Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

» éternel. Ses inexactitudes mêmes sont souvent » des sacrifices faits par le bon goût, et rien ne » serait si difficile que de refaire un vers de Ra» cine. Nul n'a enrichi notre langue d'un plus grand nombre de tournures ; nul n'est hardi avec plus de bonheur et de prudence, ni métaphorique avec plus de grace et de justesse ; nul n'a » manié avec plus d'empire un idiôme souvent rebelle, ni avec plus de dextérité un instru»ment toujours difficile; nul n'a mieux connu >> cette mollesse de style qu'il ne faut pas con>> fondre avec la faiblesse, et qui n'est que cet air » de facilité qui dérobe au lecteur la fatigue du >> travail et les ressorts de la composition; nul » n'a mieux entendu la période poétique, la va»riété des césures, les ressources du rhythme, >> l'enchaînement et la filiation des idées. Enfin, » si l'on considère que sa perfection peut être opposée à celle de Virgile, et qu'il parlait une langue moins flexible, moins poétique et moins harmonieuse, on croira volontiers que Racine » est celui de tous les hommes à qui la nature » avait donné le plus grand talent pour les vers. » Éloge de Racine.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Ce talent fut toujours le même, non-seulement dans la tragédie, mais dans les autres genres que l'auteur n'a paru qu'essayer, dans la comédie et dans la poésie lyrique; car après des productions importantes, je compte pour peu de chose le mérite de bien tourner quelques épigrammes, mérite commun à tant de personnes qui n'ont eu que de l'esprit.

Si nous suivons Corneille hors de la tragédie, nous trouvons les scènes qu'il fournit à Molière pour le ballet de Psyché, et qui respirent en plusieurs endroits une délicatesse et une grace qu'on n'attendait pas de lui, mais dont la versification est souvent làche et prosaïque. On a eu très grand tort de citer ces fragments imparfaits comme une preuve de ce qu'il aurait pu faire s'il eût voulu traiter l'amour comme Racine. Il n'y a rien de commun entre le style d'une comédieballet et le style tragique, et le langage de Psyché conversant avec l'Amour n'est pas celui de Melpomène. Le Menteur est une pièce de caractère, empruntée aux Espagnols: elle est faible de comique; l'intrigue en est vicieuse et un peu froide. Les récits de Dorante, qui ont de l'agrément, et quelques méprises amenées par ses mensonges, soutiennent l'ouvrage, et l'on reconnaît Corneille dans la scène entre le Menteur et son père, précisément parce que cette scène, toute sérieuse et morale, s'élève au-dessus du ton ordinaire à ce genre de drame.

Les Plaideurs de Racine sont remarquables en ce

que la pièce n'est qu'une farce, et qu'elle est écrite d'un bout à l'autre du style de la bonne comédie. D'ailleurs, elle manque absolument d'intrigue et d'intérêt, et ne se soutient que par la gaieté des détails et le comique des personnages. Mais aussi jamais on n'a prodigué avec plus d'aisance et de goût le sel de la plaisanterie; presque tous les vers sont des traits; et tous sont si naturels et si gais, que la plupart sont devenus proverbes.

[ocr errors]

On ne peut cependant voir dans les Plaideurs qu'un badinage que l'auteur fit en se jouant, et qui montre ce qu'il aurait pu faire dans la comédie, s'il s'y était appliqué; comme ses Lettres polémiques, son Histoire de Port-Royal et ses Discours à l'Académie prouvent seulement la facilité qu'il aurait eue à exceller dans la prose ainsi que dans les vers. Mais dans les choeurs d'Esther et d'Athalie il s'est mis, sans paraître y penser, au premier rang de nos poètes lyriques: personne aujourd'hui ne lui conteste ce titre. Son commentateur, que je crois devoir citer quand il a raison puisque je le combats quand je crois qu'il a tort, compare souvent Racine et Rousseau dans ses notes sur Athalie, généralement plus judicieuses que celles des autres pièces. Il dit au sujet des choeurs : « Rousseau avait bien cette pompe et » cette force dans ses vers; mais il n'avait point » ces passages heureux d'une peinture douce à un » tableau terrible, d'un morceau touchant à des descriptions élevées; enfin il manquait de cette » variété qui fait le charme des vers de Racine. Il » est sûr que, si cet illustre tragique eût travaillé » dans le même genre que Rousseau, il eût mis

[ocr errors]

dans ses odes plus de variété, de douceur et de » grace. Il avait une flexibilité de génie qui savait » se plier à tous les tons, un goût épuré qui » mettait tout à sa place. Racine, en un mot, eût >> réussi dans tous les genres s'il eût voulu les em» brasser tous. »

C'était l'opinion de Voltaire : c'est celle de tous les hommes instruits. Ce grand homme a dit dans

une épître adressée à Horace, et qui en est digne

Est-ce assez en effet d'une heureuse clarté ?

Et ne péchons-nous pas par l'uniformité?

Ce reproche n'est que trop souvent fondé : je n'y connais pas de meilleure réponse que les choeurs de Racine. Il est vrai que le genre s'y prêtait plus aisément que celui du drame, qui n'est pas susceptible de différentes mesures; mais aussi l'on ne trouvera point dans notre langue une poésie plus véritablement lyrique, une harmonie plus diversifiée et plus musicale, et qui réunisse avec plus d'intérêt tous les tons, tous les sentiments et toutes les formes du rhythme. Écoutons un des

choeurs d'Esther!

Pleurons et gémissons, mes fidèles compagnes,
A nos sanglots donnons un libre cours.
Levons les yeux vers les saintes montagnes,
D'où l'innocence attend tout son secours.
O mortelles alarmes!

Tout Israël périt. Pleurez, mes tristes yeux,
Il ne fut jamais sous les cieux

Un si juste sujet de larmes.

Quel carnage de toutes parts!

On égorge à la fois les enfants, les vieillards,

Et la sœur et le frère,

Et la fille et la mère,

Le fils dans les bras de son père.

Que de corps entassés! que de membres épars,
Privés de sépulture!

Grand Dieu, tes saints sont la pâture

Des tigres et des léopards.

UNE DES PLUS JEUNES ISRAÉLITES.

Hélas! si jeune encore,

Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur?
Ma vie à peine a commencé d'éclore.

Je tomberai comme une fleur

Qui n'a vu qu'une aurore.

Hélas! si jeune encore,

Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur?

Après ce tableau d'horreur, suivi d'un chant de plainte, le choeur reprend par un cantique plein d'une confiance religieuse, et finit par une invocation sublime.

Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats :
Non, non, il ne souffrira pas
Qu'on égorge ainsi l'innocence.
Et quoi! dirait l'impiété,

Où donc est-il, ce Dieu si redouté.
Dont Israël nous vantait la puissance?
Ce Dieu jaloux, ce Dieu victorieux :
Frémissez, peuples de la terre,
Ce Dieu jaloux, ce Dieu victorieux,
Est le seul qui commande aux cieux.
Ni les éclairs ni le tonnerre
N'obéissent point à vos dieux.
Il renverse l'audacieux;

Il prend l'humble sous sa défense.

Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats;
Non, non, il ne souffrira pas
Qu'on égorge ainsi l'innocence.

DEUX ISRAELITES.

O Dieu que la gloire couronne,

« AnteriorContinuar »