il? Ce qui doit arriver; qu'elle ne sait ce qu'elle en doit croire, parce qu'il est également possible que la chose soit ou ne soit pas, puisqu'on a établi qu'il n'y avait aucune différence entre le mort et le vivant, et que l'œil même de l'amour a pu les méconnaître. I atteste son père Tyrrhène; mais celui-ci, obstiné à ne rien découvrir, dément son fils, et persiste devant Lavinie à soutenir qu'il est le vrai Tibérinus, meurtrier d'Agrippa. Cette situation, qui contribua beaucoup au succès de la pièce, dans un temps où l'on trouvait un grand mérite dans cet embarras d'incidents qui se croisent, a fini par ne paraître que ce qu'elle est, froide et puérile; car si Lavinie elle-même ne con

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