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Qu'il prenne la poésie au sérieux. On ne fait des pas pièces de vers comme on fait des cartonnages ou des ouvrages de tapisserie, mais pour créer des œuvres personnelles et sincères ;

Qu'il évite avec soin le faux réalisme. Il y a un vrai et salutaire réalisme qui s'inspire directement de la nature et de la vérité. Il y en a un autre qui usurpe son titre et qui se contente de peindre les aspects bas et repoussants des choses;

Enfin qu'il ne confonde jamais la simplicité et la vulgarité, le naturel et le négligé.

Il a beaucoup à faire avant d'observer ces recommandations élémentaires.

Passons maintenant à d'autres :

Joueur et père, scène dramatique, montre un joueur victime de sa funeste passion. Il a dissipé tout son avoir. Rempli de douleur et de honte, il va se donner la mort, lorsque soudain le cri de son jeune enfant au berceau le rappelle au devoir et à la vie. Cette pièce manque d'originalité. Les imprécations du joueur sont banales; un seul vers se détache :

Labeur! je tends les bras à ta fatigue honnête !

Sur une tombe, et la Ronde des fées sont d'un versificateur qui sait son métier et qui ne manque ni d'agrément, ni de sentiment poétique.

Sur une tombe montre un forgeron qui vient de déposer un bouquet sur la tombe de sa femme et qui se souvient avec douleur des jours d'autrefois :

Sur le tertre encor frais où sa femme repose
Pierre le forgeron est venu déposer

Un énorme bouquet de chèvrefeuille rose
Et d'intense douleur sent son cœur se briser.

La ronde des fées est l'histoire d'un certain Sequanio qui assiste, au fond des bois, à la danse de toutes les fées de la contrée, et qui les voit se changer en monstres dès qu'elles l'aperçoivent.

Cette aventure est placée dans un paysage décrit avec grâce:

Le zéphir imprégné de l'arôme sauvage

Des églantiers des bois, des menthes du rivage,
Soupirait comme un luth à travers les roseaux
Tandis qu'à l'horizon la lune toute ronde

Se levait lentement, et d'une lueur blonde
Moirait la mousse humide et l'écume des eaux.
Autour de moi partout des murmures étranges...
... C'étaient des peupliers le vague et long frisson,
Les fanfares des cors par l'espace voilées,
Ou bien des rossignols les roulades perlées,

Et des flots bruissants l'argentine chanson.

Si différents que soient ces deux sujets, il n'a pas fallu un grand effort d'invention pour les imaginer. Il était d'autant plus nécessaire de les relever par le soin de l'exécution.

Sur une tombe pouvait donner lieu à un de ces petits poèmes comme François Coppée les affectionne, simples et vrais, avec un ensemble de détails caractéristiques qui soulignent d'un trait fin et juste les situations même les moins neuves et leur donnent un cachet d'originalité indiscutable.

Malheureusement, nous n'avons ici, à part les vers cités, que des données banales, des détails ordinaires, des expressions sans netteté, et nous avons peine à pardonner à un écrivain aussi délicat, de ne pas nous avoir envoyé une œuvre plus achevée, et plus digne de lui.

Cœur de mère est une histoire invraisemblable qui est vraie. Les journaux l'ont racontée dernièrement :

21

Une veuve était restée seule avec un fils. Elle s'était consacrée tout entière à l'élever. Le jeune homme arrivé à l'âge des passions se mit à boire. Il demandait à sa mère de lui donner de l'argent: un jour qu'elle n'en avait pas, il la battit avec fureur. Il fut arrêté et jugé. Au moment où la condamnation allait être prononcée, la pauvre mère, défaillante, déclara que c'était elle qui frappait son fils, elle seule qui était coupable. Déclaration admirable et absurde qui toucha jusqu'au repentir ce fils dénaturé :

Elle était veuve, à l'heure où vers le cimetière
En plein hiver, l'époux s'en alla pour jamais,

Elle ne put à Dieu faire d'autre prière
Que de finir ses jours, si vides désormais.
Assise devant l'âtre où palpitait la flamme
Sentant son être entier brisé de désespoir
Telle, elle demeura, cœur éteint, corps sans âme
Muette, les yeux secs, inerte jusqu'au soir.

Qu'il est triste, le ciel embrumé de décembre !...

