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L'amiral Courbet est dans une note patriotique plus vivante et plus heureuse. Dès qu'un écrivain sort du genre factice pour exprimer les sentiments qui lui sont naturels et les idées qui lui sont chères, il reprend aussitôt possession de lui-même et atteint une hauteur qui lui est interdite aussi longtemps qu'il reste dans le convenu et le guindé:

Tu n'est plus, ô vaillant, et mes yeux sont sans larmes.
La mort à tes deux mains vient d'arracher les armes,
Et du dernier sommeil tu dors en ton cercueil !
Un long crêpe assombrit le drapeau de la France,
C'est vrai! mais ton trépas m'a rendu l'espérance
Et je ne porte pas ton deuil !

Oui, j'ai foi maintenant dans ta force, ô Patrie !
Des lauriers du succès la fleur semblait flétrie
Depuis les jours maudits de tes sanglants revers.

On est bien près de vaincre alors qu'on sait mourir.
D'où qu'il souffle à présent, tu peux braver l'orage
L'épreuve a rajeuni ton sang et ton courage

Et les lauriers vont refleurir.

Messieurs, votre Commission vous propose de décerner des mentions honorables avec médaille d'argent aux auteurs de :

Cœur de mère;
Réflexions solitaires;

L'amiral Courbet.

Conformément aux propositions de la Commission, la Société décerne une mention honorable avec médaille d'argent, à :

1° M. Achille Millien, de Beaumont-la-Ferrière (Nièvre), auteur de Cœur de Mère;

2o A Mile Marie Blech, de Sainte-Marie-aux-Mines (Alsace-Lorraine), auteur de Réflexions solitaires;

3o A M. Aug. Cizel, de La Chapelle-sous-Rougemont, près Belfort, auteur de l'amiral Courbet.

SÉANCE PUBLIQUE

DU 25 FÉVRIER 1888

Discours de M. Emmanuel LEMAIRE, Président

MESSIEURS,

On ne saurait reprocher à notre Société de ne point être attachée à ses traditions, puisque vous venez aujourd'hui entendre les rapporteurs de notre soixante et unième concours annuel. Le 3 janvier 1828 (il y a donc plus de soixante ans), nos prédécesseurs proclamaient les résultats du premier de nos concours de poésie et couronnaient deux jeunes gens qui devaient, l'un fournir une très honorable, mais bien courte carrière de romancier et de poëte, l'autre conquérir un nom illustre dans les sciences historiques: c'étaient Félix Davin, mort à vingt-neuf ans, c'est-àdire à un âge où il était loin d'avoir donné toute sa mesure, et Henri Martin qui remportait ainsi son premier succès littéraire. Celui qui devait être un jour l'historien éminent et le grand patriote que nous avons tous connu et aimé, avait soumis au jugement de notre Société un poëme de huit cents vers sur le siège de Saint-Quentin en 1557, sujet imposé aux concurrents. La médaille d'or fut décernée à

Félix Davin; Henri Martin, qui n'avait pas encore accompli sa dix-huitième année, obtint une mention honorable, et le rapporteur, M. Girard, mêlant à ses critiques une forte part d'éloges, pressentant aussi le talent si sain et si robuste du futur historien de la France sous l'amplification littéraire du lauréat, écrivit cette phrase prophétique : « Le talent du jeune littérateur mûri par l'expérience, devra produire des fruits précieux. » Jamais prédiction ne fut plus complètement réalisée.

C'était un heureux début, pour une compagnie fondée depuis moins de trois ans, que d'être appelée à couronner, dans le premier de ses concours, deux hommes qui devaient être, à des titres et à des degrès divers, la gloire de leur ville natale. Combien de littérateurs et de savants, combien de grands écrivains même ont fait ainsi leurs premiers pas dans la carrière des lettres, et ont vu leur génie à son aurore salué par des sociétés de province ! N'est-ce pas l'Académie de Bordeaux qui eut la primeur des travaux de Montesquieu ? En mettant au concours cette question : « Le progrès des sciences et des arts a-t-il contribué à corrompre ou à épurer les mœurs, » l'Académie de Dijon n'eut-elle pas l'honneur de décider la vocation de J.-J. Rousseau et, suivant l'expression de l'un de ses biographes, de « faire jaillir l'étincelle divine et déterminer l'explosion de son génie ? » Souhaitons, Messieurs, que notre modeste compagnie, qui fut la confidente des premiers essais d'Henri Martin, attire à elle, dans l'avenir, quelques-unes de ces jeunes intelligences éprises de la religion de l'idéal, qui doivent être un jour la force et peut-être la gloire de notre Patrie !

J'évoquais à l'instant le souvenir de notre premier concours de Poésie... Ah! Messieurs, ce n'est pas sans émotion qu'en feuilletant les premiers volumes de nos Annales, j'y

lisais les noms des fondateurs de la Société Académique. Il me semblait avoir la vision d'un monde disparu; je croyais entrevoir dans un rêve la société saint-quentinoise de la Restauration et du règne de Louis-Philippe, celle que Félix Davin a peinte dans certains de ses romans, celle dont nous avons connu les derniers représentants. C'était Mangon de La Lande, érudit laborieux, défenseur infatigable, sinon toujours heureux, de ce qu'il croyait être les droits historiques de notre ville; Mangon de La Lande qui, réunissant un jour chez lui quelques-uns de nos concitoyens amis des lettres, fonda en 1825 notre association et en fut le premier président. C'étaient encore le docteur Bourbier, Ch. Daudville, Gavet, Jean Héré, Charles Lemaire, Quénescourt, Jules Simonin, et d'autres depuis longtemps disparus. Tous ces hommes appartenaient à cette génération si forte, si enthousiaste, qu'on appela depuis la génération de 1830. Leur enfance avait été bercée par les chants de triomphe des armées de la Révolution et de l'Empire, et les revers qui avaient clos l'épopée napoléonienne n'avaient pu ni amollir leurs cœurs, ni altérer leur confiance absolue dans les hautes destinées de la Patrie. Nous avions été vaincus, mais n'avait-il pas fallu, pour nous abattre, après vingt ans de victoires, que l'Europe entière se coalisât contre nous ? Quelques années plus tard, ces mêmes hommes s'enflammaient pour l'indépendance de la Grèce, ou prenaient parti, avec une fougue et une passion que nous ne savons plus comprendre, dans la querelle purement littéraire des classiques et des romantiques. Y avait-il donc alors chez les fils de la vieille Gaule une surabondance de sève que notre race ne semble plus avoir aujourd'hui ? Si nous n'avons plus l'énergie et la foi de nos pères, tâchons du moins d'être unis, en cette sinistre fin de siècle qui menace notre chère France de si terribles épreuves!

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