Les égarements du fils prodigue sont dépeints d'une manière moins heureuse. Les scènes finales se relèvent :

On entra, terrassée et presque inanimée

Pâle comme un linceul sous ses longs cheveux blancs

La mère tout en pleurs, vers la main tant aimée

Du forcené, son fils, levait ses bras tremblants.

Et plus loin, en face des juges qui vont prononcer la

sentence:

Arrêtez moi, Messieurs, dit-elle, car j'avoue;

Mais qu'il soit libre, lui. C'est moi qui l'ai frappé.

Mère, tout aussi bien que du fond de la tombe,

Tu ressusciteras cet enfant de douleurs !

« Pardon, mère, pardon,» gémit-il, puis il tombe
A genoux sur le banc ruisselant de ses pleurs.

La ferveur maternelle écarte tout obstacle

Elle échauffe ce coeur glacé jusqu'à ce jour.

Dieu te rendra ton fils, dût-il faire un miracle,
Ton fils, purifié par cet excès d'amour.

Réflexions solitaires sont une suite de dix sonnets qui, sans avoir de sujet déterminé, ont trait à la destinée humaine. Le soir, dans une forêt, un promeneur s'abandonne d'abord au charme du site où il se trouve :

J'ai vu la nuit rêveuse allumer ses flambeaux.
Vénus longtemps d'abord a brillé solitaire,
Puis, dans la voûte sombre, asile de mystère
Ont soudain rayonné les astres les plus beaux.

J'attendis, pas un bruit au bois silencieux,
Où les sapins dressaient leur géante stature,
Seuls, des rameaux jaunis, tombant par aventure,
Troublaient l'apaisement dans les airs spacieux.

à

Mais peu peu, en suivant la pente de sa méditation, le promeneur solitaire est pénétré par la mélancolie des choses humaines, et s'abandonne à la pensée de cette douleur qui est cachée au fond de la sérénité, et qui se mêle à toutes nos joies. Il se sent attiré vers le pessimisme qu'il repousse aussitôt comme une défaillance et comme un malheur, et auquel il oppose l'attrait des nobles dévoue

ments:

O Pensée immortelle, & Raison, qu'êtes-vous,
Sans l'amour pour fanal! Après notre passage,
Hélas, que reste-t-il au monde ? L'homme sage
Vaut-il l'humble chrétien qui prie à deux genoux !
... Quelle gloire vaut-elle un amour qui se donne,
Se dévoue, et mourant à la tâche, pardonne
Et bénit et console, et calme les effrois.

L'amour, c'est le Bouddha renonçant à soi-même,

C'est le sang des martyrs, c'est Jésus sur la croix
Ouvrant ses bras meurtris dans un appel suprême.

Pourquoi toute la pièce n'est-elle pas écrite dans ce style simple, ému, et, en même temps, élégant et poétique! Pourquoi avoir eu recours à la forme difficile entre toutes du sonnet, où l'idée, gênée par le retour des mêmes rîmes a besoin pour s'exprimer avec aisance de la virtuosité la plus consommée !

Victor Hugo et l'amiral Courbet sont deux pièces d'inspiration analogue, mais de valeur très inégale. Le sentiment patriotique a mieux servi notre auteur que l'admiration littéraire. Victor Hugo est mal loué. Ce n'est pas que les épithètes sonores manquent dans cette ode qui s'élève jusque au dithyrambe, jusque à l'apothéose. Aussi grand que César et que Napoléon; plus grand que Dante et qu'Homère lui-mème, Hugo est un soleil dont on ne peut supporter l'éclat. S'il y avait de plus grands noms dans l'histoire et des mots plus voyants dans le Dictionnaire, on sent bien que notre auteur les aurait employés. Amas d'épithètes, mauvaises louanges. Le manque de nuances dans l'expression et le manque de choix dans les éloges a quelque chose de fatigant et de faux qui devient à la longue insupportable. Le style en souffre, tendu, emphatique, avec des négligences fâcheuses.

Les peuples sauvages ont un instrument de musique qui consiste en une espèce de corde tendue que l'on râcle avec un archer très dur; on en tire toujours la même note, bourdonnante, monotone, qui ne laisse pas de produire certains effets vibrants. Il serait très désobligeant et très exagéré de comparer à cet instrument la lyre dont nous examinons les chants; mais c'est déjà trop d'avoir pu éveiller l'impression d'une lointaine analogie.

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